Hélène Clerc-Murgier

Les églises avaient été son seul refuge enfant : il aimait l’odeur de l’encens qu’on faisait brûler pour dissimuler les exhalaisons des cadavres en putréfaction enterrés dans la chapelle même. Il aimait la chaleur vacillante des bougies, surtout l’hiver. Et la lumière qu’elles diffusaient, douce et effrayante à la fois, à cause des ombres qu’elle faisait naître sur les pierres sombres. Il aimait le rite étrange des offices, les prières, les mines recueillies des fidèles, le cérémonial bizarre et les orgues qui, là-haut, jouaient des psaumes. Il aimait tout cela, et peut-être dans une autre vie aurait-il pu embrasser le clergé.

Où l’on fait la connaissance de Cléomas

Tuer, voler. Cela ne l’avait jamais empêché, une fois son forfait accompli, de rentrer dans une des nombreuses églises que comptait Paris et d’y marmonner quelques prières en un latin qu’il ne comprenait pas, mais dont il trouvait la résonance harmonieuse. Il n’avait pas reçu d’éducation religieuse, cependant la vie dans la rue l’avait tant de fois poussé à se réfugier sous le porche d’une église, ou même à y entrer pour trouver un peu de chaleur, qu’il avait fini par connaître par cœur certains mots prononcés.

Où l’on fait la connaissance de Cléomas

Du plus loin qu’il s’en souvienne, Cléomas avait toujours imaginé sa vie telle qu’il la vivait aujourd’hui. Aventureuse, riche, libre, dangereuse. Il avait décidé de côtoyer la mort avec autant de conviction que ceux qui côtoient Dieu dans les églises ou les couvents. D’ailleurs, l’amour de Dieu ne lui semblait pas incompatible avec la vie qu’il menait.

Où l’on fait la connaissance de Cléomas

Il pensait le monde comme celui dans lequel il avait évolué enfant. Son monde. Galilée avait tout bouleversé depuis Florence. Le grand savant avait construit des lunettes astronomiques qui permettaient d’observer la lune, et affirmait contre l’Église que la terre bougeait.

Où Chevassut doit rejoindre la cour

Jacques rentra chez lui de bonne heure. Il surprit Jeanne qui fixait son visage dans le petit miroir de sa chambre. Elle ne l’entendit pas entrer. Il fut ému par le dessin de sa nuque, par la joliesse de ses oreilles, la blancheur de sa peau et les petits cheveux qui bouclaient dans son cou.
Depuis qu’elle était son épouse, il ne regardait plus les autres femmes, jeunes ou moins jeunes, qu’il croisait. Rien de la galanterie, des usages liés à la séduction, ne l’intéressait plus. Et quand il surprenait Philippe jeter une œillade furtive à un autre homme, autant pour chercher à l’enjôler que pour se rassurer sur son propre pouvoir de séduction, il se demandait si lui-même pourrait encore plaire sous son habit sévère de magistrat. Sans qu’il ne s’en rendît compte, le temps avait passé. Sa jeunesse s’éloignait à grands pas. Il ne faisait que marcher vite, courir, sans prendre le temps de regarder ce qui se passait autour de lui.

Où Chevassut doit rejoindre la cour

Il la fixait. Elle baissa les yeux, il ne restait plus trace de sa superbe. Qu’aurait-il donné pour être à la place de ce valet ? Sa vie. Il aurait donné sa vie pour être aimé par cette femme. (...) Jamais dans son âme n’avaient cohabité l’amour et la haine avec autant de force.

Où Richelieu reçoit une visite qui le bouleverse

Marie de Chevreuse pénétra dans la vaste pièce qui donnait sur le parc. C’était un jour chaud, où le soleil entrait dans toute la pièce et donnait aux meubles, aux objets et aux miroirs un éclat particulier. Sa robe glissait sur le sol, ondulante et gracieuse. Il y avait dans toute sa personne un piquant mélange de délicatesse et de vivacité, de grâce et de passion. Elle avait paré son abondante chevelure d’une chaîne de diamants. Et malgré la naissance de son quatrième enfant l’année précédente, elle semblait toujours aussi jeune. La Rochefoucauld, le comte de Holland, le comte de Louvigny et tant d’autres, tous s’étaient épris de Mme de Chevreuse. Son mari, le duc de Chevreuse, semblait l’ignorer, et était rarement auprès d’elle.
Elle tenait dans sa main son habituel éventail, qu’elle ouvrit et referma dans un geste d’une divine élégance.

Où Richelieu reçoit une visite qui le bouleverse

Philippe se rendit immédiatement sur les bords de Seine, où se trouvaient les bouquinistes de Paris. Il s’était lié d’amitié avec l’un d’eux, vieil homme chenu qui était une encyclopédie à lui tout seul. Il lui acheta un exemplaire de L’Histoire comique de Francion de Charles Sorel.

Où les deux lieutenants continuent leur enquête

Certains lieux ont ce pouvoir de vous envelopper, de vous étreindre, de vous rappeler l’histoire qu’ils portent, comme une richesse, parfois comme un fardeau. Il découvrit alors un village clos dans l’enceinte de Paris, qui lui rappela le château de Vincennes.

Où l’on apprend à connaître une lavandière

La Margot, en les regardant, s’inventait d’autres histoires, de guerre et d’amour, de bravoure et de gloire.
Mais depuis deux jours, son esprit était ailleurs, incapable d’échapper à la vision de ce jeune homme si beau, dont le visage ne cessait de hanter ses pensées. Margot était peu bavarde, contrairement aux autres lavandières qui, elles, piaillaient sans cesse. Elle écoutait beaucoup ce qui se racontait, souvent des cancans ineptes qui la faisaient sourire.

Où l’on apprend à connaître une lavandière

Le passage des grands mousquetaires du roi faisait toujours forte impression. Lorsque Louis XIII leur avait accordé un mousquet, ils avaient changé de nom et d’apparence : la compagnie des carabins créée par Henri IV avait cessé d’exister au profit de cette nouvelle compagnie, dans laquelle n’étaient admis que des hommes jeunes d’extraction noble, venant du Béarn ou de la Gascogne. Et ils avaient fière allure lorsqu’on les voyait passer avec leur casaque bleue courte à larges manches ouvertes, laissant apparaître quatre croix blanches que l’on distinguait de loin.

Où l’on apprend à connaître une lavandière

Tous les jours que Dieu faisait, le rituel était le même : Margot se levait vers six heures du matin, triait le linge, d’un côté le plus raffiné, de l’autre le tout-venant. Elle s’occupait des habits d’une dizaine de familles. En début de semaine, on lui apportait des sacs remplis qui devaient être restitués le samedi.
Puis elle gagnait les bords de la Seine et, en compagnie des autres lavandières, y passait une grande partie de la journée à genoux, les doigts dans l’eau. Sa robe était toujours relevée haut et, au lieu d’en enfiler les manches, elle les attachait sur sa poitrine pour avoir les bras libres.

Où l’on apprend à connaître une lavandière

In silentium cabinettibus. (...) Ce qui sera dit ici restera entre nous.

Où l’on fait la connaissance du prévôt de Paris

Son regard et sa voix étaient d’une douceur terrible. Les hommes la regardaient comme on regarde une divinité, belle et ensorceleuse. Elle condamnait dans un sourire le roi de France.

Où un complot s'ourdit

Mme de Chevreuse trônait. Elle avait fait de sa vie une légende : tout ce qu’elle imaginait, exprimait, observait, devenait un événement. Sa beauté était incomparable, son sourire enjôleur, et il était évident qu’elle n’ignorait rien de son pouvoir de séduction. Son arrogance en témoignait. Pas un geste, une mimique, un regard qui ne fût au service de ses atours.

Où un complot s'ourdit

(...) dans la rue Saint-Nicolas-du-Louvre, entre le Louvre et le palais des Tuileries, s’élevait l’hôtel le plus luxueux et le plus richement meublé qui soit en France, celui du duc de Chevreuse. Construit à côté de l’église Saint-Thomas-du-Louvre, son voisin le plus proche était l’hôtel de Rambouillet.

Où un complot s'ourdit

Un astrologue a prédit que Louis XIII ne vivrait pas longtemps. Vous connaissez le pouvoir de ces charlatans sur les gens de la cour.
– C’est auprès de la population tout entière que ces charlatans ont du pouvoir, je crains de vous le dire.
– La reine mère Marie de Médicis elle-même m’a toujours affirmé que lorsqu’elle était enfant, dans son palais de Florence, une sorcière italienne lui avait assuré qu’elle serait un jour reine de France. Et elle considère à juste titre que cette prédiction s’est réalisée. Et apporte donc du crédit aux astrologues.

Où Chevassut & Philippe de May rencontrent Richelieu

C’étaient les premiers jours du printemps, ceux où l’on commençait à voir un peu mieux le fond de la Seine ; l’eau n’était plus gelée, et plus aussi froide que les semaines précédentes. La lavandière avait moins de hâte à finir son ouvrage, son esprit pouvait à nouveau vagabonder, ses yeux errer alentour : les bateaux, les toits des églises, les fagots, les cavaliers qui trottaient sur les berges, les cris, les rires, les pleurs parfois, les rixes et l’eau, miroir du ciel.
Ce n’était pas la première fois qu’un cadavre venait cogner contre le bateau où chaque jour elle frottait, tapait, rinçait avec énergie son linge. La mort rôdait à chaque coin de rue dans Paris. Elle la voyait dans les caniveaux, les rues, avec ces corps entassés à ciel ouvert au cimetière des Innocents. Elle avait une sorte de détachement qui lui était venu à force de les côtoyer. La lavandière occultait leur présence. D’ailleurs dans l’eau, on n’arrivait pas toujours à distinguer s’il s’agissait d’un arbre flottant ou d’un tronc humain. Oui, Margot en était devenue indifférente, mais elle n’était pas la seule. Il n’était pas rare que ses comparses rient en découvrant les visages déformés par des morts souvent cruelles.

Où l’on découvre un joli cadavre dans la Seine

Et puis je dois reconnaître avant tout que la figure emblématique de Nicolas Flamel m'a toujours fasciné. C'était un homme d'écriture, écrivain juré, calligraphe, enlumineur de talent, peintre, dessinateur, épiatphier réputé, libraire enfin.

Où Jacques Chevassut fait la connaissance de Marin Mersenne et découvre que son ami Boivin lui cachait beaucoup de choses

On ne voyait de cet endroit pratiquement que les murs de clôture protégeant l'abbaye et ses terrains, ainsi que le clocher de l'église surmonté d'une frêle aiguille qui perçait le ciel du côté de l'orient ; tout autour s'étendaient des champs cultivés, des jardins, des potagers et des vignes, dont la plupart appartenaient aux Bénédictines.

Où Jacques Chevassut se rend pour la première fois à Montmartre, et apprend l'histoire de l'abbaye