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Citations de Henri Meschonnic (153)


Henri Meschonnic
Non, nous ne pensons pas encore

« Quand j’ai découvert mes principes, tout ce que je cherchais est venu à moi. » Montesquieu, préface de L’Esprit des lois.

Nous ne pensons encore ni le langage, ni le poème, ni l’éthique, ni le politique, tant que nous ne les pensons pas dans leur interaction, dans leur implication réciproque, et telle que chacun des termes modifie tous les autres et est modifié par eux.

Il ne s’agit donc pas ici du directement politique, ni du politique isolé comme on fait d’habitude, séparé de la pensée philosophique, ou de la chose littéraire, comme Céline et Heidegger en sont les exemples types. Ce qui permet cette petite merveille de lâcheté intellectuelle, et de non-pensée de la littérature ou de la philosophie, qui consiste à séparer la grande pensée et la petite politique, ou les grands romans et les essais de Céline. Ce que les philologues appelleraient la lectio facilior, alors que la lectio difficilior est plus forte, qui ne sépare pas entre les deux. La philosophie, et l’engagement humain-inhumain de Heidegger dans le national-socialisme. Comme disait à peu près Hugo, la philosophie veut des moments tranquilles.

VOIR AUSSI
Heidegger, En chemin dans la pensée
Nous ne pensons pas encore tant que nous pensons dans l’hétérogénéité culturelle des catégories de la raison : le langage à part, pour les linguistes, avec toutes ses subdivisions, selon les langues et les spécialités - toutes légitimes ; la littérature et la poésie, pour les littéraires ; l’art pour les critiques et les historiens d’art ; la philosophie pour les philosophes - les seuls qui sont censés penser - et selon aussi ses spécialités autonomes, l’éthique pour les spécialistes de l’éthique, le politique pour les spécialistes de la philosophie politique, et puis l’esthétique pour les spécialistes de l’esthétique, sans oublier la psychologie et la sociologie pour leurs spécialistes. Comme le montrent nos disciplines universitaires.
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Henri Meschonnic
L’Improviste, 1999


les morts sont couverts de mots
mes mots sont pour ceux qui vivent
ils ne ferment pas une vie
je ne fais que commencer
de les dire des bouts de mots
qui sortent à peine de nos bouches
tant ils sont mêlés à nous
que la phrase à dire c’est nous
elle n’est pas pour les pierres je
ne sais pas ce qu’elle dit elle
continue si on s’arrête
se tait si on parle trop
on avait enterré un cimetière
pour le sauver
les pierres plus
fragiles que nous depuis
qu’on les dresse vers le ciel
pour qu’elles tournent avec les astres
qu’elles nous portent dans les temps
nous n’avons pas ce temps mais
nous sommes le temps du temps et
les pierres ne portent plus que
des mots dont l’air s’est perdu
on les déchiffre on écoute
l’absence
c’est nous sans nous
la force de ce qui n’est pas
écrit la main touche les lettres
et passe

oui
c’est moi
qui manque aux mots
non les mots qui me manquent j’ai
dû dormir quand il ne
fallait pas je n’étais pas
présent quand on leur a fait
dire ce que je ne voulais pas
depuis je travaille pour le silence
j’amasse l’absence des mots
je laisse une place vide dans
tout ce qui est dit c’est la
place du mot à dire pour que
la mer s’arrête
les pierres montent
je suis le vide
de ce mot

nous du temps que nous parlions
aux pierres
nous avons pris leur
sens leur temps et maintenant
leur mémoire est en nous elle
marche dans nos pas elle bouge
dans notre chaleur nous ne
faisons plus la différence
entre ce qu’elles disent et nous
le temps des pierres c’est nous et
nous sommes pleins de cris que nous
laissons sur nos passages comme
des pierres
en nous tenant l’un à l’autre
pour trouver parmi elles notre
chemin.

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Henri Meschonnic
De monde en monde

poèmes

Chaque moment je recommence

le désert

je marche chaque douleur un pas

et j’avance

de monde en monde
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Henri Meschonnic
Tout le monde sait que Bible c’est ta biblia, c’est-à-dire « les livres » en grec. J’ai découvert que cette expression grecque était déjà la traduction d’une expression hébraïque, asefarim, « les livres », qui est sortie de l’usage. Il y a deux façons de désigner en hébreu ce que nous appelons la Bible. C’est Miqra - l’ « appel », au sens de la convocation, qui finit plus tard par désigner la lecture. L’autre terme, TaNakh, est un acronyme, pour Torah (Enseignement), Neviim (Prophètes), Ketouvim (Ecrits ou Hagiographes). [...]

Toute la culture biblique s’est construite dans une théologie de la préfiguration où c’est le Nouveau Testament qui donne son sens à l’Ancien, selon toute une série de lectures souvent sollicitées, comme dans Isaïe.

Les traductions parlent de la « vierge » qui a enfanté, pour faire d’avance allusion à la Vierge mère du Christ, alors que le terme dit a alma « jeune femme », et pas betoula, « vierge ».
On est dans une théologie de la préfiguration. Testament, à l’origine, c’est simplement la traduction en latin d’un terme grec qui veut dire « alliance ». C’est l’ancienne alliance et la nouvelle alliance. Mais tout se passe comme si le Testament prenait un sens testamentaire et faisait de l’hébreu, devenu juif, du judéo-chrétien, c’est-à-dire un élément constitutif d’un ensemble judéo-chrétien. Or, ici, l’élément juif est maintenu comme témoin de l’erreur.

Ça ne fait que concrétiser que la Bible est devenue fondamentalement un texte chrétien. C’est pourquoi je travaille à la réhébraïser, à la déchristianiser, à la déshelléniser et à la délatiniser.

La première catastrophe est certainement la Septante, traduction de l’hébreu en grec au IIIème siècle avant notre ère... Un exemple, qui est peut-être le plus beau de toutes les erreurs rythmiques dans la Septante, c’est Isaïe chapitre 40 verset 3, qui a été coupé

« Une voix appelle dans le désert / ouvrez le chemin du seigneur ».
Pendant des siècles, la traduction dans toutes le langues européennes a proposé cette coupure. C’est une erreur de rythme, le véritable accent fort passe après

« Une voix appelle (kol kore) / dans le désert ouvrez le chemin... »
(bamidbar panu derekh adonaï). Le groupe de mots « dans le désert » fait partie de ce qui suit. L’hébreu dans son rythme a un sens historique et terrestre, situé par l’exil de Babylone, c’est-à-dire la destruction du premier Temple par Nabuchodonosor : il appelle au retour vers Jérusalem à travers le désert... Le protestantisme commençant pousse effectivement à retraduire, mais les catholiques s’y opposent. Le concile de Trente en 1546 a déclaré seule « authentique » la Vulgate de saint Jérôme, traduction de l’hébreu en latin...

C’est seulement en 1943 que l’encyclique Divino Afflante Spiritu de Pie XII donnera son aval à des traductions de la Bible à partir des originaux. Les premiers traducteurs sont brûlés [Wicliffe, Etienne Dolet...]

Pour moi, parler de texte sacré pour la Bible, c’est de l’idolâtrie. Je me réfère à l’idolâtrie au sens où Maïmonide l’entendait : un culte rendu à ce qui est oeuvre humaine... La Bible est un texte religieux, fondateur d’une organisation sociale de l’éthique et du politique en fonction du religieux.
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Henri Meschonnic
L’hébreu biblique pose énormément de difficultés, avec des mots qu’on ne rencontre qu’une fois. On ne sait pas toujours ce qu’ils veulent dire. Ces problèmes de lexique m’ont plongé dans une spécificité du langage biblique. J’ai pu comprendre très concrètement qu’il y avait un langage poétique très fort dans la Bible et, à mesure que j’en découvrais les beautés, je découvrais aussi combien elle étaient effacées par toutes les traductions françaises et étrangères.

Il n’y a dans le texte biblique ni vers ni prose.
L’idée reçue de toute notre tradition culturelle grecque et chrétienne, c’est qu’il y a des vers et il y a de la prose, et la poésie s’écrirait en vers. Or la Bible est irréductible à l’opposition entre vers et prose. Les livres d’anthropologie biblique montrent que l’hébreu biblique n’a pas de mot pour dire la poésie, il y a le mot chir qui veut dire « chant », et c’est en hébreu médiéval que ce mot a pris, sous l’influence de la poésie arabe, le sens de « poésie ». [...]

C’est la Bible qui a fait l’hébreu, pas l’hébreu qui a fait la Bible.
[...]

Il y a une christianisation généralisée depuis que la Septante (la traduction en grec au IIIème siècle avant notre ère, de l’Ancien Testament) est devenue le texte du début du christianisme. Cette christianisation se retrouve dans toutes les langues. Prenons un petit exemple qui n’a l’air de rien. La cour, au sens de la cour d’une ferme, se dit en hébreu haster. Eh bien, toutes les traductions françaises traduisent par le « parvis ». Le parvis, c’est l’espace devant une église. On ne se rend pas compte de la christianisation ambiante qui a pénétré le texte. [...]

Je ne traduis pas la Bible. Dès qu’on dit le mot Bible, tout est perdu. Le mot Bible est entièrement un mot grec, donc chrétien, propre aux langues européennes.
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je marche mon exode
il n’y a plus de chants
je ne demande plus rien
je suis la plaie où les mensonges brûlent
c’est sous ma peau que remue le monde
la peur tremble embourbée
on avance
je marche derrière ma vie
comme un esclave
je ne supporte pas
le spectacle de mon visage
je vis pour démentir les oracles
on sait de quoi on parle
quand on peut se taire ensemble
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je ne cours pas après la vie c’est elle
qui me croise et me recroise
à chaque regard chaque rencontre
j’en ai dans toutes mes mains
je la crie de tous mes yeux
et elle s’endort dans mes bras
j’en perds le compte du monde
je ne fais plus de différence
entre la mémoire et
l’oubli
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quoi
de moi
dis
quoi de toi
le temps nous roule
dans son eau
nous sommes
deux galets
qui s’aiment
oui une marche
une parole un
pas
mais qui devant qui derrière
ni les pieds
ni les mots ne
connaissent le chemin qui sort
de nous comme un fil qui se
tisse avec nos yeux nos mains
un fil de toi un fil de moi
une voix faite de deux voix
c’est par elle que je vois
jour ou nuit j’offre un rêve je
veille à deux dans un sommeil
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je marche une ville dans la ville
comme l’absence
avec
les yeux qu’elle a pour la vie
pas de hâte pas de lenteur
je longe des maisons vides
elles donnent sur des rêves de rues
on y serre des mains de pierre
les visages portent des ruines
fuir
avant les murs

peut-être on commence à dire
ce qui passe de corps en corps
quand on arrive à entendre
les voix qui parlent seulement
dans les silences de notre voix
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je ne tiens pas mes nouvelles de la
première main il y a eu tellement
de mains mais il n’y a lettre morte
que quand on n’y répond plus et moi
j’ai vu l’homme qui à vu
l’hirondelle
qui a fait le printemps
nous avons été ensemble
dans tout un soleil de pluie
depuis c’est mon anniversaire je le dispose
autour de toi comme des idéogrammes
de nos années où ce qui n’est pas écrit
déchiffre ce qui est écrit nous
sommes ignorants mais
nous écoutons nous répétons
même si nous venons après les mots comme le
sens
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ce qu’on entend à peine est ce qui sourd
lettre
après lettre je
n’ai de sens qu’après ma phrase je n’ai un
sol sous les pieds qu’après le pas je n’ai
d’aujourd’hui que demain je ne suis moi
que toi je ne
prends ma place que si je l’oublie
parler
me défais si je ne le défais pas
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Tu me demandes ce que je ferai quand nous serons ensemble
puisque je n’aurai plus à t’écrire
ensemble ne m’emplira plus des paroles des autres
mes yeux ne serreront plus des ressemblances
de faux fragments de toi
où je tiens à peine à flot
que ferai-je quand tout cela sera ensemble
j’y serai une eau mêlée à l’eau
je me reconnaîtrai
ne sachant plus la différence
moi qui ai déjà tant d’illuminations de toi
un album d’immobiles et je veux une continuité
je n’écrirai plus à toi c’est toi que j’écrirai
je te disséminerai dans les mots où je me rassemble
mes regards pour se vêtir remonteront de leur exil vers toi.
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J’écris des poèmes,
et cela me fait réfléchir sur le langage.
En poète, pas en linguiste.
Ce que je sais et ce que je cherche se mêlent.
Et je traduis, surtout des textes bibliques.
Où il n’y a ni vers ni prose,
mais un primat généralisé du rythme, à mon écoute.
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un visage
mais chaque visage
est la forme de ma vie
et je visage de toi
comme tu visages de moi
plus profond que toute la peau
jusqu’au-dedans où les tristes
retrouvent
la matière
des joies
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nous ne savons pas si

nous ne savons pas si nous sommes venus dans
un envers de l’histoire que des
formules qu’on ne comprend pas ont
recouvert si
nous avons été rêvés ou
si nous appelons sans
savoir ce que nous appelons puisque
ce qui nous arrive
nous enlève
les mots de la bouche pour
nous les redonner mais
les mots sont changés et
nous ne pouvons plus dire de qui
nous sommes un événement mais la peau
a sa mémoire
nous nous serrons
pour ne pas oublier
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marche temps

marche vivre

pas un mot





j’apprends une phrase qui n’a pas
de fin je me la redis
jour après jour ainsi je
me ressemble davantage
mot après mot
notre histoire
peu à peu entre le temps
et nous
plus de différence



marche temps
marche vivre
pas un mot
aujourd'hui pas davantage



je nous rencontre
je me viens
par toi vers moi
un peu plus



aujourd'hui j’ai rencontré
une petite joie je me suis
fait aussi petit qu'elle pour
être l’instant qui en est plein



je sais
à côté
j'écoute
à côté des mots
à côté du temps
pour être
en toi par toi
dans ma vie
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[CHAQUE INSTANT EST UN NOUVEAU VISAGE]



chaque instant
est un nouveau visage
et se vide
l’instant après



ce n’est pas du silence
qu’on entend
puisqu’il n’y a plus de langage
personne pour parler
personne pour se taire
je cherche des mots
mais il n’y a plus de sens



des voix en moi
n’ont pas
de nom
du sans nom
parle par
moi



toute cette absence
n’est pas seulement
en nous
c’est l’absence aussi
de nous
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j’ai toutes les vies dans ta vie
je te tiens par toute la terre
je suis la nuit
pour te dormir
je suis le jour
pour te voir
et nous tournons
autour du monde
le sommeil dans la main
mais les yeux veillent
tous les yeux
sont du voyage
c’est à ne plus pouvoir
dormir
tant il fait clair
cette nuit

p.24
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BLANC COMME LA NUIT


Blanc comme la nuit je ne dors pas
noir comme le matin je me lève
mes mains tremblent parce que je porte mon silence
il faut que je dorme pour retrouver mes paroles
je tiens bon pendant des temps pour te marier à mon bonjour.

Parce que ton silence est une naissance
ta gorge est serrée tu ne peux plus faire un mot
les larmes filtrent la joie comme une essence
tu commences tu veilles même quand tu dors.
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chaque moment je recommence
le désert
je marche chaque douleur un pas
et j’avance
de monde en monde .

et nous roulons dans le monde
comme des galets dans la mer
comme on rêve
d’oublier
que chaque instant est du sang
que d’autres d’autres
coulent de nous
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