Citations de Jacqueline Harpman (306)
Je ne sus pas à quel moment elle s'arrêta de respirer, nous étions si tranquilles et si silencieuses toutes les deux, et la mort est parfois si discrète, elle arrive sans bruit, ne reste qu'un instant et emporte sa prise, je ne remarquai pas le changement.
(p.132)
Je ne connais que la plaine caillouteuse, l'errance et la lente perte de l'espoir, je suis le rejeton stérile d'une race dont je ne sais rien, pas même si elle a disparu.
(p.121)
Les autres femmes s'agenouillèrent aussi et reprirent ses paroles, comme si, devant l'horreur, les anciens rites retrouvaient leur sens.
(p.97)
Une chose que tout le monde fait n'a pas de sens. C'est juste un usage, une coutume, on ne sait plus son origine, on la répète machinalement.
(p.46)
Si tout ce qui nous différencie des bêtes est de se cacher pour déféquer, la condition humaine me paraît tenir à peu de chose, pensais-je.
(p.25)
Voilà encore une question qui restera sans réponse : il me semble que je ne suis faite que de cela.
(p.12)
En fait, je me dis que j’avais été hypocrite et, comme je n’avais personne à qui mentir, je découvrais qu’on peut mentir à soi-même, ce qui me sembla très étrange. La compagnie me manquait-elle donc plus que je ne le croyais, que je fisse de moi une autre, un témoin, fût-ce pour le tromper ? Je restai longtemps sur cette pensée, mais je ne voyais pas comment la développer davantage.
- Savoir sert à savoir ! Parfois avec ce qu’on sait, on peut faire, mais ce n’est pas l’essentiel. Je veux savoir tout ce qu’il y a à savoir, pour rien, pour le plaisir.
Elles étaient toujours aussi promptes à rire et je commençais à comprendre que ce n’était pas de la sottise ou de la futilité, mais un moyen de survivre.
Ce dont on se souvient compte-t-il moins que l’activité de se souvenir ?
Je ne lui souhaitais pas de mourir : mais comment lui aurais-je souhaité de vivre ?
Toutes ces guerres... ces années de bataille, Maria les yeux pleins de larmes, résolue et désolée, me demandant toujours pourquoi tant de folie guide les hommes, ne peuvent-ils adorer leur Dieu chacun à sa manière et laisser leurs voisins tranquilles ?
Je pensais, depuis sa petite phrase, à Maria me demandant si je croyais en Dieu.
- Mais d'où vient que vous ayez du doute ?
- De l'instruction, cher ami, de l'instruction!
Est-ce un fils, au moins? me demanda-t-elle, n'a-t-elle pas gaspillé sa vie pour rien ?
Je crois que c’est là que je perçus la qualité particulière de ce qui se passait entre Clément et Emma. Vous comprenez bien que je les avais vus cent fois côte à côte, écoutant un cours, travaillant en salle, courant vers leur tram, mais je n’avais jamais senti ce qui se glissait entre les mots, sous les gestes, ce perpétuel émerveillement qui vibrait entre eux, car chaque parole faisait redécouvrir que l'autre existait, que ce miracle incroyable, ma sœur, mon frère, mon semblable était là, au bout des mots, prêt à recevoir ce qu'on lui proposait, plus que prêt [...]
Pendant longtemps, ils ne s’étaient pas rendu compte de ce qui leur arrivait. Chacun était l’interlocuteur favori de l’autre ; s'ils y avaient pensé, mais cela ne leur était pas venu à l’esprit, ils auraient supposé que cela tenait au fait d'être frère et sœur, d’être nés à quelques mois de distance, d’avoir partagé le même lit pendant toute l’enfance, où dormir emmêlés, que les âmes s'y modèlent naturellement enlacées. À deux, ils formaient une figure complète, mais ils pouvaient être à distance, la figure ne s’altérait pas car chacun la portait en soi, elle était leur respiration [...]
Mais comme je levais la tête pour décider où me transporter, je vis Delphine regarder Clément et Emma et je reconnus sur son visage la stupeur et l’effroi qui venaient de me traverser.
…seul ce qui n'a pas eu lieu garde la grâce infinie du rêve.
La petite-fille de vingt ans demande à sa grand-mère : "Et l'amour, grand-mère ? Faut-il aimer ?" Elle m'a répondu : "Eh bien, moi, je me suis mariée, alors, je ne sais pas."
Peut-être n'a t'on jamais le temps en étant seul? On ne l'acquiert qu'en le regardant passer sur les autres.
Quand je revins, elle était de nouveau assise sur le banc, attendant mon retour. Puis elle attendrait d'avoir sommeil pour aller se coucher sur son matelas et dormir. Dormant, elle attendrait de se réveiller.
Je n'ai jamais eu à penser que mon bonheur dépendait d'un meurtre à commettre. Enfant ou adolescent j'ai, comme chacun, discuté des grands thèmes il y a un bouton. Si tu appuies, quelqu'un dont tu ne sais rien meurt à l'autre bout du monde, et tu deviens riche. Appuies-tu ? J'aimais à choquer mes compagnons en disant que oui.