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Citations de J. M. Coetzee (473)


(Est-ce la morale de tout cela, pensa-t-il, la morale de toute l'histoire : qu'il y assez de temps pour tout ? Est-ce ainsi que viennent les morales, sans qu'on les sollicite, au fil des événements, au moment où on les attend le moins ?)
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Il découvrit une autre grotte et coupa des broussailles pour en couvrir le sol. Il pensa : Maintenant, à coup sûr, je suis arrivé aussi loin que l'homme peut arriver ; à coup sûr, personne ne sera assez ou pour traverser ces plaines, gravir ces montagnes, explorer ces rochers pour me trouver ; à coup sûr, maintenant que dans le monde entier je suis le seul à savoir où je suis, je peux me considérer comme perdu.
Tout le reste était derrière lui. Le matin, quand il se réveillait, il n'était confronté qu'à l'énorme bloc du jour à venir, un seul jour à la fois. Il se voyait sous l'aspect d'un termite se frayant un chemin à travers un rocher. Il semblait n'y avoir rien d'autre à faire que de vivre. Assis, il bougeait si peu qu'il n'aurait pas été surpris de voir des oiseaux venir se percher sur ses épaules.
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Ce que la sage -femme remarqua d'abord chez Michaël K lorsqu'elle l'aida à sortir du ventre de sa mère, ce fut son bec-de-lièvre. La lèvre se retroussait comme un pied d'escargot ; la narine gauche s'ouvrait, béante. Cachant un instant l'enfant à sa mère, elle enfonça un doigt dans sa bouche, minuscule bourgeon, et constata avec soulagement que le palais était intact.
Elle dit à la mère : " Réjouissez-vous, ils portent bonheur à toute la famille."
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Chacun de nous a fait l'expérience d'arriver dans un nouveau pays et de se voir attribuer une nouvelle identité. Nous vivons, tous autant que nous sommes, sous un nom qui n'est pas le nôtre. Mais nous nous habituons vite à cette nouvelle vie inventée. Votre fils est une exception. Il ressent avec une intensité particulière la fausseté de cette nouvelle vie. Il n'a pas succombé à la pression d'oublier. Ce dont il se souvient, je ne saurais le dire. Mais cela inclut ce qu'il pense être son vrai nom. Quel est ce nom? A nouveau je ne saurais le dire. Il refuse de le révéler- ou il est incapable de le révéler, je ne sais pas exactement. Peut-être, au final, vaut-il mieux que son secret reste secret.
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Ce n'est pas la parole qui fait de l'homme un homme, mais la parole des autres.
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Ils lui ont montré la nudité de son père et l'ont fait balbutier de douleur devant elle ; ils ont blessé la fille devant le père, et il n'a pas pu les en empêcher [...] Dès lors, elle a cessé d'être pleinement humaine, d'être notre soeur à tous. En elle, certaines compassions sont mortes, certains mouvements de coeur ne lui ont plu été possibles. Moi aussi, si je passe assez de temps dans cette cellule hantée par des fantômes - non seulement ceux du père et de la fille, mais aussi celui de l'homme qui, même à la lumière des lampes, n'enlevait pas les disques noirs qui couvraient ses yeux, et celui du subalterne qui avait pour tâche d'entretenir le feu dans le brasero - touché à mon tour par la contagion, je deviendrai un être incapable de toute croyance.
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Comment pouvons-nous gagner une telle guerre ? À quoi servent les opérations militaires conçues d’après les manuels, les offensives, les raids de représailles au cœur du territoire ennemi, quand nous pouvons subir chez nous une saignée mortelle ?
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« Puis-je parler au colonel Joll ? »
[...] Il ne répond pas, continuant à affecter de lire les documents. Il est beau; il a des dents blanches régulières et de jolis yeux bleus. Mais vaniteux, je pense. Je me le représente assis dans un lit à côté d'une fille, gonflant les muscles pour elle, se repaissant de son admiration. J'imagine que c'est le genre d'homme qui traite son corps comme une machine, sans savoir qu'il a des rythmes qui lui sont propres. Quand il me regardera, ce qui va se produire dans un moment, son regard viendra de derrière ce beau visage immobile et traversera ces yeux clairs, comme un acteur regarde à travers un masque.
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Comment déracine-t-on le mépris, surtout quand ce mépris n'est fondé sur rien de plus substantiel que des façons différentes de se tenir à table, des variations dans la structure de la paupière ? Vous dirai-je ce qu'il m'arrive de souhaiter ? Je souhaite que ces barbares se soulèvent et nous donnent une bonne leçon, pour que nous apprenions à les respecter. A nos yeux, ce pays est à nous, il fait partie de l'Empire - notre avant-poste, notre établissement, notre centre marchand. Mais ces gens, ces barbares ne le voient pas du tout sous ce jour. Il y a plus de cent ans que nous sommes ici ; nous avons gagné des terres sur le désert, bâti des ouvrages d'irrigation, cultivé les champs, construit des maisons solides, dressé une muraille autour de notre ville, mais, à leurs yeux, nous sommes toujours des hôtes de passage.
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« Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? » Ma voix est un chuchotement, ma langue se meut avec lenteur. Je titube, épuisé.
« Pourquoi ne veux-tu pas me le dire ? »
Elle secoue la tête. Au bord de la léthargie, je me souviens que mes doigts, en effleurant ses fesses, ont senti sous la peau un entrelacs de cicatrices fantômes. Je marmonne :
« Rien n'est pire que ce que nous pouvons imaginer. » Aucun signe n'indique qu'elle m'ait entendu. Je m'effondre sur le lit en bâillant, je l'attire à côté de moi. Je voudrais lui parler :
« Dis-le moi; n'en fais pas un mystère, la souffrance, ça n'est jamais que de la souffrance. » Mais les mots me manquent. Mon bras l'entoure, j'ai les lèvres au creux de son oreille, je m'efforce de parler ; soudain, c'est la nuit.
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En le regardant, je me demande ce qu'il a ressenti, la toute première fois : le jour où l'on a invité l'apprenti qu'il était à serrer les tenailles ou à enfoncer les coins [...] a-t-il eu le moindre frisson, conscient qu'à cet instant une transgression l'entraînait dans une zone interdite ? Une curiosité me vient : a-t-il un rite privé de purification, accompli à l'abri de portes closes, qui lui permette de revenir rompre le pain avec d'autres hommes ? Se lave-t-il les mains très soigneusement, par exemple, ou change-t-il de vêtements ? Ou bien le Bureau a-t-il créé des hommes nouveaux, capables de passer sans malaise de la souillure à la pureté ?
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Les hurlements que certains affirmeront avoir entendus de l'entrepôt à grains, je ne les entends pas. Toute la soirée, tandis que je me livre à mes occupations, je reste conscient de ce qui est peut-être en train de se passer, et mon oreille est même ajustée au timbre de la souffrance humaine. Mais l'entrepôt est un bâtiment massif, muni de lourdes portes et de fenêtres minuscules ; il se dresse dans le quartier sud, au-delà des abattoirs et de la minoterie. Et puis, l'ancien poste avancé, devenu d'abord un fort frontalier, est aujourd'hui une colonie agricole, une ville de trois mille âmes où le bruit de la vie, le bruit que font d'âmes par une chaude soirée d'été, ne cesse pas même si, quelque part, quelqu'un crie.
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L’espace est l’espace, la vie la vie, partout semblable. Mais moi, entretenu par le labeur d’autrui, dépourvu de vices civilisés qui combleraient mes loisirs, je dorlote ma mélancolie et tente de déceler dans le vide du désert une acuité historique particulière.
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Au-dessus de l'eau, le soleil de bronze reste accablant. Au sud du lac s'étendent des marécages et des salines ; au-delà, une ligne bleu-gris de collines arides. Dans les champs, les paysans chargent les deux énormes vieux chariots à foin. Un vol de canards sauvages glisse dans le ciel et amorce sa descente vers le lac. Fin d'été : saison de paix et d'abondance.
Je crois en la paix - peut-être même en la paix à tout prix.
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(...) je vois en toi une âme humaine qui échappe à toute classification, une âme qui a eu la grâce de n'être effleurée ni par les doctrines, ni par l'histoire, une âme qui remue les ailes dans ce sarcophage rigide, qui frémit derrière ce masque de clown. Tu es précieux, Michael, à ta façon : tu es le dernier de ton espèce, un reste d'une époque antérieure, comme le cœlacanthe ou le dernier homme à parler le yaqui. Nous sommes tous tombés par-dessus bord dans le chaudron de l'histoire ; toi seul, guidé par ton étoile idiote, attendant ton heure dans un orphelinat (qui aurait pensé à une cachette pareille ?), restant à l'écart de la paix comme de la guerre, embusqué à découvert, là où personne n'avait l'idée de regarder, tu es parvenu à vivre à la manière ancienne, dérivant au fil du temps, soumis aux saisons, n'essayant pas plus de changer le cours de l'histoire que ne le fait un grain de sable.
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Elle ne résiste pas. Elle se contente de se détourner. Elle détourne les lèvres, elle détourne les yeux. Elle le laisse l'étendre sur le lit et la déshabiller : elle lui vient même en aide en soulevant les bras et les hanches… Ce n'est pas un viol, pas tout à fait, mais sans désir, sans le moindre désir au plus profond de son être. Comme si elle avait décidé de n'être qu'une chiffe, de faire la morte au fin fond d'elle-même le temps que cela dure, comme un lapin lorsque les mâchoires du renard se referment sur son col.
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En quoi cela consistera-t-il d'être grand-père ? Comme père, il n'a pas trop bien réussi, bien qu'il se soit appliqué plus que beaucoup d'autres. Comme grand-père, il sera sans doute aussi en-dessous de la moyenne. Il n'a pas les vertus de la vieillesse : l'équanimité, la douceur, la patience. Mais ces vertus lui viendront peut-être alors que d'autres vertus le quitteront, comme la vertu de la passion, par exemple. Il faut qu'il relise Victor Hugo, le chantre des grands-pères. Il y a peut-être quelque chose à apprendre dans ses vers.
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Sur le pas de la porte, Bev se presse contre lui une dernière fois, pose sa tête contre sa poitrine. Il la laisse faire, comme il lui a laissé faire tout ce qu'elle a pensé qu'il fallait faire. Ses pensées se tournent vers Emma Bovary, qui se pavane devant son miroir après le premier après-midi grandiose. J'ai un amant ! J'ai un amant ! se chante Emma tout bas.Eh bien, que la pauvre Bev rentre chez elle et qu'elle se chante quelque chose aussi. Et puis, il faut qu'il arrête de l'appeler la pauvre Bev Shaw. Si elle est pauvre, lui a fait faillite.
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Et pourtant, elle aussi, un jour, tôt ou tard, il faudra qu'elle parte. Une femme seule dans une ferme n'a pas d'avenir, c'est clair. Même les jours d'Ettinger, avec ses armes à feu, ses barbelés, ses systèmes de sécurité, sont comptés. Si Lucy a un peu de plomb dans la tête, elle quittera la ferme avant de connaître un sort pire que la mort.
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Pourtant l'idée même de solliciter Mélanie à nouveau est de la folie. Pourquoi irait-elle parler à l'homme qu'on a condamné comme son persécuteur ?
Les noces de Cronos et d'Harmonie, contre nature. C'est bien ce que le procès entendait punir, une fois éliminés les beaux discours. Au banc des accusés pour son mode de vie. Pour des actes contre nature : pour disséminer une vieille semence, une semence fatiguée, une semence à bout de force, contra naturam. Si les vieillards confisquent les jeunes femmes, quel sera l'avenir de l'espèce ? Voilà, au fond, le chef d'inculpation. C'est le thème que traite une bonne moitié de la littérature : des jeunes femmes qui se débattent pour échapper aux vieillards qui les écrasent sous leur poids, une lutte pour sauver l'espèce.
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