Citations de Giuseppe Ungaretti (241)
"L’amour n’est plus cette tempête
Dans l’éblouissement nocturne
Qui m’enchaînait naguère encore
Entre insomnie et délire.
Il est l’éclair de ce phare
Vers quoi le vieux capitaine
Avance, calmement."
Tu es la femme qui passe
Comme une feuille
Et qui laisse aux arbres un feu d'automne.
Jamais, vous ne saurez jamais quelle lumière
M'est l'ombre qui se pose à mon côté, timide,
Quand je n'espère plus...
POUR LES MORTS
DE LA RESISTANCE
Ici
Sont vivants pour toujours
Les yeux qui furent clos à la lumière
Afin que tous
Les gardent pour toujours
Ouverts
A la lumière
ROUGE ET AZUR
J'ai attendu votre lever
Couleurs de l'amour,
Et voici que vous dévoilez une enfance de ciel.
Elle tend la rose la plus belle rêvée.
1928
L'hirondelle s'en va et l'été avec elle,
Et moi aussi, me dis-je, m'en irai...
Qu'il reste au moins, de cet amour qui me déchire,
Un peu plus que le sceau d'une brève buée,
Si de l'enfer j'arrive à quelque paix...
DiALOGUE
1966-1968
UNGA
12 SEPTEMBRE 1966
Tu es apparue à la porte
Vêtue de rouge
Pour me dire que tu es feu
Qui consume et renflamme.
Une épine m'a piqué
De l'une de tes roses rouges
Pour que tu suces à mon doigt
Un sang déjà presque tien.
Nous avons suivi la rue
Que lacère la verdeur
De la colline sauvage
Mais depuis longtemps je savais
Que de qui souffre avec foi téméraire
L'âge pour vaincre ne compte.
On était un lundi,
Pour nous prendre les mains
Et nous parler heureux
Il ne fut d'autre refuge
Que ce triste jardin
De la ville convulsée.
CHANT SECOND
Elle creuse l'intime vie
De notre masque de malheur
D'une caresse fanatique,
La sombre veillée des pères
Ou prison d'infini.
Mort, ô mot très muet
Sable laissé comme un lit
Par le sang,
Je t'entends chanter comme une cigale
Dans la rose veuve de reflets.
REPONSES DE BRUNA
13 SEPTEMBRE 1966
Les mains tremblantes serraient
Le fil de l'appareil ;
Il m'avait l'instant d'avant
Transmis ta voix
Pour l'adieu.
Un rayon de lumière erra,
Mince fil spirituel
Du baiser que j'avais donné
Par pur désir.
Mais mon amour têtu
Vaincra l'exil.
Quand toute lumière est éteinte
Que je ne vois que mes pensers,
Une Eve me met sur les yeux
La taie des paradis perdus.
1932
DANS LE DEMI-SOMMEIL
Je veille la nuit violentée
L'air est criblé
comme une dentelle
par les coups de fusil
des hommes
renfoncés
dans les tranchées
comme les escargots dans leur coquille
Il me semble
qu'une ahanante
tourbe de cantonniers
pilonne le pavé
de pierre de lave
de mes routes
et je l'écoute
sans voir
dans le demi-sommeil.
Vallonello di Cima Quattro, 6 août 1916
J'ai revu les collines, les pins que j'aimais,
Et la voix natale de l'air,
De ne plus l'entendre avec toi
Me brise au moindre souffle...
SOIR
Aux pieds des pas du soir
Coule une eau claire
Couleur d'olive,
Jusqu'au feu bref et sans mémoire.
A cette heure dans la fumée j'entends rainettes et grillons,
Où tremblent tendres les herbes.
1929
"JOUISSANCE
Je me sens la fièvre
de cette
crue de clarté
J’accueille cette
journée comme
le fruit qui s’adoucit
J’aurai
cette nuit
un remords comme un
aboiement
perdu dans
le désert"
JUIN
Quand
cette nuit
à moi-même mourra
et que je pourrai
comme un autre la regarder
quand je m'endormirai
au bruissement
des eaux
qui finissent
de se rouler
à la haie de cassies
de ma maison
Quand je m'éveillerai
dans ton corps
qui s'infléchit
comme la voix du rossignol
Maintenant le vent est muet
Et muette la mer,
Tout se tait, mais je crie
Le cri, seule, de mon coeur,
Cri d'amour, cri de vergogne,
De mon coeur qui brûle
Depuis que je t'ai vu, que tu m'as regardée
Et je ne suis plus rien qu'objet débile.
Je crie, et brûle sans répit mon coeur,
Depuis que je ne suis plus rien
Que chose en ruine, abandonnée.
LE PORT ENSEVELI
Y pénètre le poète
et retourne à la lumière avec ses chants
et les disperse
De cette poésie
il ne me reste
qu'un rien
d'inépuisable secret
Mariano, 29 juin 1916
Etouffée par des râles elle s'efface,
Et vient, et hors d'elle revient,
Et toujours je l'entends plus au-dedans de moi
Se faire toujours plus vivante,
Claire, tendre, terrible, plus aimée,
Ta voix tue.
Votre clarté
Peu à peu le soleil disparait, mon amour
Maintenant que surgit un soir interminable,
Qui aura la lenteur d’un déchirement.
J’ai vu votre clarté me devenir lointaine
Présage d’un adieu qui ne sera point court.
LOINTAIN
Très loin très loin
comme un aveugle
on m'a conduit par la main
Versa, 15 février 1917