Citations de Isaac Marion (118)
On devrait toujours prendre des photos, même si on n’a pas d’appareil, au moins avec son esprit. Les souvenirs qu’on se fait soi-même, volontairement, sont toujours plus vifs que ceux qu’on enregistre par accident.
Je suis mort, mais ce n'est pas si mal. J'ai appris à vivre avec. Ne m'en veuillez pas si je ne m'étends pas sur les présentations, c'est simplement que je n'ai plus de nom. Comme la plupart d'entre nous. Nous le perdons aussi facilement que des clés de voiture, nous l'oublions comme une date d'anniversaire. Le mien commençait peut-être par la lettre "R", mais je n'en sais pas plus. C'est drôle, parce que quand j'étais vivant, je n'avais pas la mémoire des noms.
Tu ne te souviens vraiment pas de comment c'était avant? Les crises politiques et sociales? Les inondations à l'échelle de la planète? Les guerres et les émeutes, les bombardements incessants? Le monde était déjà mal en point avant que vous arriviez, les gars. Vous n'avez été que le dernier clou enfoncé dans le cercueil.
La mort m'a rendu plutôt zen, en fait.
L'écriture ne se réduit pas à des lettres sur du papier. C'est une façon de communiquer. C'est la mémoire d'un peuple.
Je me souviens du désir, de cet appétit insatiable qui dominait ma vie et celle de tout mon entourage. Dans ces moments-là, je suis content d'en être libéré. Il y a moins de problèmes aujourd'hui. Mais la perte de la plus fondamentale des passions humaines pourrait bien illustrer tout ce que nous avons perdu d'autre. Tout est plus tranquille. Plus simple. Et ça confirme, si besoin était, que nous sommes bien morts.
Tu sais, Perry, dit Julie, d’une voix rendue tremblante par des peines connues d’elle seule. Tout finit par mourir. On sait tous ça. Les gens, les villes, des civilisations entières. Rien ne dure. Alors si l’existence était simplement binaire, mort ou vivant, présent ou absent, rien n’aurait de sens, tu ne crois pas ? […] Ma mère disait toujours que c’était pour ça qu’on était dotés de mémoire. Et du contraire de la mémoire : l’espoir. Ainsi, les choses qui ont disparu peuvent continuer de compter pour nous.
Mais ce qui me rend triste, c'est d'avoir oublié nos noms. C'est ce qui me semble le plus tragique. Le mien me manque et je déplore la perte de ceux des autres, parce que je voudrais les aimer, mais je ne sais pas qui ils sont.
Est-ce que nous essayons de rester en vie parce que nous croyons en la possibilité d'un monde meilleur un jour?
Ce savoir semble grotesque dans mon esprit, mais je m’y accroche et refuse de le laisser filer, le gravant au plus profond de ma mémoire. Pourquoi je fais ça ? Pourquoi est-ce que je tiens tant à connaître les noms et les fonctions de toutes ces structures magnifiques que je profane depuis des années ? Parce que j’estime qu’en les nommant, je leur témoigne le respect que je leur dois. Savoir, c’est souffrir, et je veux ressentir cette souffrance, je veux mieux les connaître et, par extension, mieux me connaître. Savoir qui et ce que je suis vraiment. Peut-être qu’à l’aide de ce scalpel, chauffé au rouge et stérilisé dans les larmes, je peux commencer à gratter la pourriture en moi.
Mais ce qui me rend triste, c’est d’avoir oublié nos noms. C’est ce qui me semble le plus tragique. Le mien me manque et je déplore la perte de ceux des autres, parce que je voudrais les aimer, mais je ne sais pas qui ils sont.
Pour moi, l'avenir est aussi flou que le passé. Seul le présent semble m'intéresser, et encore. La mort m'a rendu plutôt zen, en fait.
Dans ma tête, je suis éloquent ; je grimpe sur des échafaudages complexes de mots afin d'atteindre le plafond des cathédrales les plus hautes et d'y peindre mes pensées.
Je la serre contre moi. Je veux faire partie d'elle. Pas seulement être en elle, mais tout autour d'elle. Je veux que nos cages thoraciques s'ouvrent et que nos coeurs migrent et se fondent l'un dans l'autre. Je veux que nos cellules s'entrelacent.
Tu n'as tout de même pas envie de rester mort toute ta vie ?
Il existe des milliers de façons de vivre et de mourir dans tout le spectre métaphysique, et je ne te parle même pas du spectre métaphorique. Tu n'as tout de même pas envie de rester mort toute ta vie ?
Ça suffit. Reprends ton souffle, même si tu n’en as pas besoin. Laisse tomber cette tranche de vie que tu portes à tes lèvres. Où es-tu ? Depuis combien de temps es-tu là ? Arrête, maintenant. Il faut que tu t’arrêtes. Tes yeux te piquent. Ferme-les bien et prends une autre bouchée.
- De toute façon, ça n'a aucune importance, dis-je d'une voix rauque, fuyant ses yeux. On s'en fout. Ils sont morts. Ça c'est la réalité, et c'est tout ce qui compte.
Nous ne parlons pas pendant quelques minutes. Le vent frais nous donne la chair de poule. Des feuilles aux couleurs vives se fraient un passage depuis les forêts de l'extérieur, tourbillonnant à l'intérieur du stade par sa vaste bouche et atterrissant sur le toit.
- Tu sais, Perry, dit Julie, d'une voix rendue tremblante par des peines connues d'elle seule. Tout finit par mourir. On sait tous ça. Les gens, les villes, des civilisations entières. Rien ne dure. Alors si l'existence était simplement binaire, mort ou vivant, présent ou absent, rien n'aurait de sens, tu ne crois pas ? (Elle lève les yeux vers quelques feuilles qui tombent et tend la main pour en attraper une, une feuille d'érable d'un rouge flamboyant.) Ma mère disait toujours que c'était pour ça qu'on était dotés de mémoire. Et du contraire de la mémoire : l'espoir. Ainsi, les choses qui ont disparu peuvent continuer de compter pour nous. Et nous pouvons ensuite construire un avenir en nous fondant sur notre passé. (Elle fait tournoyer la feuille devant son visage.) Maman disait que la vis n'a de sens que si on est capable de voir le temps à la manière de Dieu. Passé, présent et futur en même temps.
Je me tourne vers Julie, qui, voyant mes larmes, essaie d'en essuyer une.
- Alors, c'est quoi le futur ? je demande, ne me dérobant pas au contact de ses doigts qui effleurent mon oeil. Le passé et le présent sont clairs pour moi, mais que réserve le futur ?
- Eh bien..., dit-elle, avec un rire un peu forcé. C'est là que ça devient délicat. Le passé est constitué de faits et d'histoire... Je suppose que le futur repose sur l'espoir.
- Ou la peur.
- Non. (Elle secoue la tête avec fermeté et plante la feuille dans mes cheveux.) L'espoir.
On est ce qu’on est, peu importe comment on en est arrivé là. Ce qui compte, c’est la prochaine étape
Je suis mort, mais ce n'est pas si mal. J'ai appris à vivre avec.