Lecture assez ardue pour un livre analysant la démarche artistique de George Grosz mais oeuvre éclairante.
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Critique de Perrine Simon-Nahum pour le Magazine Littéraire
Faut-il relire Günther Anders ? Ce philosophe allemand, élève de Husserl, opposant communiste au régime nazi, longtemps connu pour avoir été le premier mari de Hannah Arendt, fait depuis quelques années figure de précurseur. C'est à partir de son retour à Vienne en 1950 qu'Anders se mit en devoir d'alerter les hommes sur les dangers de l'atome. Témoin de la montée du nazisme, même s'il immigra aux États-Unis en 1936, profondément bouleversé par les deux bombes lancées sur Hiroshima et Nagasaki, Anders va désormais écrire sur fond d'une certitude : celle de l'immanquable destruction de l'humanité. C'est donc en moraliste et non en philosophe qu'il s'efforce d'avertir sur l'urgence non pas à conjurer un mal inéluctable - il est en cela dans la ligne de l'analyse heideggerienne de l'aliénation à la technique - mais à retarder l'imminence des catastrophes que la technique ne peut manquer d'engendrer. C'est en effet l'idée de la disparition de l'humanité que développe le thème de l'« obsolescence de l'homme » qui hante ses textes, obsolescence que ne peut conjurer la liberté que nous nous efforçons par ailleurs de congédier. Sans doute ce profond pessimisme a-t-il détourné pendant de longues années de nombreux lecteurs, qui lui préféraient le discours somme toute plus optimiste d'un Hans Jonas. Entre autres illustres exceptions, Sartre reconnut pourtant devoir beaucoup à Günther Anders.
Sans doute s'est-on également lassé de ce prophétisme de malheur, annonçant une apocalypse nucléaire qui ne s'est pas encore produite. Voire. L'évolution des relations internationales, l'apparition d'États voyous, l'avènement de l'Iran et de la Corée du Nord au rang des puissances nucléaires suffiraient aujourd'hui à redonner leur actualité aux prévisions d'Anders. Mais c'est à une lecture plus actuelle encore que nous convie Jean-Pierre Dupuy en introduction au volume. Il fait résonner l'appel d'Anders, qui nous exhorte à l'impatience face aux dangers qui menacent l'humanité, dénonce le fossé béant entre la marche en avant de la technique et notre incapacité non seulement à nous en emparer à bon escient mais même à en comprendre les mécanismes et à en saisir les conséquences dans toutes les dimensions de notre vie, qu'il s'agisse du clonage, des biotechnologies ou de l'environnement. Il y va, nous dit Anders, du regard que nous portons sur le monde. Il y va de la considération que nous avons de nous-mêmes.
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