Citations de Guy de Pourtales (37)
Assurément n’y a-t-il pas de date plus importante dans l’histoire d’un artiste que celle où sa première grande œuvre prend contact avec le public, où son visage, jusqu’alors anonyme, se revêt soudain du sens que lui donnera la postérité. Argile indécise pourtant, que le Temps n’a pas achevé de modeler ; mais déjà le monde cherche dans cette figure contemporaine à se reconnaître et à s’aimer. Cet hésitant rayon éclairant la tête d’un homme hier inconnu, c’est l’investiture d’une dignité que va lui conférer la foule ; le signe dont elle le marque pour qu’il assume désormais la charge d’exprimer ses rêves et de fixer ses émotions. Sorte de fardeau mystique dont elle n’aperçoit jamais la tragique contrainte. Car, ou bien elle fera de cet élu l’instrument de ses volontés, et, lui ayant ravi les attributs de sa maîtrise, elle le rejettera vite à l’oubli ; ou bien, surprise par sa force, elle luttera durement contre celui-là même qu’elle a d’abord choisi, essayera de le plier à ses désirs, et n’acceptera enfin de se soumettre à lui que s’il consent à payer sa grandeur et sa solitude du prix de son bonheur. Mais ce long marchandage, c’est toute l’histoire du génie.
Sand se levait tard, parce qu’elle veillait une grande partie de la nuit. Chopin polissait, remettait au net ses œuvres, dont les premières ébauches lui venaient en général pendant l’été. Sa création était toute spontanée. Elle jaillissait au hasard d’une promenade, d’une heure de méditation, ou bien se déroulait subite et complète tandis qu’il était assis devant son piano. Il se la jouait à lui-même, la chantait, la reprenait, en modulait les accents. Alors commençait cet immense labeur des recherches de la perfection, qui seront toujours, quoiqu’on dise, l’ordre essentiel de l’artiste
Le mariage ? Il n'y songeait qu'avec la crainte instinctive qu'en ont les amants véritables: "Vous devenez même chair", dit l'Eglise romaine dans les mots de l'union. Et dans cette union il y a la paix, une immensité de travail. Elle évoque quelque chose de confortable, de légal, mais aussi d'étroit et de mort comme le bonheur.
Il m'a demandé une fois si je savais pourquoi Saint Jean n'a jamais fait de miracles. (...) Parce que la grâce n'accomplit aucune oeuvre ; elle est trop sublime pour ça.
L'amour, l'amour, peut-être n'existe-t-il que dans l'imagination des hommes. Il y a dans ce mot je ne sais quoi de suspect qui vous dégoûte comme une tromperie, une fausse monnaie.
Un artiste, pis encore. C'est le seul civilisé qui ne serve plus à rien lorsque la civilisation a résolu sa ruine.
Et non seulement son âme l'aimait, mais son être entier : il était beau, elle l'admirait. Mais ce qui la retenait toujours et la rendait si décevante, c'était sa volonté de rester dans la vie de Paul comme un idéal indestructible. D'autres femmes le prendraient, le quitteraient ; aucune n'obtiendrait jamais de lui la même tendresse ; elle aimait en lui ce qu'il méprisait.
La vie n'est belle que si l'on se sent indispensable à quelqu'un. Mais je ne suis indispensable à personne, moi non plus (...)
Ma petite, le beau et le laid, ça te dépasse. Tu ne connais que le bon.
Je lui fais signe de jeter son arme et nous marchons alors l'un vers l'autre. On se regarde un moment et puis on se met à rire, mais à rire comme peut-être nous n'avions jamais ri de notre vie. (...)
Ma foi, je riais de cette chose monstrueuse et absurde qui s'appelle la guerre. Depuis des jours et des jours, je vivais dans la peur de tuer. Et voilà que c'était fait, j'avais doublé le cap, je savais que je ne pourrais pas tuer; j'acceptais d'être un lâche... Comprenez-vous ? Ah, ce que j'étais content ! Ensuite, nous jetâmes nos fusils dans un fourré et nous nous mîmes en route sans pouvoir nous expliquer. Mais nous savions que la guerre était finie pour nous.
* Liszt a eu beaucoup d’amours, mais l’ordre qui domine son œuvre comme il commande sa vie est la poursuite d’un idéal.
* Liszt a ceci d’exemplaire, c’est qu’ayant connu fort jeune les plus rares triomphes d’artiste et les plus dangereuses joies d’homme, il s’est lentement élevé, à force de volonté et malgré cette gloire enlisante, jusqu’aux solitudes de l’esprit.
* L’histoire de son esprit est dans ses œuvres ; Celle de ses amours se lit dans la souffrance et les enthousiasmes des femmes qui l’ont adoré.
* L‘âme de Liszt ressemble à certaines âmes féminines qui, à travers les douleurs, les laideurs et les pires expériences de la vie, émergent intactes, dans toute la pureté de leur première fleur. En passant sur elles, les années, fussent-elles démoniaques, n’ôtent rien à ces beaux anges. C’est pour eux que Pascal s’écrie : « 0 qu’heureux sont ceux qui, avec une entière liberté et une pente invincible de leur volonté, aiment parfaitement et librement ce qu’ils sont obligés d’aimer nécessairement. »
* « Votre âme est trop tendre, dit elle, trop artiste, trop sentimentale pour demeurer sans société féminine. Vous avez besoin de femmes autour de vous, et de femmes de tout genre, comme un orchestre réclame des instruments variés, des tonalités variées.»
Je ne sais quel écrivain français contemporain a dit que la musique de Wagner est typiquement de celles « qu’il faut écouter la tête dans les mains ». Cette appréciation me laisse supposer que l’auteur de ce mot n’a jamais entendu un opéra wagnérien. Car le propre de cette musique est justement qu’on l’écoute avec son corps tout entier, avec la tête, certainement, mais avec le coeur aussi, et le ventre, et pour ainsi dire avec les yeux et les mains, comme on s’offre à une tempête. Elle n’est jamais touffe de myosotis ou problème harmonique. Ce qu’elle brasse en nous de violences et de désirs enivre comme un vin fort. C’est un torrent qui submerge et contre lequel la lutte est impossible. Il faut fuir ou se laisser emporter. On se moque bien que cette musique soit optimiste ou pessimiste, vulgaire ou distinguée, décadente ou littéraire, et qu’il la faille écouter la tête dans les mains ! La vérité est que les cris de Marsyas dans sa forêt remplissent d’effroi les innombrables petits joueurs de flûte. Et ils continuent encore aujourd’hui à détaler quand ils entendent la foulée du satyre. Car il est terriblement puissant, ce vieux promeneur solitaire du col de la Formazza, du Bois de Boulogne et des pâturages lucernois. Ses interprètes de 1875 le regardaient avec une crainte mêlée d’amour. Ils ne se doutaient pas que ce front tout encombré par l’énorme Tétralogie en train de naître à la réalité, portait déjà l’idée de Parsifal. Le musicien ne se reposait point de créer, d’amasser à tous les coins de bois les harmonies qui raconteraient certain vendredi saint vieux de vingt ans, lorsque, sur la terrasse de l’Asile zurichois, il confondait dans un même élan l’éternel printemps de Bouddha, du Christ et de Richard Wagner.
Fragments du Journal de Wagner pour Mathilde Wesendonk :
3 septembre 1858,
Ce qui m’élève, ce qui reste durable en moi, c’est le bonheur d’être aimé de toi… Venise, Grand Canal, Piazzetta, place Saint-Marc, un monde éteint. Tout devient objectif comme une oeuvre d’art. Je me suis installé sur le Grand Canal, dans un immense palais où je suis seul pour le moment20. Grandes pièces spacieuses, où je me promène à ma guise. Ma demeure étant toujours d’une si haute importance pour le côté matériel et technique de mon travail, je mets tous mes soins à m’installer selon mes goûts. J’ai écrit immédiatement afin de me faire envoyer l’Érard. Il sonnera admirablement dans les hautes salles de mon palais. Le singulier silence du Canal me convient à merveille. Je ne quitte ma demeure que le soir à cinq heures, pour aller manger.
Ensuite, promenade dans le jardin public ; brève station sur la place Saint-Marc, d’un effet si théâtral, parmi une foule qui me reste entièrement étrangère et distrait seulement mon imagina-tion. Vers neuf heures je rentre en gondole, je trouve ma lampe allumée et je lis un peu avant de m’endormir… Cette solitude que je recherche uniquement – et qui est ici si agréable –, elle flatte mes espérances. Oui, j’espère guérir pour toi. Me conser-ver pour toi signifie me consacrer à mon art. Devenir ta consolation par mon art, telle est ma tâche ; elle convient à ma nature, à ma destinée, à ma volonté, à mon amour. De cette manière, je reste tien.
Sana être un musicien considérable, Elsner n'en était pas moins un personnage : auteur d'opéras, de symphonies, de messes, et directeur du Conservatoire. Il est le mérite de ne contrarier en rien les dons personnels de Chopin : - "Laissez-le faire, disait-il, il s'écarte un peu du chemin battu et de l'ancienne méthode, c'est parce qu'il a la sienne à lui, et ses œuvres témoigneront un jour d'un originalité qui ne s'est encore rencontrée chez personne. Il suit une voie extraordinaire, parce que ses dons sont extraordinaires."
De sa "Sibérie-prussienne", de ce plat pays si froid, l'imagination de Wagner commence bientôt de s'évader vers les contrées chaleureuses où l'artiste se figure qu'il est attendu, qu'il sera fêté, et que ses créations y fertiliseront des terres avides de nouveauté.
Laissez-le faire, s’il s’écarte un peu du chemin battu et de l’ancienne méthode, c’est parce qu’il a la sienne à lui, et ses œuvres témoigneront un jour d’une originalité qui ne s’est encore rencontrée chez personne. Il suit une voie extraordinaire, parce que ses dons sont extraordinaires
Est-ce qu'en cessant d'être esclave on devient forcément déserteur ? Qu'est-ce que cela signifie, déserter ? C'est refuser de mourir pour ce qui ne vous appartient pas afin de vivre pour ce qui vous appartient, n'est-ce pas ? Or, ce qui ne m'appartient pas, c'est le bien des autres, leurs familles, leurs coffres-forts. Qu'ils se battent donc pour les conserver, c'est leur droit. Mais chacun de nous n'a qu'une seule peau, n'est-ce pas ?