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Citations de Irmgard Keun (17)


[Le personnage de Heini est un peu, beaucoup, un portrait grincant de Joseph Roth, avec qui l'auteure avait une liaison quand elle ecrivait ce livre. Dandine]

Heini a passe son bras autour de moi. Sa voix un peu rauque est si enveloppante… Je pourrais l’ecouter pendant des heures, il m’arrive meme de comprendre ce qu’il a voulu dire.

Heini n’a-t-il pas dit : « La chair des femmes et la viande de boucherie ont besoin d’une lumiere savante. L’eclairage, c’est tout dans la boucherie et dans les boites de nuit. »

Heini est venu.« Bonsoir, madame, dit-il en lui baisant la main. Que vous etes belle, un peu barbare. Tiens, vous avez du sang aux oreilles… Ah ! ce sont des rubis. Splendides. »

Heini: -- Un ecrivain ne doit avoir peur de rien quand il ecrit, ni de ses propres phrases, ni de Dieu, ni du monde. Un ecrivain qui a peur n’est pas un ecrivain.
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Les Juifs de la bonne societe restent le plus souvent chez eux. S’ils veulent sortir et se montrer, et voir d’autres gens, ils ont encore trois cafes a Francfort. Ce sont les plus beaux et c’est bien dommage pour les Aryens de ne pas oser s’y montrer. Ils ont tout lieu de craindre, s’ils y vont, de voir imprimer dans le Sturmer qu’ils sont aux gages des Juifs. S’ils sont fonctionnaires, c’est pour eux la mise a pied. Il y a tout juste quelques Aryens assez braves pour s’y risquer, quand ils n’ont pas de situation a perdre. Au café du Rossmarkt, quelques Juifs courageux osent entrer. Ils boivent de la biere claire qu’ils n’aiment pas, pour ne point attirer l’attention et pour se donner l’air d’etre des Aryens. Du coup, dans ce cafe, les Aryens ne boivent pas de biere.
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Betty Raff s’occupe de tout ce qui ne la regarde pas ; c’est une belle ame. Elle veut venir en aide aux gens, les reconcilier. Par grandeur d’ame elle se mele de tout et met partout la discorde. Heini la connait bien: il l’appelle « le coin empoisonne ».Deux personnes ont une dispute; ce ne serait rien et elles se raccommoderaient la minute d’apres si Betty Raff n’intervenait pas pour leur faire faire la paix. Les gens que Betty Raff veut reconcilier sont brouilles pour la vie. « La banquise », disait Heini en parlant d’elle.
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Algin est venu nous rejoindre. Pâle et sombre, il est assis là, les yeux creusés, les mains blêmes à plat sur la table. Il a encore reçu une lettre de l'Office de contrôle des gens de lettres. On va procéder à une nouvelle épuration des écrivains: on va le passer au crible; cette fois-ci, sans doute, il va être sacqué. Il pourrait peut-être se tirer d'affaire en écrivant un long poème sur le Führer: il n'a pas encore pu s'y résoudre.
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Parfois, je me dis vraiment qu'en ce monde il n'y a pas de joies pour les adultes. Quand je serai adulte, aucun jouet ne me fera plus plaisir et je n'aurais plus envie de patins à roulettes, de toupie, de cerceaux, de poupées, ni de rien. Comment vivrai-je alors, quand rien ne me fera plus plaisir ? Parfois, j'ai envie de pleurer parce que je vais devenir une adulte et parfois j'aimerais que ça arrive tout de suite.
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Je suis si triste que c'est comme si j'étais morte. Je cours au cimetière, il est déjà tard dans la soirée, je suis calme et angoissée et l'air est comme un voile de brouillard chaud.
Je voulais retrouver la tombe de ma grand-mère, car au moment de disparaître ma grand-mère m'aimait, et maintenant qu'elle est morte et enterrée, elle continue de m'aimer. M. Kleinerz a dit qu'on ne pouvait faire confiance qu'aux morts.
(...)
Je ne veux pas pleurer. Les adultes rient quand je pleure. Et quand je ris, ça ne leur plaît pas non plus, parce que j'ai fait quelque chose qui ne leur convient pas. Il paraît que je dois apprendre à saisir le sérieux de la vie. Qu'est-ce que ça peut bien être ?
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Etre saoûl, c’est le seul moyen de ne pas être vieux.
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De plus, ces élites sont littéraires, et les littéraires sont terriblement assidues quand il s’agit de café, d’échecs, de discours et autres choses de l’esprit, parce qu’ils ne veulent pas se laisser voir à eux même qu’ils sont paresseux.
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Je suis en général très fatiguée le matin, je mets du temps à m'habiller et je fais couler l'eau très fort dans la salle de bains pour faire croire que je me lave. Je m'assieds sur le rebord de la baignoire pour dormir encore un peu. C'est pour ça que j'arrive souvent en retard à l'école. Hans Lachs dit aussi qu'il est injuste d'atteler les enfants à la roue folle du temps, ce qu'il sait pour l'avoir lu dans de vrais livres d'adultes.
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Il existe des cours pour apprendre les langues étrangères, pour apprendre à danser, pour apprendre les bonnes manières ou la cuisine. Mais il n’existe pas de cours qui vous apprennent à être seule dans des chambres meublées avec une cuvette et un broc ébréché, à être seule sans qu’aucun mot vienne vous dire qu’on se soucie de vous, sans aucun bruit.
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Après le discours des politiciens français et allemands, les gens se sont dispersés peu à peu, et j’ai senti monter en moi de grandes pensées et un désir pressant d’obtenir des renseignements sur la politique, sur ce que veulent les hommes d’État et tout et tout. Les journaux m’ennuient affreusement et en plus je ne les comprends pas bien. J’avais besoin de quelqu’un qui m’éclaire et l’énorme vague d’enthousiasme, en se retirant, a déposé sur mon rivage un homme (…)
Nous sommes allés dans un café. Il était pâle et portait un complet bleu marine, il avait un petit air de Nouvel An — comme s’il venait de partager ses derniers sous entre le facteur et le ramoneur. Mais ce n’était pas le cas. Il était employé municipal et marié. J’ai bu du café et mangé trois parts de tarte aux noix— dont une avec de la crème, car j’avais sacrément faim — et j’étais très avide d’explications politiques. J’ai donc demandé au monsieur bleu marine et marié pourquoi ces hommes d’Etat étaient venus. Là-dessus, il se met à me raconter que sa femme a cinq ans de plus que lui. Je lui demande pourquoi on a poussé des cris en faveur de la paix, alors que nous sommes justement en temps de paix, ou du moins pas en guerre. Il me répond que j’ai des yeux comme des mûres. J’avais peur de paraître idiote mais j’ai demandé prudemment pourquoi les hommes politiques français nous avaient tellement émus du haut de leur balcon— si ça voulait dire que les gens étaient d’accord quand il y avait partout un tel enthousiasme, et si c’était bien certain qu’il n’y aurait plus jamais la guerre. Alors le monsieur bleu marine et marié me répond qu’il vient du Nord et que c’est pour ça qu’il est terriblement renfermé. Je sais d’expérience que tous ceux qui commencent par vous dire : « Moi, vous savez, je suis un être terriblement renfermé », ne le sont justement pas du tout et qu’ils vont tout vous déballer, ça ne fait jamais un pli. C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que la cloche à fromage de la fraternité, au-dessus de nos têtes, se soulevait peu à peu et s’éloignait de nous.
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Quand j'aurai à nouveau le droit de courir autant que je veux, je sais déjà ce que je ferai de magnifique. Je vais coller du papier doré sur mon corset orthopédique et je le portrait par-dessus mes robes comme une armure. Je jouerai à la légende de saint Georges avec Hans Lachs, Otto Weber et Mathias Ziskorn. C'est moi qui serai saint Georges.
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L'été, à l'heure de la sieste, ma mère, Tante Millie et d'autres femmes ont régulièrement poussé de grands cris apeurés et agité les mains dans tous les sens quand les guêpes bourdonnaient au-dessus des tartes aux prunes, avec leurs longs corps annelés et dangereux. Elles trouvaient les abeilles encore plus dangereuses. Et mille fois plus dangereux encore les bourdons, qui ressemblent à de gros coussins confortables et ronfleurs. Alors, une fois, je suis allée voir un arbre de la forêt municipale dans la discrétion la plus totale, j'ai pris une abeille sur une feuille et je l'ai gardée dans ma main jusqu'à ce qu'elle me pique. Ca n'a pas trop mal tourné pour moi, mais pour l'abeille, si. Elle avait perdu son aiguillon, sans aucun moyen de le remplacer. Ma main a un peu gonflé mais il ne s'est rien passé d'autre. Moi qui pensais qu'avec une simple piqûre d'abeille, le monde ne serait plus jamais le même.
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Quand une femme jeune et argentée épouse un homme âgé pour son fric et pour rien d’autre, qu’elle couche avec lui pendant des heures et qu’elle arbore un regard plein de piété on la considère comme un modèle de gemme allemande et de mère, c’est ce qu’on appelle une honnête femme. Quand une jeune femme sans argent couche avec un type sans argent parce qu’il a la peau lisse et qu’il lui plaît, ce n’est qu’une putain et une salope.
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Il paraît qu’il a du génie. Et des principes : les hommes ont le droit mais pas les femmes. Je me demande bien comment les hommes peuvent exercer leurs droits sans les femmes. L’imbécile.
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Ma vie galope, c’est comme un marathon de six jours.
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On connaît ça – les hommes qui au café, avec les copains, sont aussi plein de soleil qu’un ciel d’Italie, qui sont toujours à rigoler et à amuser la galerie – ce sont les mêmes qui, une fois chez eux, dans leur famille, se montre d’une humeur tellement vinaigrée qu’il suffit de les regarder le matin après une nuit de beuverie pour faire l’économie d’un bocal de cornichons.
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