Citations de J.D. Kurtness (80)
Les gens ignorent que la bonne forme physique et mentale est indispensable à tout tueur ambitieux. C’est aussi important que la planification. Il faut pouvoir marcher longtemps, et vite. Fuir sans bruit. Résister au stress, à la panique, à la fatigue, à l’épuisement. Endurer la chaleur, le froid, l’humidité, les pieds mouillés, la sueur qui nous colle le t-shirt au torse et les jeans aux cuisses. Connaître ses limites. Contrôler le bruit de sa respiration pour éviter qu’on nous entende. Il ne faut pas qu’on puisse nous abattre dans le noir. Ne pas être dédaigneux. Supporter les moustiques et autres insectes piqueurs. Posséder de bonnes chaussures. Il faut acheter les modèles populaires en vente, comme pour tout le reste, et attendre avant de s’en servir, comme pour tout le reste. Comme ça, on ne nous retrouvera jamais. Du moins, je cours toujours.
Que ferait-on sans énergie ? Nous mourrions dans d’atroces souffrances, voilà ce qui arriverait. Le monde sombrerait dans le chaos. On se dévorerait entre nous comme des pourceaux privés de leur moulée aux antibiotiques. Les gens ont si peur, ils ont si froid. Ils préfèrent la suffocation au changement. Comment en vouloir à des faibles ?
Le temps, c’est mon allié. C’est l’élément précieux qu’il faut respecter. Je ne peux le contrôler, alors je me contrôle.
Je finis toujours par passer aux endroits où il y a très peu de gens. J’y respire mieux. J’en croise parfois d’autres, comme moi, qui écoutent la ville, en écho au silence des ruelles. Ceux qui ont le temps de tendre l’oreille, qui traînent dans les parcs ou sur les premières marches de leur bloc.
J ’observe, mais je suis aussi observée. Nous sommes tous observés. Une immense machine tentaculaire constituée de caméras, d’adresses IP, de registres, de puces, de listes, de passeports, d’inscriptions, d’identifications, d’achats, de points bonis et même de bulletins de vote. La preuve : si on a le malheur d’acheter la moindre cochonnerie, l’épicerie persiste à nous envoyer des coupons-rabais pour ce produit pendant des mois. Je me méfie de mon dossier à la bibliothèque municipale ou au club vidéo. J’ai un téléphone intelligent que je laisse systématiquement chez moi, surtout quand je sors pour une raison personnelle . Pas question qu’un satellite qui passe par là me géolocalise. La pointe de l’iceberg. Bien vite ce sera pire. Si vous refusez de jouer le jeu, vous devrez vivre coupé du monde parce que la moindre interaction sera cataloguée quelque part. Je n’ai aucun espoir de déjouer la machine. Ma stratégie est celle du microbe. Invisible à l’œil nu, je détale avant l’apparition des symptômes. Pour l’instant, la machine est aveugle, même si son regard est intense. Un visage sur un écran de cinéma, l’illusion qu’on te fixe dans les yeux. La machine regarde, mais ne voit pas.
Le secret est un fardeau lourd à porter lorsqu’on sait qu’on ne le partagera jamais. En même temps, cette paranoïa extrême est ce qui me permet de dormir la nuit. Personne ne sait, personne ne dira. L’amour autour de moi persistera demain. Mes parents mourront de vieillesse avec des sentiments tendres envers leur fille unique. Mes amis savent qu’ils peuvent compter sur moi, je les écoute et garde jalousement leurs confidences. Je leur dis : « Je suis une tombe. »
Observer les gens est une nécessité et une passion. Je le fais parfois juste par plaisir, sans dessein autre que la félicité du naturaliste devant un groupe de babouins. Incroyable ce que les gens font quand ils pensent que personne ne leur prête attention. Même en public, lorsqu’ils marchent sur le trottoir et qu’ils se pensent seuls, ils agissent différemment. Plusieurs croient faussement à l’intimité de leur balcon, de leur cour ou de leur voiture. À l’intérieur, les rideaux fermés, je peux comprendre qu’on laisse libre cours à ses déviances, mais dehors?
Comme la vengeance demande de l’énergie et du risque, il faut faire des choix. On ne peut pas punir tout le monde. On ne peut pas éliminer tout le monde, même si, à un moment ou un autre, ils finissent tous par vous taper sur les nerfs. Mais on peut se faire plaisir.
Je m’imagine parfois rencontrer Carl Sagan, comme d’autres souhaitent rencontrer Gengis Khan ou John Lennon. Je lui demanderais ce qu’il pense de nous, de moi, de ma théorie qu’il n’y a pas de bien et de mal qui ne soient relatifs, que le monde a un sens propre à chacun d’entre nous, et que c’est ce qui nous rend uniques et seuls, si seuls. Semblables et différents,mais tous les mêmes aux yeux des autres races dites inférieures, à l’esprit moins vif, mais l’instinct qui attend, pétrifié, qu’on leur fasse du mal une fois de plus.
L’humain ne se défait plus du poids du monde qu’il perçoit. Tout l’écrase, l’angoisse et l’aplatit au sol. Alors que si on s’éloigne, la gravité se fait de plus en plus faible jusqu’à ce qu’un objet plus massif vous attire vers lui et vous propulse ailleurs.
L’enfer, c’est les autres, et il suffit de quelques secondes où je me mets à énumérer ce que je déteste de l’humanité pour chasser tout sentiment de culpabilité. Tous ces gens qui se tortillent comme des asticots, je les hais passionnément.
J’abhorre aussi les parfums, ceux aspergés en trop grande quantité et qu’on renifle malgré nous à plus de cinquante pieds, ceux qui se vinaigrent à la fin de la journée, ceux qui ont passé leur date de péremption, souvent comme leur détenteur, ceux qui vous attireraient des milliers d’insectes suceurs de sang, mais qui, dans notre société moderne, ne font que donner mal à la tête à vos collègues de travail.
Le plaisir d’être dehors et seule, de savoir que personne ne viendra, que l’air et la lumière n’appartiennent qu’à soi, c’est un bonheur auquel beaucoup de citadins échappent. Comme des aveugles de naissance, ils ne savent pas ce qu’ils manquent. Ils lisent et entendent les expériences des autres sur le sujet, mais ils sont incapables de les comprendre. Très rarement font-ils le lien avec ce vide au fond d’eux-mêmes qu’ils cherchent à combler toute leur vie.
J’ai lu que, chez les fumeurs, les vaisseaux sanguins qui irriguent la peau se contractent et meurent en surface. Les couches supérieures de l’épiderme sont ainsi privées d’oxygène et de nutriments essentiels, ce qui cause un vieillissement prématuré. J’ai devant moi un bel exemple du phénomène, son visage est gris avec des joues creuses. Il promène son dentier de gauche à droite lorsqu’il termine de tousser.
Dans cet univers idéal, j’éprouve à l’égard de chacun le même sentiment pur et bienveillant, tel l’émerveillement d’une mère qui porte son nouveau-né sur sa poitrine, qui sent le poids tiède de l’enfant entre ses bras, le petit cœur qui bat vite, vite, vite.
Quand j’ai un doute, je me console en me disant qu’à chaque mauvaise décision que j’ai prise, il y a un univers qui apparaît dans lequel j’ai fait le bon choix. Il existe aussi un univers parfait où je suis un être d’extrême bonté, où je répands autour de moi une tendresse infinie. Je suis quelqu’un d’autre, surtout pas cette personne méchante et vengeresse, tueuse de sang-froid qui mène de front une vendetta pour une cause qu’elle sait perdue d’avance.
Les chiens vivent dans le moment présent. Quand ils étaient avec moi, la truffe au vent et trottant à mes côtés, le passé et l’avenir n’avaient aucune importance pour eux. J’appliquai ainsi leur enseignement à ma personne. Je vivais des moments de grâce. J’essayais de déterminer si j’étais heureuse, mais aucune définition du bonheur ne me convenait.
Quand on glisse une partie de la vérité dans un mensonge, ça fonctionne souvent.
Approcher les chiens est devenu un jeu. Je me lançais le défi d’approcher les chiens les plus miteux ou hargneux du voisinage. Je préférais ceux qui faisaient le plus de bruits, qui montraient les crocs. Ceux qui n’étaient jamais promenés par leurs propriétaires. Je regardais les émissions de dresseurs de chiens à la télévision et j’essayais d’appliquer leurs techniques.
Les chats sont encore moins prévisibles que les humains, mais je peux me permettre de les ignorer. Personne ne fait confiance à un chat. Leur attitude n’est pas reconnue comme fiable. À ce que je sache, aucun meurtrier n’a été identifié grâce à un chat. Ils ne donnent pas l’alerte. Ils ne peuvent pas vous pister. Ils sont des observateurs muets.