AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Isabelle Clair (10)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées
Sociologie du genre: Sociologies contempora..

« Dans un monde qui s’entête à masquer les rapports de pouvoir, on montrera combien ces lunettes sont indispensables, mettant au jour un angle mort que les autres lunettes sociologiques ne savent pas réfléchir. »



Je trouve nécessaire de lire, régulièrement, des ouvrages de synthèse, des ouvrages qui reviennent sur l’histoire proche des idées ou des mobilisations sociales, pour remettre en perspective des débats et éclairer des coins plus sombres, oubliés ou omis dans des études plus « pointues ».



Le livre d’Isabelle Clair, qui ne dédaigne pas l’humour, est d’une grande clarté, loin du jargon, de cette sociologie qui « s’embarrasse de subtilités lexicales excluantes pour qui ne maîtrise pas toutes les genèses ni les controverses, une intellectualisation qui, parfois, perd de vue la mission principielle de diffusion au plus grand nombre, à des fins de libération collective ». Elle ne dédaigne pas d’appuyer sur la critique d’une certaine sociologie, aveugle à la division sexuée du travail et aux autres dimensions du système de genre, « Le genre casse l’ambiance : il ne peut être remisé dans une différence appartenant au passé de chacun.e, il rend hétérogène la communauté ; il rappelle constamment que les hommes (qui étaient là les premiers) sont susceptibles d’y jouer le mauvais rôle », « Au fond, les sociologues sont empêtré.e.s dans le genre alors que leur travail, c’est précisément de n’être jamais empêtré.e.s, de tout ”objectiver”, de refroidir le monde social pour mieux le ”désenchanter” ». Elle ajoute, contre les réductions scientistes, « La sociologie du genre est une sociologie politique » et « Elle tend ainsi à l’ensemble de la sociologie un miroir qui grossit son ancrage historique et social : science du social, la sociologie – du genre et hors de lui – est une science dans le social ».



La présentation des débats autour du concept de genre, son histoire, ses apports, ses limites (par exemple : occultation de l’asymétrie entre les sexes et leur hiérarchisation, ou pour le dire autrement « sous le genre, disparaissent les femmes » ou « c’est aussi le ”sexe” qui s’évapore »), ses dérives institutionnelles et sa dépolitisation, etc.. me semble singulièrement riche.



Faire le détail des analyses sur un ouvrage de synthèse, n’aurait aucun sens. Tout en soulignant la présentation autour du travail, « prendre en compte toutes les activités réalisées par les femmes, et presque exclusivement par elles, y compris gratuitement et dans l’indifférence collective », et de la sexualité dans la première partie de l’ouvrage, ou les invitations aux ouvertures dans la dernière partie, je ne mets en avant que deux thèmes, contre les silences fort répandus, en puisant, subjectivement, dans les propos de l’auteure.



Le genre. « Le genre n’est pas une variable », « le genre n’est pas qu’une affaire de femmes », « il agit partout et tout le temps, son empire se manifeste dans toutes les têtes et dans toutes les institutions, y compris dans les univers exclusivement peuplés d’homme ». Un système. « … le genre n’est pas un thème. C’est une logique sociale qui, traversant la société, doit en traverser les explications ».



Un point de vue (toujours) situé. « Occupant une position qui rompt avec la position habituelle des savants, elles voient le monde sous un autre angle » ou « c’est seulement en étant conscient.e de cet enracinement social, et donc en le reconnaissant comme quelque chose d’inévitable, que l’on peut réellement faire de la science »





« Continuer d’écarquiller les yeux en partant du principe qu’il est de nombreux aspects de la vie sociale qui, parce qu’ils ne semblent pas les concerner directement, sont spontanément imperceptibles ; être vigilant.e.s à ne pas se reposer sur la perception devenue évidente de certains clivages sociaux pour se rendre aveugle à d’autres ; et donc améliorer les lunettes existantes, voir en construire de nouvelles, quitte à ce qu’elles entrent en concurrence avec les modèles de départ qui ont contribuer à les faire advenir. »



Un ouvrage comme ouverture, prélude à l’étude, et aux débats nécessaires (dont la survalorisation, me semble-t-il du queer), non seulement sur les différentes analyses et conceptualisations produites mais aussi sur les mobilisations des femmes, contre la perpétuation des pratiques, de « la pente ”naturelle” de l’ordre social jusque dans ses détails académiques ».



Sans oublier l’invitation finale à « s’interroger sur la structure patriarcale de la langue, dans laquelle la pensée prend forme », l’utilisation du masculin comme soit-disant universel, l’omission, justement soulignée par l’auteure, des prénoms des chercheuses, ou « la résistance au dévoilement qui point sous la moquerie, prouvant que toute modeste et imparfaite qu’elle paraisse, la marque du féminin grammatical subvertit un ordre plus grand qu’elle. »
Commenter  J’apprécie          90
Sociologie du genre

Ce manuel est une pépite de références sociologiques qui retracent l'évolution des combats et vagues féministes et plus précisément la naissance du terme "genre" (qui n'est pas qu'à aborder sous le prisme féministe d'ailleurs).

Dans un langage sociologique un peu barbant et destiné donc avant tout aux sociologues, le manuel s'arrête sur la définition et l'historicité de nombreux termes (différence des sexes -> différenciation des sexes, sexe ou genre, patriarcat ou domination masculine...). Il questionne aussi la légitimité et la place de la branche du genre au sein de la sociologie.

De plus le contenu ne s'arrête pas à un féminisme qu'on pourrait qualifier "de base", il cite les plus grandes féministes contrairement à l'ouvrage "La domination masculine" de Bourdieu, et aborde la question de l'intersectionnalité, des mouvements "Black feminism" et queer. Ce bouquin voit large. A travers une fluidité des parties très claire.



Quelques bémols comme les oublis de termes de la part de la sociologue sur la "prostitution" pages 68-69 que je trouve fondamentaux.

Elle indique qu'il y a deux grandes écoles : les abolitionnistes et les règlementaristes comme Gail Pheterson. Mais au-delà de la réglementation, Gail Pheterson livre dans son ouvrage "Le prisme de la prostitution" l'idée de la décriminalisation, qui aurait mérité d'être traité ici. Cette approche n'est pas synonyme de la réglementation et est une pensée importante dans le militantisme de nos jours, dans la manière d'aborder la "prostitution" (Industrie/travail du sexe) et d'en penser son amélioration. de plus, à aucun moment ne surgit l'expression "travailleur.se.s du sexe"

Une légère maladresse est commise page 93 lorsque Isabelle Clair écrit "transformation du sexe (drag, trans, etc.)" lorsqu'on parle + de transition de genre.

Je conçois cependant que l'ouvrage a été écrit il y a dix ans, et que depuis une troisième vague féministe (numérique) a fait surface. Mais également que la sociologue choisit la neutralité politique.



Commenter  J’apprécie          40
Les Choses sérieuses : Enquête sur les amours a..

Enquête d'une vingtaine d'années, riche en nombreux témoignages d'adolescents, qui se sera intéressée à trois terrains différents, d'abord à la périphérie parisienne, ensuite à la ruralité, enfin au centre bourgeois parisien, Les choses sérieuses donne à voir un panorama particulièrement intéressant et complet des amours adolescentes : comment chacun, selon son genre, est perçu selon son rapport à l'amour, au couple, à la sexualité, mais aussi aux autres - où l'on voit que, peu importe le terrain, l'adolescente est une "pute" lorsqu'elle multiplie les conquêtes, alors que l'adolescent est un héros : belle reproduction du monde adulte qui les attend, finalement -; comment la notion même de couple est perçue, comment elle évolue au fil des ans, pour se rapprocher, dans la majorité des cas, de la vision hétéronormée, malgré des tentatives plus diverses sur le terrain bourgeois ; comment le regard que chaque terrain porte sur les autres terrains a aussi une incidence sur son propre regard, plus largement.



Enquête au très long cours, qui est de fait très riche mais qui, comme le constate elle-même Isabelle Clair, ne rend pas de la même façon compte des différents terrains, puisque les deux premières enquêtes ont été réalisées avant l'omniprésence des téléphones portables et des réseaux sociaux dans la société. L'on n'a donc pas tout à fait la même vision des différents milieux, ce dont je me rends notamment compte puisque je travaille moi-même avec des ados, en milieu rural, et que je vois à quel point cela a des conséquences sur leurs amours ces dernières années.



Une enquête éclairante, qui mériterait malgré tout une remise à jour en raison des grandes évolutions sociétales de la dernière décennie, qui ont eu une véritable résonance sur les amours adolescentes. Je remercie les éditions du Seuil et NetGalley de m'en avoir permis la découverte.
Commenter  J’apprécie          30
Les Choses sérieuses : Enquête sur les amours a..

Aujourd’hui je vais évoquer Les choses sérieuses essai sociologique d’Isabelle Clair. Le texte est sous-titré Enquête sur les amours adolescentes. La sociologue a mené des dizaines d’entretiens avec des jeunes sur trois terrains distincts (banlieue parisienne, zone rurale et bourgeoisie parisienne) durant deux décennies. Son travail : « une enquête de terrain au long cours auprès de plusieurs dizaines de filles et de garçons ayant entre 15 et 20 ans » est passionnant.

En effet, les comparaisons entre les terrains de l’enquête montrent un certain nombre de points communs et permettent d’identifier des invariants concernant la construction de la mise en couple pour les adolescents. Tout d’abord force est de constater qu’à partir de quatorze ans le statut (couple vs célibataire) prend une importance grandissante. Avant d’entrer dans la sexualité active la question de la mise en couple est prégnante. Isabelle Clair rapporte de nombreux témoignages, son propos n’est pas d’abord théorique, elle choisit d’interroger les adolescents pour comprendre leurs préoccupations. Ainsi le premier amour à cet âge, pour les garçons comme pour les filles est fondateur, la pression sociale du groupe des pairs est indéniable. Le cœur de l’enquête tourne autour d’amours hétérosexuelles, mais à la marge, et notamment sur le terrain parisien, quelques couples homosexuels sont évoqués, avec des problématiques relativement proches. Cependant, force est de constater que vis-à-vis des garçons l’injonction est forte de se comporter en mâle et de désirer les filles. Il est souhaitable de ne pas se comporter comme un pédé. Les filles sont davantage considérées comme sentimentales et doivent se méfier d’une éventuelle catégorisation comme fille facile, elles doivent éviter d’être vues comme des salopes. Il est intéressant de constater que malgré les nombreuses évolutions sociétales (pacs, mariage pour tous, notion de consentement, me too) récentes les adolescents restent assez traditionnels et conformistes.

Les choses sérieuses est un portrait sensible des jeunesses françaises confrontées à la découverte du premier amour, au passage à l’acte, au moment d’envisager une cohabitation amoureuse et aux difficultés de la vie de couple. Au-delà de l’image d’Épinal, cet essai montre bien qu’il ne s’agit pas de quelque chose de léger et sans importance.

Voilà, je vous ai donc parlé des Choses sérieuses d’Isabelle Clair paru aux éditions du Seuil.


Lien : http://culture-tout-azimut.o..
Commenter  J’apprécie          30
Eleni Varikas : Pour une théorie féministe du p..

Un effort constant pour saisir le politique dans ses multiples et différents points d’irruption



« l’étranger porte au cœur du monde autochtone le type d’hétérogénéité et de diversité qu’on n’attend et qu’on ne tolère normalement qu’à distance »



Dans leur introduction générale « La République vue par une étrangère »,Isabelle Clair et Elsa Dorlin présentent le parcours de l’autrice et abordent, entre autres, la recherche historique, l’enfouissement de « l’histoire des vaincus », la mise à jour de « traditions cachées », du Journal des dames (au XIXe siècle en Grèce), ce qui relève déjà du « politique » dans les expériences singulières, les graines de révolte, « le personnel est politique », Olympe de Gouges, ce qui « se trame à l’ombre des Lumières », le féminisme, ce qui empêche la fête de se tenir, la philosophie politique, la critique de la naturalisation, le privé et ce qui légitime pour certain·e·s « un territoire d’exception aux pensées de l’émancipation », la notion de « genre », les catégories d’analyse et leurs situations historiques et sociales, la parité versus l’égalité, le travail d’historicisation, le « risque de fâcher », la multiplicité, les « parias ».



Le titre de cette note est emprunté à l’introduction dont je reproduis le dernier paragraphe :



« Tous les textes qui composent cet ouvrage nous ont paru les plus pertinents pour éclairer l’itinéraire intellectuel d’Eleni Varikas. Ces textes ont structuré nos réflexions, ils les ont enrichies, et ils nourrissent nos engagements. Ils ont été choisis, en dialogue avec leur auteure, pour leur représentativité thématique et leur exhaustivité chronologique. Ils permettent de former un ensemble qui restitue sa pensée politique et ils témoignent de l’originalité et de la centralité de sa contribution théorique aux études féministes et aux études de genre, comme à l’histoire et à la science politique. Cet ouvrage tente de donner corps aux compagnonnages intellectuels et affectifs tissés par et autour d’Eleni Varikas : le choix des articles et des interventions, qui étaient pour une part devenues introuvables, celui des personnes qui ont eu la générosité d’introduire les textes, comme l’agencement général du livre incarnent le dialogue continué qu’elle a toujours su rendre possible entre les disciplines, les générations, les traditions critiques et les luttes sociales. »



Devant la richesse des propos, la force des analyses, la diversité des sujets traités (et certaines miennes incompétences), je choisis subjectivement de n’aborder que certaines idées développées dans les textes d’introduction et les textes d’Eleni Varikas.





Michèle Perrot parle, entre autres, de la genèse d’une conscience féministe dans la Grèce du XIXe siècle, de lecture, d’ouverture à l’exploration de soi, de la revendication du « mariage d’amour », de l’imaginaire et de ses potentialité de subversion, « Le désir est une révolution en puissance », de sentiment de différence, de la commune « condition », du « nous » distinct des « ils » du pouvoir, de l’accès « au statut d’individu universel, sans limite liée au sexe »…



Eleni Varikas rend compte d’un « processus par lequel ces femmes furent amenées à réélaborer les données objectives de leur existence, à contester la signification sociale qui était accordée à celle-ci, et à construire dans ce processus une identité collective leur permettant d’agir en tant que groupe pour transformer leur position ». Elle aborde l’univers de l’éducation féminine au XIXe siècle, l’accès à la lecture, « un moyen d’explorer leur subjectivité à travers l’univers de la fiction », l’essor et la féminisation des services domestiques, le « je » féminin, « le je suis ou je veux féminins ne pouvaient être proférés à haute voix », le dogme de l’égalité dans la différence, la solidarité et l’action commune des femmes comme « seule alternative à l’antagonisme destructeur qui caractérise la course aux faveurs masculines »…



Antonio Negri revient sur 1793, la vertu républicaine et la vertu féminine, l’exclusion des femmes enracinée dans une inclusion révolutionnaire, la contradiction entre l’exclusion politique des femmes et l’universalité de la Déclaration des droits, le rôle de la « nature » pour articuler suppression des privilèges et maintien des différences, l’universalisme comme mécanisme différentiel…



Eleni Varikas analyse les rapports sociaux de sexe dans nos sociétés « démocratiques », la division sexuelle des espaces et des valeurs, la scission entre « vertu féminine et vertu républicaine », les continuités et les ruptures dans l’universalisme républicain, la visibilité de quelques femmes et son caractère « contre nature et menaçant l’ordre », la portée des déclarations d’Olympe de Gouges, les premières revendications d’égalité, les contradictions entre logique universalité et droits des femmes, les sujets faisant loi, l’appartenance au genre humain comme « suffisante pour l’égal droit au bonheur », l’instabilité nouvelle de la législation de la domination, ce qui fait rupture et « le manque de rupture », la facilité de l’extension de droits préexistants et la difficulté d’en instaurer des nouveaux, les antinomies de l’émancipation et l’instauration de « l’égalité sous forme de privilèges », la coexistence « à coté d’un système universaliste fondant les droits des individus sur l’unité du genre humain, d’un autre système, tacite et informel, qui fonde les droits (et les devoirs) de groupes humains sur l’évaluation hiérarchique de « leurs » différences », les argumentaires visant à nier la pertinence de « tout critère commun de citoyenneté entre hommes et femmes »…



Si les fondements théologiques sont écartés, les nouvelles hiérarchies se justifient « au nom de la Nature ». Il devient possible de concilier l’abolition des privilèges de naissance et la persistance de privilèges « de genre, de « race » (et plus tard de classe) », de construire ensemble le similaire et le différent, « La naturalisation des inégalités offrait une solution privilégiée à la nouvelle fragilité de la légitimité de la domination », de justifier les exclusions qui n’aillaient pas de soi…



Il ne s’agit donc pas d’un à-coté du principe républicain, mais bien d’un paradoxe au cœur de la république. L’autrice parle aussi des « passions », de la place du « contrat », du nœud inextricable « du rapport antinomique égalité-différence » », d’une tension interne au concept même d’égalité… « Ce paradoxe est celui de la dynamique contradictoire de la conception abstraite (homme, citoyen, peuple) qui était à la fois la condition préalable pour faire accéder toutes les particularités à l’universalité du droit naturel, et le moyen redoutable de les occulter ». Ce qui est cause n’est donc pas l’impossible intégration des femmes dans le corps politique mais bien « le corps politique lui-même »…



Catherine Achin revient sur les débats autour de la parité versus l’universel multiple, les dangers d’une certaine démocratie paritaire, les liens entre genre et démocratie, les individu·e·s non considéré·e·s comme « à part entière » mais comme « groupe homogène », l’unification coercitive de la « diversité », les normes uniques et exclusives, la place des « minoritaires », ce qui est nommée société humaine, « La société humaine n’est pas « naturelle », elle est construite politiquement, elle est arbitraire, injuste, mais, de ce fait, transformable », comment le genre constitue le politique et est constitué par lui…



Eleni Varikas souligne l’incapacité de la démocratie historique d’inclure une catégorie majoritaire de citoyens – en l’occurence les citoyennes. Elle propose de « distinguer entre la démocratie « réellement existante » ou historique et l’u-topie démocratique ». La représentation/réduction de l’universalisme à l’« UN » rend irreprésentables toutes celles et tous ceux « qui ne correspondent pas à cette norme unique ». Les aspirations de la « multitude à plusieurs têtes » a cependant existé comme désir et horizon de la liberté. « L’utopie démocratique de la citoyenneté ne saurait donc se réduire au droit de participer à la vie en commun telle qu’elle est ; elle exige préalablement le droit de tous et toutes de participer à la définition de ce qui est commun et de ce qui est propre aux êtres multiples et mouvants que sont les humains ». Ces éléments font sens dans la discussion sur la parité d’autant que certain·e·s confondent allégrement « pair » et « paire », que certain·e·s ne tirent pas les conséquences de la sexuation de la citoyenneté, du principe de représentation par groupe occultant la « multiplicité constitutive ». Autre chose est à mes yeux, la mise en place de « correctifs » historiquement situés, de mesure d’« action positive ».



Comment résoudre les problèmes que pose la vie en commun ? Qu’en est-il de la juxtaposition de vues fragmentées ? Les un·e·s et les autres ne sont jamais réductibles à être membre d’un seul groupe – ce qui pose, à mes yeux, à la fois le problème de chambres de représentation spécifiques, d’éventuels droit de veto sur certains domaines, la prédominance en cas de désaccord (de conflit de compétence) sur des sujets communs au : un être humain une voix, « les chances d’une véritable transformation sont nulles si celle-ci ne se projette pas dans une vision globale et équitable du vivre en commun ».



Les groupes sociaux ne sont ni fixes ni homogènes, la communauté politique ne peut se réduire à reconnaître la multiplicité des groupes mais bien aussi « la multiplicité de singularités individuelles ».



L’autrice poursuit par une belle critique des « groupes organiques » et des visions associées de la société, « La reformulation de la différence naturelle des sexes a pour effet de neutraliser la dynamique subversive de l’universalisme qui avait déclaré que ce sont les individus, et non les groupes organiques, qui sont les sujets de droit ». Elle aborde les idées que des siècles de légitimation du pouvoir ont « transformé en évidences », les hommes « une des traductions possibles du mâle dans le social », le sexe ou la couleur de peau « sans autre signification politique que celle que nous lui attribuons », la différence entre fonction et droit. Je souligne aussi les critiques sur les « paires sociales » la famille comme soit-disant « unité naturelle d’intérêt naturelle ».



Aux définitions normatives et aux considérations sur l’hétéronomie des femmes, il convient d’opposer d’autres règles, prenant en compte les besoins et les aspirations multiples, « Intégrer les exclu·es dans les assemblées ne fera pas de celles-ci des assemblées plurielles tant qu’ils et elles ne pourront parler de leurs « différences » que dans les termes établis dans leur dos », la contribution mouvante et donc imprévisible de chacun·e, une véritable « dynamique de mixité » se substituant aux inclusions ou exclusions « spécifique » et « identitaire », la perspective d’un « universel multiple »…



Elsa Dorlin aborde la modernité, les apories des pensées critiques, le « postmodernisme », les pensées migrantes, l’historicisation et la re-politisation des concepts, ce qui fait histoire, « les nœuds d’une histoire qui ne passe pas, celle des vaincu·es, des oublié·es », l’histoire des « vies endommagées », ce qui peut « attiser la rage transformatrice »…



Je me retrouve très largement dans la critique qu’Eleni Varikas porte aux « forme de pensée postmoderniste », aux faibles ‘échanges entre des pensées géographiquement séparées, à l’ancrage trop local des réflexions, aux différentes myopies, aux marques déposées de groupe. L’autrice souligne « les enjeux d’un dialogue intercontinental sur les options théoriques qui traversent la réflexion féministe actuelle, sur leur compatibilité et leur potentiel critique ».



Je souligne aussi les paragraphes sur la connaissance, « le caractère (historiquement, socialement et culturellement) situé, et donc limité et partiel de notre compréhension/reconstruction de la réalité sociale », la longue tradition d’hétérodoxie dans la modernité, la critique des catégories et de leur « homogénéité présumée », le statut de l’autre abordé d’un point de vue « premier », les unicités construites artificiellement, l’ailleurs conçu comme « absolu », la distance critique et les options politiques, les pensées affirmatives, « Ce retour à la pensée affirmative, cette répudiation du principe espérance au nom du principe réalité, voilà ce que je trouve le plus problématique pour une pensée et une praxis féministes qui se veulent critiques », ce qui n’est pas tolérable… « Dissocier ce qui existe de ce qui devrait exister ne fut pas seulement le point de départ des combats du passé contre la domination ; c’est aussi la démarche qui nous pousse aujourd’hui à sauver ce qui, dans la mémoire de ces combats perdus, recèle une autre vérité que les faits vainqueurs appelés logique de l’histoire »…



Martine Leibovichi discute de l’art du déplacement, du particulier et de la généralité, de la retranscription du « personnel » en « subjectivité », du caractère politique du « personnel », de déviances et d’espaces à soi, de singularités, d’examen socio-politique de soi, « d’une part, on y énonçait son expérience propre sans avoir à se faire la porte-parole de l’oppression des autres, mais à écouter, d’autre part, les récits des autres, on y reconnaissait les traits commun d’une situation d’oppression ».



Une promesse subversive « le personnel est politique », l’échafaud et la demande de liberté, la séparation sexuée et topographique entre privé et public, la naturalisation de la famille, le privé comme espace de « tyrannie » et espace de « privation de droits », la famille comme convention, communauté préétablie et division sociale, l’universel si particulier, la et le politique, une chambre à soi, « un revenu minimum et un espace de subjectivité propre », un espace où l’on peut dire je sans permission… Eleni Varikas indique : « La liberté des femmes dépendra de leur capacité à se tenir à la fois dedans et dehors, à garder une distance critique, une méfiance toujours éveillée face au pouvoir et à ses capacités de « cooptation ». »



Je souligne les belles pages sur Virginia Woolf, la dérision, « une femme sans homme est comme un poisson sans bicyclette ».



L’autrice insiste, entre autres, sur le caractère structurel de la domination, cette domination « à la fois occultée et assurée par le biais de puissantes institutions », les combats sur le terrain du droit, les risques de la rationalisation plutôt que de la subversion, l’échelle des valeurs attachées traditionnellement au privé et au public, les définitions « jamais volontaires », le caractère illusoire « des visions contractuelles comme principe de l’égalité conçue comme égalité devant la loi », la différentiation hiérarchique des sexes et non la différence, les activités domestiques, « cette activité n’est pas moins assujettie à la discipline du temps de l’horloge et à l’instrumentalité de ses impératifs quantitatifs », le corps comme marchandise et « une conception problématique qui fait dépendre les droits de la capacité du travail reproductif », les fausses loyautés, le nous comme sujet collectif – non donné d’avance par une quelconque expérience commune – mais bien par un travail « spécifiquement politique ». Eleni Varikas conclut sur l’intentionnel, le renouvelé, le conflictuel, « le sujet politique apporte sa contribution unique, imprévisible et mouvante à la définition de ce qui est commun »…



Michael Löwy présente huit des « péchés capitaux » des sciences sociales modernes : le positivisme de la « neutralité scientifique », l’enfermement disciplinaire des travaux, la détermination de l’histoire des « mentalités », le gender-blind des sciences, la naturalisation des hiérarchies sociales, l’invention de facteurs « irrationnels » comme explication de phénomènes, les études formelles et purement « logiques » d’oeuvres, les visions linéaires de l’histoire comme progrès…



« les modernes ont réinventé le naturel comme limite de cette liberté humaine que la religion n’était plus en mesure de contenir ». Eleni Varikas aborde le processus de sécularisation, « c’est dans la mesure où la sécularisation minait depuis plus d’un siècle le caractère sacré de l’obéissance – en théorie et dans les pratiques sociales – que la nature, dissociée de plus en plus de ses connotations religieuses, a pu émerger en terrain de resacralisation du pouvoir », l’être humain comme œuvre de elle/lui-même « comme promesse et comme menace », la pluralité de l’action humaine et son imprévisibilité « en ce qu’elle est l’action, non de l’homme, mais de la multitude des êtres humains », l’artifice d’un pouvoir « un et indivisible », ce qui est source de désordre politique et symbolique, les implications du polythéisme cognitif, « il ne peut y avoir une connaissance indiscutable de la nature des choses sur laquelle asseoir des principes politiques », les messages réformateurs (à caractère religieux ou non) et leurs horizons d’égalité et de justice sociale « ici et maintenant », les hérétiques et les réfractaires, le droit d’autodéfense de la multitude…



L’autrice discute de la domination, du contrat, de la puissance conjugale, du droit de propriété, des traditions hérétiques…



Keith McClelland parle des nouvelles formes hiérarchiques, des esclavagisé·es, de la catégorie des êtres « non libres », des rapports entre liberté et esclavage, « l’antinomie entre esclavage et liberté a laissé une marque indélébile sur la façon dont nous pensons ce que nous sommes et avons été ».



Le titre de l’article d’Eleni Varikas en dit bien le centre : « Silence de l’esclavage dans la genèse de la liberté moderne ». L’esclavage est bien une « situation embarrassante » pour la pensée (elle s’intéressera plus loin au « statut de cet embarras », la spécificité proprement moderne du rapport entre liberté et esclavage), les études de l’esclavage et non celles de la liberté, comme le souligne l’autrice, en donnent une bonne indication.



L’autrice parle de banalité de l’esclavage, de son évidence, de son opposition au droit naturel, des notions et définitions de l’esclavage qui « façonnent la conceptualité de la liberté et sa réalité empirique », du Code Noir « ce monument de barbarie moderne » (en complément possible deux textes récents : Il faut débaptiser les collèges et les lycées Colbert ! et Colbert, l’esclavage et l’Histoire), de la propriété sur son corps, des configurations « dans lesquelles ils/elles, sans être esclaves, ne sont ni propriétaires de leurs corps, ni maîtres·ses de leur volonté », de la confusion entre propriété et liberté, du singulier et de l’exclusif, d’« un laboratoire politique précoce où s’invente de fait l’art d’une catégorisation hiérarchique spécifiquement moderne qui façonne les formes politiques et la dynamique du racisme moderne », de poser la question de la liberté autrement : « non pas ce qu’est la liberté, mais qui est libre ! »…



Sonia Dayan-Herzbrun évoque avec chaleur l’autrice, ce goût de la danse, son « refus de l’esprit de sérieux, qui englue la pensée et l’empêche de se déployer », l’exilée permanente, l’auto-qualification de « métèque », la question de « l’impossible identité du concept à son objet, du sujet à lui-même ou à elle-même », les normes qui se prennent pour l’énoncé de l’universel « comme si celui-ci pouvait être un donné », l’incitation à penser en permanence dans l’histoire, l’essentialisation des dominations. J’apprécie particulièrement le terme « métèques humanistes »…



Des choses importantes, des expériences singulières, l’historicité du genre, le principe d’ordre, l’invention d’un soit-disant donné et sa vénération superstitieuse, la contestation du genre comme principe d’ordre, la force subversive du féminisme, le devenir et non l’être.



Eleni Varikas analyse l’historicité des faits, l’émergence de la singularité, le non-identique, l’inachevé, la pétrification du concept « femme
Lien : https://entreleslignesentrel..
Commenter  J’apprécie          30
Retrospectives

« Revenir à l’histoire des définitions et aux débats qu’elles ont engendrés s’avère indispensable pour saisir la «polysémie du mot « genre », ainsi que les éventuels malentendus et désaccords que suscite son usage ».



En introduction, Isabelle Clair et Jacqueline Heinen soulignent la nécessité de « restituer l’histoire des concepts et des usages, pour s’efforcer d’en cerner certaines particularités contemporaines ».



En complément d’autres dossiers publiés antérieurement, « L’accent portera cette fois sur la production des concepts au sein d’institutions académiques et éditoriales : bien que ces dernières soient plus ou moins liées aux mouvements féministes, elles suivent aussi des dynamiques qui leur sont propres. On s’intéressera donc ici à des textes académiques et à leurs auteur.e.s, aux maisons d’éditions et aux revues scientifiques qui les ont publiés ».



Je choisis de ne mettre l’accent que sur certains articles et certaines analyses, comme invitation à lire ce riche numéro en « rétrospectives ».



Les entretiens croisés entre Oristelle Bonis, Cynthia Kraus et Gail Pheterson soulignent, me semble-t-il, à la fois les problèmes de traduction/translation de notions, entre langues et contextes, et à la fois une certaine contingence dans les choix. Ces éléments devraient permettre de relativiser certains débats, de réfléchir aux sens plutôt qu’aux termes.



Oristelle Bonis indique, par exemple : « Ainsi, j’avais traduit situated knowledges par « connaissances situées », mais l’expression « savoirs situés » était déjà couramment employée, sémantiquement inscrite, et je l’ai donc adoptée – un peu à contrecœur parce que « savoir » est un mot plus globalisant, plus élitiste que « connaissances ». »



Les remarques sur les vocables « gender relations », « système de genre », « gendered », « genré », « marché aux femmes », « sexe social » ou « rapports sociaux de sexe », etc. sont aussi très éclairantes



Devant cette difficulté à rendre tous les sens, j’adopte personnellement le plus souvent « rapports sociaux de sexe » en ajoutant entre parenthèses (système de genre) et quelque fois (patriarcat). La difficulté est de même ordre pour les « recouvrements », les entrecroisements. Je trouve sur ce sujet que les formules de Danielle Kergoat « rapports sociaux consubstantiels et coextensifs » plus ouvertes à la complexité que la notion d’ « intersection ».



Oristelle Bonis souligne aussi que « on traduit littéralement, et ce faisant on attribue au mot une signification supplémentaire, on l’affecte à un autre usage », et donne l’exemple de « Genre » comme catégorie d’analyse utile, « même s’il est parfois effectivement utilisé à contre sens, pour dire « sexe » en ne le disant pas ».



Gail Pheterson, indique, entre autres : « Quand j’ai trouvé l’expression « rapports sociaux de sexe », en France, tout de suite ça a eu une résonance pour moi, et j’ai ressenti une sorte de soulagement d’avoir trouvé une issue aux cadres identitaires (par définition, figés) et psychologisants (individualisants même quand les causes sont attribuées au social) ; le concept de « rapports sociaux de sexe » permettant de saisir la dynamique, le sens et l’usage politique de la catégorisation par sexe ». Elle souligne aussi la combinaison des « mythes au niveau biologique » et « des réalités fortes aux niveaux politique et social » ; la nécessité de « ne pas faire disparaître les femmes de la formule des rapports de pouvoir ». Je reste en opposition à ses formules sur le « travail du sexe ».



J’ai apprécié les remarques de l’auteure sur l’humour yiddish et sa phrase conclusive : « Faire justice à un humour tourné contre les conventions hypocrites ou bien contre soi-même n’est pas évident en traduction ».



J’indique pour en terminer avec ces entretiens, mon accord avec Oristelle Bonis sur le langage, « Mais choisir d’utiliser des termes techniques, c’est aussi cibler son lectorat d’une façon très particulière, le rétrécir ou le fermer » ou « Moi qui suis une féministe généraliste, je trouve dommage pour le débat, pour la diffusion d’idées, que la recherche féministe soit à ce point tributaire d’un vocabulaire spécialisé. » Sur ce point, les explications de Cynthia Kraus ne me semblent pas convaincantes « dans la difficulté même de lire, se répercute un travail sur la langue qui vise à agir sur le sujet qui lit, une réflexion sur l’activité de lecture ».



Je rappelle qu’Oristelle Bonis anime une maison d’éditions iXe http://www.editions-ixe.fr/ aux publications passionnantes et qui applique la règle de proximité (« les hommes et les femmes sont belles »).



« Le féminisme du positionnement » de Sarah Bracke et María Puig de la Bellacasa est inscrit « dans les débats féministes sur les liens intimes et inextricables entre lutte politique et production du savoir ». Les auteures prennent l’héroïne grecque Antigone comme accompagnatrice.



« La théorie féministe du « positionnement » (standpoint), considère l’expérience des femmes comme une source de savoir susceptible d’être déployée pour transformer la sphère publique dont elles sont exclues ».



La vie des femmes constitue une « position privilégiée, d’un point de vue épistémologique ». J’aurai écrit donne un avantage (et non un privilège comme certaines le disent) épistémologique.



Les féministes ont mis en avant « la cécité résultant de l’ignorance dans laquelle sont tenus les activités et les savoirs les plus élémentaires qui assurent la bonne marche de notre monde ». Cécité volontaire. Les apports du « Black femininism » sont importants sur le sujet. (Voir, entre autres, Black femininism : Anthologie du féminisme africain-américain, 1975-2000, textes choisis et présentés par Elsa Dorlin, Editions L’Harmattan 2008). Certes, « l’expérience et le savoir ne sont pas des choses équivalentes ». Mais il convient, comme l’indiquent les auteures de rester attentifs/attentives aux expériences pouvant être source de nouveaux savoirs. Sarah Bracke et María Puig de la Bellacasa soulignent aussi le risque de masquer des rapports de pouvoirs en créant une unité artificielle des femmes et de leurs activités, unité qui reste à construire. Hill Collins, citée par les auteures, parle d’une « multiplication des positions inscrites dans les structures sociales elles-mêmes ». D’où la nécessité de développer des analyses « intersectionnelles » et de construire des solidarités, qui impliquent « un effort politique ».



Je reste plus dubitatif sur la notion d’agentivité (agency), car dans aucun rapport social, les êtres humains ne sont réduite-s à des objets, elles et ils sont tout à la fois dominé-e-s et « autonomes », actrices/acteurs dans les contradictions toujours présentes dédits rapports.



Les auteures terminent ainsi : « En refusant de retrancher certaines expériences du domaine politique pour les confiner dans l’individuel ou le privé ; en constituant des alliances permettant la réflexion, l’organisation et le partage collectifs d’expériences exclues et atomisées ; et en reconnaissant que de telles expériences ne vont pas de soi, elles peuvent précisément devenir des ressources disponibles pour une action et un savoir générateurs de changement ». J’ajoute que c’est aussi probablement une des conditions pour que l’horizon d’un changement radical puisse se ré-ouvrir.



Sans revenir sur les apports, et en particulier, de la notion de citoyen-ne-s, et les droits reproductifs comme dimension de la citoyenneté, dans l’analyse du Groupe « État et rapports sociaux de sexe », je suis étonné d’un oubli. Les auteures indiquent : « Si le processus d’émancipation amorcé voici près d’un demi-siècle a contribué à libérer les unes d’une partie des tâches qui leur étaient traditionnellement assignées, il s’est souvent opéré aux dépens des autres – au premier chef des immigrées issues de cultures et de pays divers ». Si des femmes sont en effet libérées de certaines tâches, elles ne le sont pas du souci de ces tâches. Par ailleurs, les bénéficiaires en sont toujours les hommes qui se dispensent et de s’en soucier et de les réaliser à « égalité » avec les femmes…



Le dernier article que je voudrais aborder est celui d’Isabelle Clair. Le titre de ma note en est tiré. L’auteure interroge : « Pourquoi penser la sexualité pour penser le genre en sociologie ? Retour sur quarante ans de réticences » et présente les « réticences raisonnées et historiquement situées » à cette inclusion. Parmi celles-ci, j’en souligne deux : la crainte de la relativisation du travail, la possible mise en sourdine de l’intérêt des hommes à maintenir leur domination.



L’auteure écrit « penser l’ensemble des exclusions sociales et des hiérarchies organisées par les normes de genre, c’est faire la place à l’hétéronormativité ainsi qu’à l’ensemble des sexualités, et aux deux groupes de sexes ». Si dans le système de genre, les deux « classes de sexe » sont déjà présentes dans leur asymétrie de pouvoir et de domination, il ne me semble pas possible de penser les dominations sans prendre en compte l’hétéronormativité. Et la proposition de penser ensemble le genre et la sexualité est donc un enrichissement. Reste ce qui peut-être entendu par « ensemble ».



Pour l’auteure la pensée de l’intersection du genre et de la sexualité est une pensée fructueuse « Non seulement parce qu’elle éclaire les sexualités diverses que (même) l’analyse féministe a eu tendance à laisser dans l’ombre du privé, mais surtout parce qu’elle éclaire le concept de genre, révélant des enjeux de définition et d’usage que ses versions françaises tendent à laisser en suspens ».



Si les sexualités relèvent de rapports sociaux et non d’une nature préexistante, comme je le pense, l’éclairage se précise. L’auteure indique, en évoquant la division sexuée du travail, que « tant que la sexualité était hors sujet, la polysémie était invisible ». Cela permet de mieux déconstruire le bloc, que certain-e-s persistent à présenter, dans lequel « genre, sexe et désir coïncident ».



Parmi les arguments développés, je souligne ceux sur la fausse opposition (opposition construite idéologiquement) entre nature et culture (et donc l’invention d’une nature naturelle préexistante aux rapports sociaux), l’empilement des rapports de pouvoirs (et non leur coextensivité).



Isabelle Clair ajoute : « Si la réalité sociale du genre ne peut toute entière être saisie par le prisme de la sexualité, ni la réalité sociale de la sexualité par celui du genre, il est néanmoins important de souligner que les normes de féminité et de masculinité, les déviances sexuelles, les rapports de pouvoir entre sexualités façonnent de nombreuses manifestations du genre – au-delà des seules pratiques sexuelles ».



Cela ne signifie pas que « la sexualité précède le genre » comme le dit Elsa Dorlin, citée par l’auteure. Il me semble plus judicieux de « privilégier l’intersection sans nécessaire hiérarchie ou antériorité entre genre et sexualité » comme le propose Isabelle Clair. Celle-ci ajoute : « J’envisage plutôt la sexualité comme un foyer possible de la fabrique du genre : non seulement un de ses « sites privilégiés » (key site) de manifestation (Jackson 2005 p15) mais une source d’organisation de la complémentarité (et donc d’asymétrie) entre les groupe de sexes ».



Je partage enfin la remarque « il est également important de souligner l’heureuse difficulté à faire rentrer les pratiques sociales dans des décisions théoriques abstraites »…



Un texte à mettre en regard de son ouvrage de synthèse : Sociologie du genre, Armand Colin 2012



La limitation de cette note à ces quelques articles ne saurait dispenser de lire les autres contributions très riches elles aussi. J’indique juste que celui de Jasbir K. Puar me semble difficile à lire. Peut-être à cause de mon éloignement de ce vocabulaire et de notions peu explicitées, comme d’ailleurs dans son livre paru aux Editions Amsterdam. J’avais donc renoncé à le chroniquer malgré l’intérêt de certaines analyses que j’avais réussi à saisir. Quoiqu’il en soit, ce numéro montre la puissance d’analyse des concepts élaborés par les féministes et leur caractère indispensable pour aborder les rapports sociaux, les dominations et donc l’émancipation.



Sommaire

Jules Falquet et Helena Hirata : À la mémoire de Bruno Lautier (1948-2013)

Dossier

Isabelle Clair et Jacqueline Heinen : Le genre et les études féministes françaises : une histoire ancienne (Introduction)

Oristelle Bonis, Cynthia Kraus et Gail Pheterson : Translations du genre. Entretiens croisés (propos recueillis par Isabelle Clair et Jacqueline Heinen)

Sarah Bracke et María Puig de la Bellacasa : Le féminisme du positionnement. Héritages et perspectives contemporaines

Groupe « État et rapports sociaux de sexe » : Quelle citoyenneté pour les femmes ? État des lieux et perspectives (1987-2012

Isabelle Clair : Pourquoi penser la sexualité pour penser le genre en sociologie ? Retour sur quarante ans de réticences

Nicky Le Feuvre, Pierre Bataille et Laura Morend : La visibilité du genre dans des revues de sociologie du travail. Comparaisons France et Grande-Bretagne (1987-2012)

Jasbir K. Puar : Homonationalisme et biopolitique

Hors-champ

Virginie Vinel : Biographies individuelles et actions collectives : le militantisme féminin dans une vallée sidérurgique lorraine

Manuela Lavinas Picq : Porter le genre dans la culture : femmes et interlégalité en Équateur

Notes de lecture




Lien : https://entreleslignesentrel..
Commenter  J’apprécie          20
Les Choses sérieuses : Enquête sur les amours a..

C'est quoi l'amour, c'est quoi le sexe, pour les jeunes aujourd'hui ? Quelles sont leurs représentations et leurs pratiques amoureuses et sexuelles ? Sont-elles différentes selon les lieux où ils et elles habitent, selon leur classe sociale, selon leur genre ? Sans surprise, l'amour chez les jeunes est l'objet d'injonctions : à l'hétérosexualité, à la virilité pour les garçons et à la retenue pour les filles, notamment.

Ce travail de recherche est passionnant : les analyses se mêlent aux nombreux témoignages. On a l'impression d'écouter les adolescent-es raconter leurs histoires, leurs expériences. La sociologue Isabelle Clair a mené des dizaines d'entretiens avec des jeunes entre 15 et 20 ans de banlieue parisienne, de zone rurale puis de la bourgeoisie parisienne, pendant 20 ans. Cette étude sociologique se déguste comme un roman, et nous en apprend beaucoup sur notre société actuelle, bien au-delà des relations amoureuses.
Commenter  J’apprécie          00
Les Choses sérieuses : Enquête sur les amours a..

Une enquête comparée étudie comment les jeunes de différents milieux envisagent l’amour et la conjugalité et la manière dont il éclaire la question du genre pour cette tranche d’âge.
Lien : https://laviedesidees.fr/Les..
Commenter  J’apprécie          00
Eleni Varikas : Pour une théorie féministe du p..

Merci à Babelio et aux Éditions iXe pour l’envoi de ce livre en échange d’une chronique honnête.



J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer sur ce blog que je cherche à « nourrir » mon féminisme des paroles de féministes importantes, d’horizons, d’origines, d’époques et de communautés variées, afin tout simplement de mieux comprendre mon propre féminisme et d’éviter les travers d’autres personnes qui se disent féministes (notamment, en tant que femme blanche, éviter le « féminisme blanc » à tout prix). À l’occasion d’une précédente Masse critique de Babelio, j’avais découvert les Éditions iXe avec le livre Femmes et esclaves : L’expérience brésilienne 1850-1888 de Sonia Maria Giacomini. Avec leur parti d’utiliser l’écriture inclusive, dont l’accord de proximité, je ne pouvais qu’adorer la démarche, et j’ai donc tenté l’aventure en sélectionnant ce nouveau livre.



Je ne connaissais pas du tout Eleni Varikas (quand je vous dit qu’il a besoin d’être alimenté, mon féminisme…) et pourtant, elle a énormément contribué aux recherches et réflexions sur le genre et le féminisme, en France et à l’international. C’est l’un des aspects qui m’a le plus intéressé : avec la connaissance qu’elle a des études de genre en France, ailleurs en Europe ou encore Outre-Atlantique, elle peut se permettre de comparer son traitement et de dénoncer les travers et les manques dans la « théorie française ».



Ce livre rassemble des essais écrits entre 1991 et 2004, avec certaines positions de l’autrice qui paraissent bien en avance sur le reste des théories et réflexions françaises de l’époque. Elle évoque ainsi les expériences des femmes non-blanches, qu’elles soient noires, tsiganes, chicanas ou asiatiques, mais aborde également le théories queer : j’étais très surprise qu’une chercheuse francophone aborde le genre et le féminisme de façon aussi ouverte déjà dans ces années-là (encore une fois, oui, mon féminisme est plein de trou, je me soigne).



L’édition en elle-même est très bien faite, puisque les lecteur·rice·s ne reçoivent pas les essais de plein fouet. Il faut le dire, ces essais ne sont probablement pas accessibles à tout le monde ou à tou·te·s les féministes en herbe : il faut s’accrocher un peu quand même si, comme moi, vous n’avez pas l’habitude de lire des ouvrages de science politique ou d’historiographie. À titre de comparaison (un peu absurde, certes), Ne suis-je pas une femme ? de bell hooks est bien plus facile à lire. Quoi qu’il en soit, pour mieux comprendre le contexte de ces essais, le livre commence sur une « Introduction générale » d’Isabelle Clair et Elsa Dorlin (consultable par ailleurs, sur le site des éditions en PDF, si vous souhaitez vous faire une idée). Puis, chaque essai est présenté, contextualisé, explicité, ce qui était tout de même une aide infinie pour moi.



J’ai donc appris beaucoup mais je ne doute pas que je bénéficierai d’une deuxième lecture, dans quelques années, quand j’aurai un peu plus de « bagage » dans le domaine. Déjà, c’est avec grand plaisir que j’ai lu les analyses d’Eleni Varikas des écrits d’Olympe de Gouges, que j’avais découverte l’année dernière.
Lien : https://deslivresetlesmots.w..
Commenter  J’apprécie          00
Eleni Varikas : Pour une théorie féministe du p..

J'avoue prendre mon temps pour ce livre. Ce recueil de texte de Eleni Varikas, professeure de science politique, est très dense. Elle s'appuie sur de nombreux faits historiques, de références culturelles pour mettre en avant le féminisme à travers les siècles. Elle met en lumière celles qui ne pouvaient donner leurs avis politiques, celles qui sont longtemps restées dans l'ombre des hommes.

Ce recueil est tres intéressant pour celles et ceux qui veulent enrichir leur reflexion sur le féminisme. Il n'est pas forcément très accessible mais en prenant son temps, tout lecteur peut s'y retrouver. Par contre, je le déconseille aux lecteurs qui ne sont pas un minimum sensibilisés à la cause des femmes. Il risque d'être vite indigeste.

J'essayerai d'enrichir ma critique une fois le livre terminé

Commenter  J’apprécie          00


Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Listes avec des livres de cet auteur
Lecteurs de Isabelle Clair (48)Voir plus

Quiz Voir plus

Chambre 213

Quelle est la couleur des cheveux de la petite fille décédée ?

Blond
Noir
Rousse

5 questions
1 lecteurs ont répondu
Thème : Chambre 213 de Ingelin AngerbornCréer un quiz sur cet auteur

{* *}