Citations de Henri Troyat (1088)
Tout en parlant, il regardait avec une intensité joyeuse Frédéric qui s'asseyait à deux pas de lui, dans un fauteuil, et allongeait les jambes. Ce visage étroit et osseux, à l'oeil de jais, avait l'insolence tragique de certains portraits de la Renaissance italienne.
Il aimait trop l’argent, la puissance. Il avait tout sacrifié à la réussite. Avec l’âge, il finirait par ressembler à Richter. Mais non, Aurelio ne pouvait pas vieillir. Il avait l’éternelle jeunesse du diable.
Quand on a le ventre creux et des poux dans la tête, les joies de l’esprit, mon petit vieux, ne tiennent pas devant une tartine et un morceau de savon.
Ce qu’il faut, c’est essayer de tirer le maximum de plaisir en prenant le minimum de peine. Être parmi les gros malins qui vivent sur le dos de la masse des autres.
L’amour, la paix, la rigolade et le pain pour tous. C’est très beau, tout ça. Mais c’est impossible à une grande échelle. Si tout le monde se croisait les bras et se grisait de hasch et de philosophie hindoue, l’humanité crèverait, la gueule ouverte.
Les femmes devraient accoucher seules, dans les taillis, et ne déranger les mâles que pour leur montrer leur progéniture et les remercier de les avoir fécondées.
Le meilleur d’un être n’est pas ce qu’il disperse à l’extérieur, dans la journée, mais ce qu’il rapporte à la maison, le soir.
Pour tous, en dépit de ses réussites passées, il était un amateur, un fantaisiste. Un fossé le séparait des professionnels au front lourd et aux activités tarifées. Tout se passait comme si, à trente-cinq ans, il n’avait pas encore trouvé sa place dans la société.
Au vrai, il ne lui déplaisait pas de se sentir ainsi disponible. Il eût détesté être prisonnier d’un personnage, d’un métier, d’une réputation. Sa chance était peut-être de n’en avoir pas eu, au sens où l’entendent les artistes arrivés qui se retournent sur leur carrière et en numérotent les étapes.
Nombre de gens admiraient ses tableaux et personne ne se décidait à lui en acheter, malgré ses succès dans l’aménagement de « la Mazurka », aucun autre cabaret, aucun théâtre, aucune production cinématographique ne faisait appel à lui comme décorateur.
Ils n’avaient plus besoin d’un contact physique pour connaître la volupté de la communion. Le véritable amour se situe au-delà du plaisir.
Peindre, pour lui, c’est essayer de fixer ses rêves sur le papier, sur la toile. Et ses rêves avaient toujours une forme qui les apparentait à l’univers réel. Figures altérées, gauchies, certes, mais identifiables, elles obéissaient à des lois oniriques dont il n’était pas maître.
À quoi bon se torturer l’esprit pour des questions subsidiaires, puisque tout finissait toujours par s’arranger d’une façon ou d’une autre ? L’essentiel était de ne jamais sacrifier un rêve agréable à une réalité déplaisante.
Quand les hommes se taisaient, on entendait les cigales.
S’il aimait jouer avec les tissus, assembler des couleurs, choisir des meubles, il se sentait perdu dès qu’il s’agissait du gros œuvre. D’ailleurs le glissement du rêve à la réalité était toujours pour lui une souffrance.
On ne se remet jamais tout à fait d’une crise cardiaque.
Aucune perturbation sentimentale ne pouvait modifier les clauses d’un contrat. Ainsi, ce banal accroc était en réalité une aubaine. Il fallait s’en réjouir et non s’en désoler.
Donc il valait mieux ne rien lui dire. Mais ne rien lui dire revenait à le tromper. Et tromper un ami, c’est plus grave que tromper une femme ! Dans des moments pareils, on comprenait que le théâtre de Corneille n’était pas tout à fait du bidon !
C’est ça, la science ! On va de l’avant ! Une thérapeutique chasse l’autre ! Il y a une mode en médecine comme en couture. Et ce sont les malades qui servent de cobayes ! Quelle saloperie !
D’ailleurs, la fréquentation des gangsters qui peuplaient ses romans policiers lui avait gâté le goût. Elle aimait trop la violence américaine pour apprécier la poésie russe.