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Citations de J.D. Kurtness (80)


En tirant sur mes voisins, j'ai failli à une de mes règles: ne pas intervenir dans son propre écosystème. Je suis consciente que mes actions sont très bizarres, même si elles sont anodines et faciles à réaliser. Je comprends que leur effet psychologique peut être dévastateur. Une personne normale ne prend pas la peine d’aller aussi loin, de planifier ses actes au quart de tour, de jouer ainsi avec ceux qui l'entourent.
J'évite donc de punir mes voisins, mes collègues immédiats et encore moins ma famille et mes amis. Le temps aussi est important, essentiel pour que les gens dans ma mire m’oublient. Tirer sur ses voisins d’en face, c'est de la négligence, de la faiblesse. Je pense que la ville me rend folle. Du moins, elle me fait faire des erreurs. p. 85
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« N’empêche, ce ne sont pas les canons à harpon qui ont asséné le coup de grâce. C’est notre indifférence. »
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L’enfer, c’est les autres, et il suffit de quelques secondes où je me mets à énumérer ce que je déteste de l’humanité pour chasser tout sentiment de culpabilité. Tous ces gens qui se tortillent comme des asticots, je les hais passionnément.
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Pour vivre, je pratique un métier qui sera, un jour, obsolète, comme celui de draveur ou de facteur télégraphiste. Je suis traductrice. Le jour où les machines comprendront l’ironie, le contexte, le quotidien et la banalité, l’humour et toutes ces perles de la nature humaine, les traducteurs seront superflus. En ce moment, même les mauvais traducteurs comme moi peuvent manger et payer leur loyer. Mais, comme le reste, notre temps est compté.
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L'invisibilité est un art, une science, une spécialité. Il n'y a rien de magique à ma technique. C'est de la psychologie. C'est la connaissance de son environnement. Personne ne remarque ce qu'il voit tous les jours. L'ordinaire ne pénètre plus le conscient. L'équilibre a maintenir se situe entre le beau et le laid, car les deux fascinent et marquent l'esprit au fer rouge. Je ne veux pas être une cicatrice sur la mémoire, la tâche lumineuse que laisse le soleil sur la rétine.
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Ma vie sera brève, comparée aux statistiques. Tout est relatif : à l’époque de la peste bubonique, j’en serais au crépuscule de mon existence. Ou déjà morte, en couches. Ou de la pneumonie dont j’ai souffert à cinq ans. Sans la médecine moderne, on serait bien tous morts, avec nos corps flasques, nos grosses têtes, nos yeux de taupes. Ça, ou notre anxiété rampante.
De toute façon, j’anticipe qu’il reste dix, quinze ans, avant qu’on soit tous suivis à la trace, de la fécondation à la crémation. Même avant, même après. On l’est déjà, si on ne fait pas attention. Je fais attention. Je m’amuse et je saupoudre un peu de ma justice avant la fin, avant qu’un Système immense et impossible nous avale tous.
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Cet individu gaspillait l'air. Il ne valait même pas l'oxygène produit par un pissenlit.
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Décrire l’époque dans laquelle on vit est toujours difficile : on focalise sur ce qui semble important sur le coup. Le quotidien est souvent laissé de côté. Pourtant, il révèle beaucoup plus que nos idéaux profonds. L’exemple que je donne, quand j’ai des conversations imaginaires avec des entités venues d’ailleurs (temps, espace, espace-temps), c’est que tout ce que nous mangeons, ou presque, aura été à un moment où un autre dans un emballage en plastique.
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Je me souviens et je revois ses cheveux onduler autour de sa tête, comme une méduse ou une algue. Sur place, je me dis que les algues et les méduses vivent dans l’eau salée, pas dans les rivières. C’est drôle ce qui nous passe par la tête dans ces moments-là. Je suis déçue, ce n’était pas l’issue prévue. Raconter mon exploit m’apparaît alors impossible, l’acceptabilité du geste serait remise en question. Bref, pas grand monde pour rire de ma bonne blague.
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On ne souhaite guère se faire rappeler que certains n'ont pas de chance, que la plupart du temps le bonheur naît du hasard.
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Je classe les gens en trois catégories. La première est de loin la plus alarmante. Je les appelle les drones. Ceux-là agissent exactement de la même manière, ou presque, qu'ils soient dans l'intimité de leur foyer ou au centre d'achats. Ils sont tellement réprimés quel'idée d'explorer un comportement pouvant être jugé différent de la norme (ou dégoûtant, ou pervers, ou tout bonnement impoli) ne leur vient même pas. Ces gens-là agissent comme s'ils étaient constamment sous les projecteurs. Peut-être croient-ils en un dieu omniscient, peut-être fantasment-ils sur eux-mêmes et l'image qu'ils projettent en permanence, peut-être manquent-ils cruellement d'imagination? Va savoir.
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Un robot récite un magnifique et terrible poème tandis que des êtres transparents dansent sous mes yeux, sur un rythme qui leur est propre. (37)
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J’ai aidé des amis à configurer leur modem. Puisqu’ils se plaignaient d’entendre les ébats de leurs voisins, j’ai nommé leur réseau : 4553StJude_onvousentendbaiser. On la raconte aux soupers depuis trois ans.
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Mes parents, des gens doux et besogneux, étaient estomaqués qu’une telle chose puisse se produire pratiquement dans leur cour, là où leur propre fille avait l’habitude de flâner. La tarte aux fraises cueillies cet après-midi-là leur restait au travers de la gorge.
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Dans la classe, on prie pour ne pas être assis à côté de Dave Fiset. À la fin de l’année scolaire, avec la chaleur des beaux jours, ça devient vraiment pénible. Une drôle d’odeur qui vous colle au palais. Au début, on ne s’en rend pas compte, mais peu à peu l’air devient saturé et lourd. La professeure fait semblant de ne pas s’en apercevoir, mais on voit bien qu’elle retient sa respiration quand elle passe à côté de lui. Ça sent comme le casque de skidoo de mon oncle, qu’on m’a prêté une fois pour que je puisse aller faire un tour avec mes cousins. Mais en pire.
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(Les premières pages du livre)
Présentations d’usage
Qui n’a pas déjà rêvé de tirer quelqu’un dans la face avec un fusil de chasse ? Peu importe les raisons. Elles sont toutes bonnes, sur le coup. C’est quand elles demeurent bonnes longtemps que j’agis.
Chaque jour, je regarde une meurtrière dans les yeux. Elle est là, de l’autre côté du miroir (qui est aussi mon côté, mais vu à l’envers). Je suis une meurtrière. Ce visage est le mien. Mon visage est celui d’une meurtrière. Voilà.
Je sais ce à quoi une meurtrière ressemble. Salut.
J’énonce ma phrase en me regardant dans les yeux, les mains appuyées sur le bord du lavabo : « Je suis une meurtrière. » Ma version de « t’es belle, t’es fine, t’es capable ». Mes lèvres bougent et, selon ce que je prononce, quelques dents apparaissent. On les voit aussi quand je souris.
Je parle lentement, dans ma tête ou tout bas. Je prends parfois un risque et je le dis sur un ton normal, plus fort. J’aime entendre ma voix. Son murmure dans mon appartement silencieux, qui s’échappe de la salle de bain et meurt dans le bourdonnement électrique des murs. J’écoute les clics irréguliers des calorifères qui chauffent, indifférents à ma situation.
Je le dis aussi parce que j’ai un peu peur de l’oublier. La vie peut être douce, et je prends des pauses.

C’est l’après-midi, j’ai douze ans. Mon primaire est fini. Depuis trois semaines, je suis en vacances. Je suis sur le bord de la rivière. J’aime être dehors. Je sors à sept heures du matin et je reviens juste pour manger. Il y a même des fois où je saute un repas, mais ça agace mes parents. Je reviens le soir, quand on voit moins bien. Je dors et je recommence. Dix-huit heures de lumière par jour, le bonheur.
Ici, c’est mon coin. L’arbre se grimpe bien, et il y a trois branches à la bonne place. Une sous mes fesses, une où appuyer mes pieds, et une dans mon dos. Elles forment une sorte de chaise. J’ai une belle vue sur la rivière qui coule dans le fossé plus bas. Je vois aussi le talus en arrière. Si je m’étire, je vois jusqu’au cimetière, par où passe le sentier. Une vue à deux cent soixante-dix degrés autour de moi, assez bien dégagée. Ce n’est pas grave si je ne vois pas derrière moi. Il n’y a que la forêt, trop dense pour y jouer à ce temps-ci de l’année. Après la forêt, il y a le parc municipal, où personne ne va… Pourquoi aller dans une semi-nature quand tout est vivant autour ?
Là-haut, personne ne me voit. Parfois, j’apporte un lunch. Je le prépare moi-même. Mes parents me trouvent responsable, leur angoisse que je meure de faim s’estompe. J’entre dans l’adolescence, il est normal que je ne leur parle presque plus. C’est leur théorie.
Je choisis des emballages qui ne reflètent pas la lumière. Pas d’aluminium, pas de sac de plastique. J’ai vu un film où le témoin d’un meurtre se faisait voir par les criminels parce qu’un rayon de lune était reflété sur la lentille de ses jumelles. Ça ne m’arrivera pas. J’évite aussi les lunettes de soleil. C’est une chose de moins à traîner, que je risquerais d’échapper.
Le bruit, c’est un peu moins grave. On peut déballer quelque chose, ouvrir un contenant, dézipper son sac, bouger, soupirer. Le bruit de la rivière enterre pas mal tous les autres, sauf les cris.
J’ai découvert le spot la semaine dernière. Je suis arrivée tôt parce que je voulais faire du repérage avant que les autres arrivent. Des fois, j’arrive trop tard et il y a déjà du monde sur le bord de la rivière, ou sur le chemin qui y mène. Dans ce temps-là, je vire de bord.
Il y a huit jours exactement, je suis arrivée assez tôt pour trouver un coin tranquille. Une place où personne ne pense regarder. Je l’ai enfin trouvé, l’arbre parfait. À côté du tronc, il y a une roche assez haute pour atteindre les bonnes branches. C’est un sapin baumier, un gros qui, par miracle, a échappé aux massacres des Noëls du dernier siècle. Il est vieux et presque mort. Il ne sent pratiquement plus rien. Il n’a pas trop de gomme qui colle sur les vêtements. Même si ça sent bon, la gomme de sapin, c’est difficile à faire partir alors j’évite. Je ne veux pas de trouble avec ma mère.
Je compte les jours depuis ma découverte : huit. Je compte beaucoup de choses : le nombre d’enfants en bas, les tuiles au plafond de ma chambre, les trous dans mes espadrilles, le nombre exact de secondes que met un œuf à cuire, le rond à quatre, pour que le jaune demeure coulant, mais qu’il ne reste plus de morve. Plus on planifie, plus on s’évite les mauvaises surprises.

Ce fut d’abord de la chance : un hasard, une bonne réaction, un plaisir. Maintenant, c’est de la préparation : mentale, physique et matérielle.
Je sursaute encore quand je croise mon image : son reflet dans les vitrines, sur les petits et grands miroirs, en miniature sur les photos. Je n’ai pas le bon visage. Certains diraient : « Tu as le parfait visage. » Je suis née avec le visage d’une autre et mon vrai visage est ailleurs, occupé à recouvrir la mauvaise âme.
Je n’ai pas ce qu’ils appellent le physique de l’emploi. Ma face devrait être anguleuse et magnifique, maigre, avec l’air légèrement malade qui attire certains hommes. Cette allure de femme dangereuse et mystérieuse qu’on nous présente sans cesse, je ne l’ai pas. À la place : un visage sain et clair, le mien. Mes traits sont si inoffensifs. J’irradie l’innocence et les plaisirs simples, comme la fermière sur les pintes de lait, la jeune fille sur les crèmes anti-acné. Comme elle, mes pores respirent bien. Traits ronds, sourire facile, bonnes dents, yeux rieurs. J’ai même des pattes d’oie qui se dessinent, quand on regarde de près. Ma peau pâle rosit sous l’effet du vent, du froid ou de l’effort. Mes joues sont à croquer en automne. On n’a jamais cessé de me le dire. Toutes ces heures passées au grand air, les taches de rousseur : on n’y suspecte rien, sauf la santé.
Où est cet autre visage qui devrait être le mien ? Où sont passés la mâchoire pointue, les grands yeux fiévreux, les pommettes saillantes ? Ces cheveux sévères, sur qui ont-ils poussé ? Mon âme a-t-elle été confondue avec une autre dans les limbes, échangée par mégarde, comme ces bébés naissants dans les hôpitaux d’Amérique latine ?
Est-ce que les gens laids sursautent, eux aussi, quand ils voient leur reflet, estomaqués par leur physique ingrat, qu’aucune accumulation de souffrance n’atténue ? Ressentent-ils la même confusion que moi, après certains actes, parce que je n’en reviens pas que ma face conserve sa symétrie ?
Si je correspondais à mon intérieur, j’aurais un air dangereux, comme les méchants dans les films, ceux qui meurent rapidement : la chair à canon basanée, les chauves, les défigurés, les autres. J’émettrais aussi l’odeur du danger, mais je dois me rendre à l’évidence : il n’en est rien. Mon bouquet de phéromones percute les gens sans qu’ils s’en rendent compte, comme les virus ou les radiations. Pourtant, le danger, c’est cette femme que je regarde du coin de l’œil dans la vitrine, son reflet qui me suit à chaque nouvelle fenêtre. C’est elle dans la salle de bain, au-dessus du lavabo. C’est elle qui sourit avec son air innocent.
J’ai l’air d’une infirmière, d’une libraire, d’une joueuse de soccer. Mon visage est mon meilleur alibi.

Je devrais commencer par le début. J’ignore à qui je m’adresse. Tu es une créature du futur, puisque le moment présent est déjà terminé. Je t’appelle créature, car les hommes et les femmes sont des catégories qui pourraient disparaître, comme la théorie des humeurs. Es-tu un amas de graisse ? Es-tu un encéphale dans une jarre ? Peut-être que mon texte a été converti en impulsions électriques, prédigérées pour un cerveau seul, sans organes, qui flotte dans un liquide nutritif et conducteur. Es-tu une machine ? Es-tu un enfant ? Es-tu citoyen de la République populaire de Chine, maintenant que vous êtes devenus les maîtres du monde ? Es-tu un réfugié intergalactique ?
Peut-être que rien n’a changé, yet. Dans ce cas, tu es une créature du futur immédiat. Tu es ma voisine, mon employeur ou mon ami. Je préfère quand même me dire que je m’adresse à quelqu’un qui ne sera pas ici en même temps que moi. Je ne veux pas blesser une personne de mon entourage. On n’empoisonne pas son propre puits.
Je choisis le danger et un jour j’aurai trop poussé. Ma vie sera brève, comparée aux statistiques. Tout est relatif : à l’époque de la peste bubonique, j’en serais au crépuscule de mon existence. Ou déjà morte, en couches. Ou de la pneumonie dont j’ai souffert à cinq ans. Sans la médecine moderne, on serait bien tous morts, avec nos corps flasques, nos grosses têtes, nos yeux de taupes. Ça, ou notre anxiété rampante.
De toute façon, j’anticipe qu’il reste dix, quinze ans, avant qu’on soit tous suivis à la trace, de la fécondation à la crémation. Même avant, même après. On l’est déjà, si on ne fait pas attention. Je fais attention. Je m’amuse et je saupoudre un peu de ma justice avant la fin, avant qu’un Système immense et impossible nous avale tous.
Donc, cela se passe l’après-midi. C’est aussi, je le vois maintenant, la fin de mon enfance. Le soleil est encore très haut dans le ciel, mais il ne fait pas trop chaud, peut-être vingt-quatre degrés. Le vent est frais. Il vient du nord, lentement. Je sens le soleil à travers mon linge et sur ma nuque, là où il passe entre les feuilles des arbres autour. Tout est beau. Ça sent bon : le vent, le vieux sapin, moi.
Déjà, dans ce temps-là, juchée dans mon arbre, je pense à vous, gens du futur. Je m’imagine à votre place, et tout savoir. Je regarde cependant la télévision et, comme la majorité des enfants, j’entretiens le sentiment d’assister à la mort de quelque chose de précieux : la terre, l’air frais, l’eau qui coule, le chant des oiseaux qui entre par la fenêtre, le matin. Tout ceci va mourir, parce qu’on ne recycle pas assez, qu’on rase la forêt amazonienne, et qu’un malade a mis le feu à une pile de pneus à Saint-Amable.
Décrire l’époque dans laquelle on vit est toujours difficile : o
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Je n'ai plus peur du danger. Je suis le danger.
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Elle a une pensée pour sa descendance. L’aînée n’a mis au monde que des mâles qui s’en sont allés quelques semaines après le sevrage.
Quel bonheur de voir ces petits êtres dodus et peureux se transformer en adolescents joueurs et aventureux ! Les cousins se rassemblent en bande. Ils partent ensuite conquérir de nouveaux territoires à la recherche de femelles inconnues à séduire. Les plus téméraires chargent et fendent la banquise là où elle est la plus épaisse. Les plaies qu’ils s’infligent témoignent de leur vigueur. Certains, moins forts ou au crâne plus mou, meurent noyés.
Elle n’a revu que trois de ses enfants au cours de sa longue existence. Son premier, elle l’a croisé quelques heures à peine après qu’il ait fièrement quitté le groupe de tantes et de cousines. Il flottait, la langue arrachée. Le travail des épaulards. Des requins s’affairaient à cisailler la graisse épaisse qu’elle avait scrupuleusement évaluée chaque jour de l’année qui venait de s’écouler. L’instinct maternel lui avait fait frapper le cadavre, les requins, tout ce qu’il y avait autour. Ses rugissements ont été entendus à des kilomètres à la ronde. Des parents, qu’elle n’avait pas croisés depuis des années, l’ont trouvée défendant la dépouille en vain. Elle n’a aucun souvenir des mois qui ont suivi.
Un harpon a terminé sa course dans le crâne du deuxième. Elle ne l’avait pas revu depuis soixante ans quand, par un malheureux hasard, elle a reconnu son appel de détresse. La suite de basses fréquences avait le même rythme que lorsqu’il était petit. Son instinct l’a poussée à en chercher la source et à ignorer la peur qui lui ordonnait de fuir dans la direction opposée. L’eau était rouge. Elle n’avait jamais vu autant de sang et de cadavres au même endroit, et pourtant elle avait échappé à plusieurs chasses terrifiantes. Deux neveux faisaient aussi partie des victimes. Le navire-usine hissait lentement les carcasses dans sa cale. Les chasseurs ont laissé derrière près de la moitié des proies qu’ils avaient tuées ce jour-là, faute de place. Quelqu’un avait la gâchette enthousiaste au canon-harpon.
Le troisième, elle l’a croisé beaucoup plus au sud, quand il fut à nouveau possible de s’y aventurer sans se faire empaler. Ils se sont vus souvent, en fait, durant les quelques décennies où elle avait pris l’habitude de longer la côte jusqu’à la limite des eaux chaudes qu’elle pouvait supporter. Moins gras qu’elle, il était plus rapide. Elle le trouvait beau, sa peau portait très peu de cicatrices. Il n’avait pas besoin de défoncer la glace pour respirer aussi souvent que ses parents du nord. Puis, un soir, tout heureuse de reconnaître son chant au milieu de la baie habituelle, elle avait découvert un individu maigre qui nageait lentement au prix d’un effort terrible. Il traînait avec lui de longs filaments dont il ne pouvait se défaire. Incapable de plonger, il allait certainement mourir. Sans se retourner, elle avait quitté cette baie riche et bruyante pour amorcer en solitaire sa migration vers le nord.
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Le plus beau jour de sa vie, une bête immense a sombré dans les abysses. Le squale savait que ça allait être gros. Les effluves étaient faibles, mais elles étaient partout. L’eau en était saturée. Il a d’abord passé plusieurs heures à tourner en rond, à chercher leur provenance précise, avant de s’élancer. Il a nagé longtemps pour se rendre jusqu’au cadavre. Il n’était pas le premier. À mesure qu’il se rapprochait de sa cible, il percevait la présence de centaines d’autres charognards en train de se gaver. Il est arrivé à temps. Il restait amplement de nourriture pour lui et toutes les créatures réunies pour festoyer. Les odeurs, la richesse de la chair, les pulsions électriques émises par ses congénères : la frénésie l’avait gagné à son tour. Jamais il n’avait autant eu conscience de son corps, de la force de sa mâchoire, du plaisir qu’il avait à rouler sur lui-même pour arracher des morceaux de suif gros comme sa tête. Un repas copieux exceptionnel qu’il a mis des mois à digérer en pourchassant une énorme femelle. Il menait une existence parfaite.
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On ne peut pas tousser comme ça et prétendre que tout va bien. C’est une toux creuse et grasse, qui lève les cœurs : le sien et le mien. Je regrette un peu ma décision, puisque ce travail de fond m’oblige à respirer dans le sillage de notre mort-vivant. Les quintes se déclenchent à chaque nouvelle cigarette qu’il s’allume et se poursuivent plusieurs minutes – durant lesquelles il crache et se racle la gorge à multiples reprises.

Il a l’air vieux, mais son âge précis est impossible à déterminer. J’ai lu que, chez les fumeurs, les vaisseaux sanguins qui irriguent la peau se contractent et meurent en surface. Les couches supérieures de l’épiderme sont ainsi privées d’oxygène et de nutriments essentiels, ce qui cause un vieillissement prématuré. J’ai devant moi un bel exemple du phénomène, son visage est gris avec des joues creuses. Il promène son dentier de gauche à droite lorsqu’il termine de tousser.
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