Hélène Clerc-Murgier

Il arriva chez lui et trouva sa femme Jeanne qui cousait près de la fenêtre. Elle ne l'entendit pas entrer, et il la contempla un log moment; penchée vers son ouvrage, elle avait une expression concentrée qui révélait une grande sérénité, un grand calme. Une moitié de son visage était dans l'ombre, cachant presque entièrement son oeil droit dont la paupière arrondie laissait apparaître une pâle tache de lumière qui se prolongeait vers le haut de la pommette.
Sur l'autre moitié glissait, caressant sa peau douce et dorée, une lumière plus vive qui, sur le front et à l'arête du nez, était presque blanche, brillante, faisant ressortir le dessin en courbe douce de ses sourcils, de la bouche et plus globalement de sa joue arrondie. Ses doigts, repliés avec force et constance sur une mince aiguille, étaient totalement immobiles, tandis que sa main droite dessinait avec rapidité et précision d'étranges arabesques dans l'air, au-dessus de l'ouvrage. Elle avait noué ses cheveux, délicatement parfumés d'eau d'ange, avec des rubans de soie couleur et safran, qui lui enserraient harmonieusement la tête. Sa robe de velours pourpre était enrichie de perles et rehaussée de manches bouffantes couleur or.

Où Jacques Chevassut trouve un peu de réconfort

Son regard et sa voix étaient d’une douceur terrible. Les hommes la regardaient comme on regarde une divinité, belle et ensorceleuse. Elle condamnait dans un sourire le roi de France.

La nature a fait qu’un homme et une femme s’emboîtent parfaitement. Et que deux hommes, mon Dieu ! Je n’ose même pas y penser.

Mais la reine est désirable, et son mari le roi de France l’abandonne comme un vieil habit. À peine s’il la regarde. Un rosier ne fleurit que lorsqu’on l’arrose avec soin.

Vous avez Richelieu à vos pieds. – Je ne le veux pas à mes pieds, je le veux à genoux. Suppliant pour demander grâce. Les ministres changent, pas les princes. Regardez Concini, regardez La Vieuville. Et même feu mon mari le duc de Luynes.

Je n’use de mes charmes qu’avec les hommes qui me plaisent, il en a toujours été ainsi. C’est mon privilège.

Elle avait fait de sa vie une légende : tout ce qu’elle imaginait, exprimait, observait, devenait un événement. Sa beauté était incomparable, son sourire enjôleur, et il était évident qu’elle n’ignorait rien de son pouvoir de séduction. Son arrogance en témoignait. Pas un geste, une mimique, un regard qui ne fût au service de ses atours.

J’ai appris à connaître les grands de ce monde. Ils ne s’entourent que rarement d’hommes de valeur. Ou plus exactement ceux-ci restent dans l’ombre et sont inaccessibles, comme le Père Joseph. Ceux que vous pourrez approcher, et qui vous donneront l’impression d’avoir une prise sur le monarque, ceux-là ne sont que des bamboches faites pour éloigner les opportuns. Des épouvantails. Ils ne sont rien, ne servent à rien, se gonflent d’une importance qu’ils n’auront jamais. Fuyezles, ils vous feront seulement perdre votre temps. Vous vous apercevrez en vieillissant que c’est un des biens les plus précieux que vous possédez.

– ...Vous apprendrez très vite qu’un homme tient plus souvent à ce qu’il cache qu’à ce qu’il veut bien montrer.
– Mais on contrôle davantage ce qu’on veut montrer que ce que l’on veut dissimuler.
– Ce n’est pas toujours vrai.

On vous confie quelque nouvelle d’importance et, en toute conscience, vous allez la répéter à votre femme ou à votre meilleur ami. Celui-ci se sent déjà moins lié par le secret, puisqu’il y a eu un intermédiaire. Il va donc pouvoir le répéter sans trop de culpabilité à une autre personne, soit pour se gonfler d’importance, soit pour nourrir une conversation. Puis cette personne le répétera à une autre, pour les mêmes bonnes raisons. Le secret va se dissoudre, se transformer, ne sera bientôt plus qu’une charpie indigeste. Voilà pourquoi, malgré tout l’amour et toute la confiance que je lui porte, tout ce que j’entends dans le cadre de mon travail n’est jamais confié à ma femme.

Et ils en ont une plus redoutable encore, la pire de tous, la duchesse de Chevreuse. Plus ensorceleuse qu’une magicienne, plus enjôleuse qu’une diseuse de bonne aventure. Capable de vous faire croire que ce n’est pas la terre qui tourne, mais votre tête, que ce n’est pas le vent qui souffle, mais votre oreille qui siffle. Marie de Chevreuse ! Combien de temps la trouverai-je encore sur mon chemin, guettant le moindre faux pas, utilisant la moindre brèche, jouissant de la moindre faiblesse ?

Mon métier est d’être au courant de tout ce qui touche à l’État, les grandes choses comme les médiocres, et de démêler sans cesse le vrai du faux. Même si en matière de conspiration, il est impossible d’avoir des preuves mathématiques : on a l’entier éclaircissement d’une conspiration lorsque l’événement s’est produit. C’est-à-dire trop tard. Ainsi doit-on agir sans tarder mais avec la plus grande prudence.

La jalousie est le tyran du royaume de l’amour.

Miguel de Cervantès

Les grands embrasements naissent de petites étincelles. La mort n’a qu’un instant, et la vie en a mille.

Richelieu

Rien de plus aisé que de tuer par surprise, et assez précisément.

On pourrait par exemple imaginer que le pommeau se transforme en plume pour écrire, ou qu’il s’éclaire pour que nous y voyions un peu lorsque la nuit tombe. Ou encore, pourquoi pas, qu’on puisse y accrocher une lanterne, ou qu’on y glisse quelques pièces d’or que l’on voudrait dissimuler à la convoitise de gredins dans votre genre.

Le parfum ne cache pas seulement les odeurs, il les assainit et protège le corps des maladies en pénétrant à l’intérieur des organes. Vous sentirez bon et serez en pleine santé.

Il vous faut désormais prendre soin de votre corps, de vos habits. Gardez-vous d’être aussi malpropre sur votre personne ou crasseux sur vos vêtements. Il vous faudra être pourvu de linge et en mettre du blanc tous les jours. On reconnaît à cela un homme de qualité.

Les hommes qui parlent le moins sont les plus vaillants.

Du plus loin qu’il s’en souvienne, Cléomas avait toujours imaginé sa vie telle qu’il la vivait aujourd’hui. Aventureuse, riche, libre, dangereuse. Il avait décidé de côtoyer la mort avec autant de conviction que ceux qui côtoient Dieu dans les églises ou les couvents. D’ailleurs, l’amour de Dieu ne lui semblait pas incompatible avec la vie qu’il menait.
Tuer, voler. Cela ne l’avait jamais empêché, une fois son forfait accompli, de rentrer dans une des nombreuses églises que comptait Paris et d’y marmonner quelques prières en un latin qu’il ne comprenait pas, mais dont il trouvait la résonance harmonieuse. Il n’avait pas reçu d’éducation religieuse, cependant la vie dans la rue l’avait tant de fois poussé à se réfugier sous le porche d’une église, ou même à y entrer pour trouver un peu de chaleur, qu’il avait fini par connaître par cœur certains mots prononcés.