Citations de Gueorgui Vaïner (37)
Une vie étrange et insouciante - ils ne savaient pas, en commençant de labourer leur champs le matin, s'ils termineraient leur sillon le soir; ni, en allumant le feu dans leur âtre, s'ils goûteraient à la soupe.
Lavrenti n'avait aucune estime pour les hommes dévoués : on ne pouvait pas compter sur eux, parce que le dévouement repose sur l'amour et la reconnaissance, c'est-à-dire sur la stupidité.
Apparemment, Vlassik était l'inférieur de Lavrenti, mais en réalité, ce n'était pas le cas. Il n' obéissait à personne d'autre qu'à Celui qu'il protégeait. Vlassik était Sa chose, comme Timofeï, le berger allemand.
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Toutes ces caves de torture étaient un mythe, du perlimpinpin moyenâgeux, dont nous n'avions absolument pas besoin, puisque la Prison intérieure centrale du MGB de l'URSS, qui occupait l'immeuble de cinq étages de l'ex-hôtel, ex-compagnie de cargos Caucase et Mercure, dans la cour du 2, rue Loubianka, et reliée au bâtiment principal par un passage, permettait d'assurer le cycle complet de la sécurité nationale, depuis le travail préparatoire des agents jusqu'à l'arrestation du figurant, depuis le début de l'instruction jusqu'aux aveux complets de l'inculpé, depuis le procès par la Commission spéciale auprès du ministre, la COS, jusqu'à l'exécution du condamné, le tout sans mettre le nez dehors une seule fois. Tout se passait dans un lieu unique! Le rêve du technocrate, le but inaccessible du technicien: une production sans déchets, en circuit fermé, un intestin qui se digère lui-même.
Sur ma montre Oméga, il n'y avait qu'une seule aiguille coincée entre six et sept. Je restais longuement, sous un réverbère, à fixer l'étrange cadran invalide, jusqu'à ce qu'apparût la deuxième aiguille, rampant timidement sous la première. Salopes ! C'est qu'elles copulaient, ces deux-là ! De leur copulation naissaient les secondes. Et elles faisaient ça sur mon poignet, comme des insectes.
La veille encore, Lioutostanski s'esclaffait comme un vampire rassasié. Son bonheur était complet, sans nuages, car l'heure approchait où se réaliserait enfin le rêve de toute sa vie : l'extermination des juifs.
Et il tirait un orgueil légitime d'avoir apporté son obole, et pas des moindres, à l'organisation de ce nouvel Armageddon. Seulement, Lioutostanski ignorait qu'il n'était pas du pouvoir des hommes de fixer les limites de l'existence et de décider de l'heure du trépas. Il ne pouvait pas savoir que le Saint Patron s'éteindrait le lendemain, et encore moins ce que cela aurait comme conséquence pour les juifs ou pour lui-même.
- Je pense, Tikhon Ivanovitch, que l'humanité a une hernie, dis-je avec des accents de douleur dans la voix.
La femme qui fait notre bonheur n'est pas celle avec qui on a envie de dormir, mais celle à côté de laquelle on a envie de se réveiller.
- comment peux-tu vivre avec cette dinde ? demanda t-elle avec curiosité.
- Je ne vis pas avec elle.
- C'est à dire ?
- Je meurs avec elle.
- Ah, Pachka, mon frère, c'est dur ! Gouverner, c'est autre chose que de se gratter les couilles.
En la personne d'oncle Mordouchaiï le socialisme perdit un édificateur sûr et fidèle lorsqu'en 1952, il avait manqué aux concepteurs d'un nouveau complot antisoviétique un six de pique pour boucler leur patience : un juif un peu bruyant. Et l'ange de la mort Sammael brandit son glaive et laissa tomber une goutte de son feu sur le citoyen converti Guinzbourg. Huit jours plus tard, les comploteurs étaient démasqués, neutralisés, poursuivis et châtiés.
Le divin nectar repose en ses vertes bouteilles dans d'innombrables caisses, unique remède qui apporte joie, et bonheur, et liberté(...). Ah, notre bonne petite vodka, noce heureuse de pétrole et de sciure, tu es toute notre vie ! Et tant que tu te déverses dans les intestins par toi consumés, le monde entier est en toi, et le monde est en moi.
Il arrive souvent que la Boutique désire donner quelque nouvelle à notre brave population : une rumeur fausse mais séduisante, officielle mais incertaine. Dans le reste du monde il y a les journaux pour cela.
Nulle part les gens ne sont aussi isolés que dans une queue pour le saucisson cuit, nulle part, compressés jusqu'à la nausée, ils ne sont aussi peu capables de s'entendre que dans cette chaîne multiple et serpentine, dont chaque maillon déteste le précédent et n'a que mépris et indifférence pour le suivant. L'hydre infinie ne diminue jamais, et les gens ont beau quitter le comptoir, la queue repousse instantanément, dans un brouhaha d'injures, excité par l'espoir méchant d'arracher ne serait-ce qu'un demi-kilo de saucisson cuit. Se pliant et se dépliant, les queues remplissent les magasins de leurs méandres infinis, en engloutissant paresseusement les restes ultimes de bonté, de bienveillance et d'humanité.
Et nous - on se débrouille pas mal. Nous sommes des agents d'assurance. Nous assurons la peur à tout le pays. Nous avons transformé toutes les existences en sinistres et la modeste compagnie d'assurances Rossia en une toute puissante Société d'Assurances sur la peur de la Russie...
Cette assurance est valable pour la vie entière et le contrat comprend tout : les biens, la volonté, la famille, la santé, la vie
Les gens stupides ont souvent un visage intelligent. C'est parce qu'ils ne font aucun effort pour penser
L'alcool, c'est la cinquième dimension. La principale. Toutes les autres se dissolvent dedans. C'est la terre ferme dans ce monde vacillant. C'est le gaz sans lequel l'air ne serait que pur azote. Fraîcheur étonnante pour les âmes embrasées. Et la dernière flamme qui nous réchauffe.
Chacun pouvait voir où nous étions arrivés, personne ne pouvait dire où nous allions.
Je savais qui il essayerai d'appeler, mais le nécessaire avait déjà été fait.
Toutes la littérature apparue après que Iossak-le-Sanguinaire (Staline), eut crevé ne parlait que des victimes de ce monde de cauchemars. Mais personne n'eut le courage, ou la possibilité, ou assez de connaissances, pour décrire ceux qui avaient construit ce monde, qui l'avaient façonné et mis en marche. Alors que ces bourreaux, ces tortionnaires font partie du caractère indissolublement double de notre vie : on ne peut pas comprendre notre existence si on ignore le visage des bourreaux qui se sont engagés à verser un océan de sang humain pour une bonne ration, des bottes en box et l'exercice d'un pouvoir invisible.
Le destin se mesure à partir de la fin et non du début de la vie. Tout ce qui a été vécu auparavant n'a aucun sens, la seule chose qui compte c'est ce qui nous reste à vivre