Citations de Guy de Pourtales (37)
A la fin du mois, Wagner revient à Zurich. Le voici dans les dispositions intimes les plus favorables à la composition : des dettes pressantes, un compliqué projet de vente de ses opéras à l’éditeur Haertel, des agacements de toute sorte, sa maladie nerveuse et cinq années et demie d’accalmie créatrice suivies « d’une sorte de migration de son âme » au pays de la musique.
Assurément n’y a-t-il pas de date plus importante dans l’histoire d’un artiste que celle où sa première grande œuvre prend contact avec le public, où son visage, jusqu’alors anonyme, se revêt soudain du sens que lui donnera la postérité. Argile indécise pourtant, que le Temps n’a pas achevé de modeler ; mais déjà le monde cherche dans cette figure contemporaine à se reconnaître et à s’aimer. Cet hésitant rayon éclairant la tête d’un homme hier inconnu, c’est l’investiture d’une dignité que va lui conférer la foule ; le signe dont elle le marque pour qu’il assume désormais la charge d’exprimer ses rêves et de fixer ses émotions. Sorte de fardeau mystique dont elle n’aperçoit jamais la tragique contrainte. Car, ou bien elle fera de cet élu l’instrument de ses volontés, et, lui ayant ravi les attributs de sa maîtrise, elle le rejettera vite à l’oubli ; ou bien, surprise par sa force, elle luttera durement contre celui-là même qu’elle a d’abord choisi, essayera de le plier à ses désirs, et n’acceptera enfin de se soumettre à lui que s’il consent à payer sa grandeur et sa solitude du prix de son bonheur. Mais ce long marchandage, c’est toute l’histoire du génie.
Le cercueil fut descendu ensuite au milieu de la multitude, pendant que retentissait pour la première fois la Marche Funèbre fameuse, orchestrée par Reber. Les cordons du poêle étaient tenus par le prince Czartoryski, Franchomme, Delacroix et Gutmann. Meyerbeer marchait derrière le corbillard. On se mit en route par les boulevards pour le cimetière du Père-Lachaise. C’est là que le corps de Chopin fut enterré, son cœur excepté, qu’on envoya à Varsovie, où il est resté depuis dans l’église de la Sainte-Croix. Beau symbole, qui convient à ce cœur fidèle.
Sand se levait tard, parce qu’elle veillait une grande partie de la nuit. Chopin polissait, remettait au net ses œuvres, dont les premières ébauches lui venaient en général pendant l’été. Sa création était toute spontanée. Elle jaillissait au hasard d’une promenade, d’une heure de méditation, ou bien se déroulait subite et complète tandis qu’il était assis devant son piano. Il se la jouait à lui-même, la chantait, la reprenait, en modulait les accents. Alors commençait cet immense labeur des recherches de la perfection, qui seront toujours, quoiqu’on dise, l’ordre essentiel de l’artiste
Laissez-le faire, s’il s’écarte un peu du chemin battu et de l’ancienne méthode, c’est parce qu’il a la sienne à lui, et ses œuvres témoigneront un jour d’une originalité qui ne s’est encore rencontrée chez personne. Il suit une voie extraordinaire, parce que ses dons sont extraordinaires
Le mariage ? Il n'y songeait qu'avec la crainte instinctive qu'en ont les amants véritables: "Vous devenez même chair", dit l'Eglise romaine dans les mots de l'union. Et dans cette union il y a la paix, une immensité de travail. Elle évoque quelque chose de confortable, de légal, mais aussi d'étroit et de mort comme le bonheur.
Il m'a demandé une fois si je savais pourquoi Saint Jean n'a jamais fait de miracles. (...) Parce que la grâce n'accomplit aucune oeuvre ; elle est trop sublime pour ça.
L'amour, l'amour, peut-être n'existe-t-il que dans l'imagination des hommes. Il y a dans ce mot je ne sais quoi de suspect qui vous dégoûte comme une tromperie, une fausse monnaie.
Un artiste, pis encore. C'est le seul civilisé qui ne serve plus à rien lorsque la civilisation a résolu sa ruine.
Et non seulement son âme l'aimait, mais son être entier : il était beau, elle l'admirait. Mais ce qui la retenait toujours et la rendait si décevante, c'était sa volonté de rester dans la vie de Paul comme un idéal indestructible. D'autres femmes le prendraient, le quitteraient ; aucune n'obtiendrait jamais de lui la même tendresse ; elle aimait en lui ce qu'il méprisait.
La vie n'est belle que si l'on se sent indispensable à quelqu'un. Mais je ne suis indispensable à personne, moi non plus (...)
Ma petite, le beau et le laid, ça te dépasse. Tu ne connais que le bon.
Est-ce qu'en cessant d'être esclave on devient forcément déserteur ? Qu'est-ce que cela signifie, déserter ? C'est refuser de mourir pour ce qui ne vous appartient pas afin de vivre pour ce qui vous appartient, n'est-ce pas ? Or, ce qui ne m'appartient pas, c'est le bien des autres, leurs familles, leurs coffres-forts. Qu'ils se battent donc pour les conserver, c'est leur droit. Mais chacun de nous n'a qu'une seule peau, n'est-ce pas ?
Je lui fais signe de jeter son arme et nous marchons alors l'un vers l'autre. On se regarde un moment et puis on se met à rire, mais à rire comme peut-être nous n'avions jamais ri de notre vie. (...)
Ma foi, je riais de cette chose monstrueuse et absurde qui s'appelle la guerre. Depuis des jours et des jours, je vivais dans la peur de tuer. Et voilà que c'était fait, j'avais doublé le cap, je savais que je ne pourrais pas tuer; j'acceptais d'être un lâche... Comprenez-vous ? Ah, ce que j'étais content ! Ensuite, nous jetâmes nos fusils dans un fourré et nous nous mîmes en route sans pouvoir nous expliquer. Mais nous savions que la guerre était finie pour nous.
Mais ignores-tu, petite reine, que le rosier d'amour où le roi cueillait des pétale fleurit chaque printemps de manière différente?
Debout sur le rivage, j'écoutais les bruits nombreux du lac, j'aspirais ses odeurs, je mêlais tout mon être à son étendue, à ses forces, à son mystère. Maintenant qu'approchait le moment où il faudrait le quitter, je voulais emporter le plus possible de sa vie à lui, de ses couleurs, de son secret. Ma petite existence, c'est lui qui l'avait formée, qui en avait nuancé les ombres et les lumières, gravé les quelques lignes profondes. Je le regardais comme d'autres regardent un ami, avec cette même confiance, ce même espoir, et je projetais vers lui mes désirs tendus
Divorcer? Non, elle ne divorcerait jamais. Elle n'avait ni l'allure hardie, ni les hauts talons pointus et agressifs des femmes qui divorcent. Une timide, une acceptante sous ses airs libres, voilà ce qu'elle était.