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Citations de Jacques Ancet (224)


L'AUTRE PAYS (1966-1969)







Une fontaine sèche où pousse l'herbe
et coule le soleil. La rue déserte.
Un chat passe sans bruit. Des escaliers
tordus sonnent dans la cendre des tuiles.

Un oiseau gris couve le long des murs
les œufs d'oubli que le temps a pondus.
Son cri parfois déchire la lumière,
sanglant. On s'arrête pour l'écouter.

Rien ne bouge. Des fleurs tremblent à peine
aux terrasses où s'écrase le ciel.
Sous les volets, sous le bâillon de l'ombre
des yeux obscurs s'allument en silence.

Plus haut, près d'une croix de pierre blanche
rongée de vent, veille la solitude.
Son pas brûlant rôde par les orties
à l’horizon des dernières demeures.
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Jacques Ancet
C'est toujours avec un vague malaise, un peu superstitieux peut-être, que je lis les autobiographies : leur auteur s'y présente comme à la fin d'une vie, présentant un bilan qu'il assortit généralement d'un occulte plaidoyer pro-domo. Cependant, lorsque le témoignage se développe autour d'un thème particulier (ici littérature et poésie) et plaide avec franchise pour l'exposé du lent processus d'évolution d'une passion créatrice, telle que celle du poète et traducteur Jacques Ancet pour la poésie, j'avoue que la curiosité l'emporte. Jacques Ancet dans ce livre décrit et résume un trajet d'écrivain depuis son origine jusqu'au présent, avec le charme des mémoires, de surcroît pour un lecteur extérieur, il nous initie avec simplicité au cheminement d'un talent créateur, à travers les livres et les circonstances qui ont accompagné sa maturation. L'intérêt du livre est qu'il semble ne rien esquiver des joies et des déboires du poète en cours de conquête de son espace poétique. Les illusions et les désillusions, les problèmes théoriques ou pratiques qu'il se pose, de la conception de la littérature et de la poésie qu'il se forge, jusqu'à la résulution du difficile problème pour un poète nouveau (surtout) de trouver éditeur. Ce processus vital est l'occasion de diverses méditations, en passant, qui entremêlent la vie et la réflexion sur la vie, les livres et la réflexion sur les auteurs et les influences. De sorte que chaque page de ce regard en arrière nourrit aussi de ses surprises la méditation du lecteur toujours avide, comme moi, de connaître par où passent les germes de la création chez un artiste, poète ou musicien, et d'observer quelle sorte de cheminement les développe et les accomplit après toutes sortes de méandres labyrinthiques ! Il faut sans doute une certaine force intérieure pour consentir à dévoiler les ramifications intimes qui ont abouti à l'oeuvre riche et diverse dont Jacques Ancet peut exciper aujourd'hui. S'il ne fallait ici témoigner de cette richesse que par une seule citation, je choisirais ce passage-ci qui me semble d'une justesse, - euh, comment dire ? - irrémédiable !
Le voici, extrait de la page 71 : « [...] Parler – écrire -, ce serait faire résonner le monde, en tirer une certaine résonance. Notre rapport au monde étant de part en part médiatisé, constitué, même, par le langage, toute parole véritable, parce qu'elle est une parole à l'état naissant, engendre d'une certaine façon un monde qui, lui-aussi, nous apparaît à l'état naissant. La poésie serait donc une parole qui suscite un monde. [...] » Il me semble qu'une autobiographie littéraire qui nous amène avec une telle simplicité à des idées aussi inspirantes, mérite tout à fait d'intéresser au premier chef tous les amis obstinés de la poésie et de la littérature.
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J’entre dans l’âge du fragment. Les choses se serrent, éclatent : esquilles, fibrilles, sang sur les doigts. Et la neige, toujours.

*
Je vois venir ce qui vient. L’obscur d’une nuée heurte et couvre la lumière. Je ferme les yeux. Je ne cesse de voir. L’éclat de l’acier, quelques gouttes de sang. Je voudrais me taire, mais entre lèvres et dents, la voix s’est glissée. Plainte ou cri, je ne la reconnais plus. J’ouvre les yeux. Le couperet de l’instant tombe. Ma tête roule.

*


La lame tranche, mais la bouche reste intacte. Elle ne cesse de parler et les mots qui lui échappent forment un ruisseau bruissant où s’en vont les phrases comme de frêles esquifs. Que disent-elles que nous ne comprenons pas ? Et où est resté le corps ? Dans les décharges ou les forêts dévastées. La voix ne se tait pas. L’après-midi ressemble à une image.
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Tu ne sais pas comment dire
mais quand même tu dis, tu
poses ce mot, et cet autre,
ciseaux, par exemple, ou pluie,
et c’est la vie qui te dit.
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Les mots m’aveuglent, dit-il.
J’entre dans ce que j’ignore.
Et cependant rien ne bouge
ni les doigts, ni la lumière
ni le sang contre le mur.
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Tu arrives à une porte.
Derrière, un bruit de voix sourdes.
Une affiche vous indique :
présentez-vous à l’accueil.
Le couloir est sans issue.
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Sans savoir, tu continues.

Mais pour t’arrêter très vite.
Devant, les choses se ferment,
derrière tu les vois s’ouvrir.
Plus tu vas, plus tu recules.
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Le pied bouge, le jour baisse.
Le temps est comme un peu d’eau
sur les doigts. Tu ne vois plus
que ce qui s’en va — ou vient.
Entre, il n’y a plus qu’un cri.
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LAISSER DIRE

I

On ne sait pas laisser dire. On dit ou on laisse. On ne fait pas les deux.
La nuit, par exemple. Laisser dire la nuit. La lueur de la pierre et l’étoile.
Laisser dire ce qu’on ne voit pas mais qu’on entend, si près qu’on l’a sur
le bout de la langue.
Quelque chose grignote les heures. On aurait cru l’inverse, mais non. On
ferme les yeux. On laisse dire.


*

On laisse. La lumière pousse sous les yeux, la voix glisse entre les dents.
Dehors, la beauté ressemble à une image. Mais c’est dedans qu’elle est
cachée.
Ce qu’on voit on l’écoute, mot à mot, l’inquiétude légère, la douleur,
La montagne gonflée, rayée de vols, le temps qui vous regarde de ses
pupilles vides.

+

On voudrait que ça ne cesse de parler. Comme des vagues, une à une,
Qui déposeraient sur le silence tout ce qu’on n’a pas su dire, ces petits
riens,
Ce cri de la vie multiplié qu’on entend là- bas, ici, hier, demain, dehors,
dedans,
De partout et nulle part et qui vous traverse tellement que vous n’avez
plus de bouche.

*

Laisser le jour, laisser la nuit. Laisser le temps, laisser le fil et le gravier,
Ce qui s’approche qu’on ne voit ni n’entend. Une sorte de floraison invisible.
C’est le printemps, dit une voix. Mais non. Ça n’a ni herbe ni fleurs. C’est
à la fois
Obscur et transparent. Un souffle sans air, un pas sans pied — va savoir.
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Jacques Ancet
LAISSER DIRE

I

On ne sait pas laisser dire. On dit ou on laisse. On ne fait pas les deux.
La nuit, par exemple. Laisser dire la nuit. La lueur de la pierre et l’étoile.
Laisser dire ce qu’on ne voit pas mais qu’on entend, si près qu’on l’a sur le bout de la langue.
Quelque chose grignote les heures. On aurait cru l’inverse, mais non. On ferme les yeux. On laisse dire.

*

On laisse. La lumière pousse sous les yeux, la voix glisse entre les dents.
Dehors, la beauté ressemble à une image. Mais c’est dedans qu’elle est cachée.
Ce qu’on voit on l’écoute, mot à mot, l’inquiétude légère, la douleur,
La montagne gonflée, rayée de vols, le temps qui vous regarde de ses pupilles vides.

*

On voudrait que ça ne cesse de parler. Comme des vagues, une à une,
Qui déposeraient sur le silence tout ce qu’on n’a pas su dire, ces petits riens,
Ce cri de la vie multiplié qu’on entend là- bas, ici, hier, demain, dehors, dedans,
De partout et nulle part et qui vous traverse tellement que vous n’avez plus de bouche.

*

Laisser le jour, laisser la nuit. Laisser le temps, laisser le fil et le gravier,
Ce qui s’approche qu’on ne voit ni n’entend. Une sorte de floraison invisible.
C’est le printemps, dit une voix. Mais non. Ça n’a ni herbe ni fleurs. C’est à la fois
Obscur et transparent. Un souffle sans air, un pas sans pied — va savoir.



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Le 1er. Le voilà. Une mésange picore la mangeoire. Le ciel est si bas qu'il n'est plus le ciel. La bûche flambe. Le monde tourne



Ensuite, le 2, c'est la lumière à travers le rideau. Des ombres passent et repassent. On dit branches. On dit oiseaux. Quelqu'un est là, peut-être. Le monde ne cesse de tourner.



Le 3, la fatigue rampe. Elle se traîne dans les feuilles. On voit venir une lumière obscure. Mais sait-on vraiment ce qu'on voit ? On tousse. On n'arrête pas de tousser. Sale saison dit une voix. demain ressemble à hier, aujourd'hui à demain. D'ailleurs rien ne ressemble à rien. C'est l'hiver.
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Chutes V

Alidades

Chutes: non pas ce qu'on a laissé tomber, mais, en retrait de l'écriture, le mouvement de la pensée, lacunaire, éclectique en apparence et pourtant toujours revenant aux mêmes questions, comme une lampe qu'on déplace autour d'un objet, dont s'éclairent les différentes faces, dans le recherche jamais atteinte d'une totalité toujours ouverte.
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L’arbre est visible de la fenêtre. Depuis des jours, des mois, des années. Même avant la fenêtre, il était là, mais invisible parce que libre de l’image, dans le vent ou la pluie, avec ou sans feuilles. Ce qui n’a pas changé c’est cette présence obscure où se prend la lumière, où passe un bruissement léger, inaudible derrière la vitre. Quelqu’un, s’il tendait l’oreille pourrait peut-être l’en- tendre, mais à peine, comme un murmure de voix étouffées, lointaines. Pour le moment, rien n’est perceptible, rien ne bouge. C’est une fin d’après-midi de printemps grise et humide. Les couleurs sont éteintes : les verts, les bruns tendent vers une ombre qui semble veiller au centre de chaque chose. L’arbre en est plein de cette ombre mais, pour l’instant, le jour ne la laisse pas encore venir. Simplement, le tronc monte en silence, d’un seul mouvement paisible, veiné de gris puis, d’une torsion, se dédouble en deux branches maîtresses qui suivent chacune leur chemin, dessinant cette fourche énigmatique où viennent toujours se prendre les désirs. Dans cet espace, progressivement ouvert à mesure que monte le regard, s’en va la profondeur d’un pré, son vert main- tenant soutenu, vif, presque lumineux, jusqu’à la ligne obscure, clairsemée, d’autres arbres en bordure d’un chemin. Pour le moment, personne n’y passe et le regard revient aux branches maîtresses qui, entre-temps, semblent s’être obscurcies (mais peut-être est-ce un effet de contraste entre le vert du pré et le brun gris de l’écorce). S’entendent alors plusieurs cris d’oiseaux variés – pépiements, roulades, appels insistants – et le bruit plus lointain d’un train qui s’éloigne. La branche de gauche s’élève du même mouvement harmonieux que le tronc, se dédoublant elle-même jusqu’à un fouillis de ramilles où se perdent les yeux. Celle de droite, par contre, à mi-parcours dans le tracé d’un V presque parfait rompt brutalement l’équilibre en un coude qui la mène à l’horizontale vers un point coupé par le bord droit de la fenêtre. Les ramilles bourgeonnantes d’un gris vert pâle sont moins nombreuses de ce côté et l’œil s’attarde à en suivre les lignes à la fois prévues et inatten- dues. Il y a, dans la contemplation d’un arbre, un plaisir difficile à décrire. Peut-être parce qu’il a quelque chose à voir avec le clair du ciel et l’obscur de la terre sans qu’il soit possible de dire qui de l’un ou de l’autre l’emporte. Peut-être aussi par l’élégance d’un désordre qui toujours se mue, in extremis, en un ordre subtil et concerté


À ce point de son parcours l’œil a dû se détourner puisque pendant quelques secondes plus rien n’a été visible que la blancheur du papier ou ce suspens, simplement, comme dans une conversation lorsque l’un des deux inter- locuteurs reste dans l’attente de la fin d’une phrase qui ne vient pas. Dans ce blanc, peut se loger un monde. Pour l’instant, rien n’est visible qu’une lumière qui pourrait être celle d’une lampe le soir avec une main calme accompagnée de son ombre et qui écrit. S’entend même le bruit du stylo à bille sur le papier. Tout cela très rapide. Puis le blanc s’obscurcit et la nuit vient, soudaine, pleine de la traînée brasillante des lumières de la ville


Revenu, le regard, depuis la fenêtre, retrouve l’arbre. C’est le matin et le soleil vient de percer la brume. Des gouttes scintillent dans le pré et les feuilles naissantes se confondent sur le ciel blanc. Difficile de retrouver l’émotion de la veille. Pourtant, de nombreux détails hier cachés par la brume ou la lumière basse sont apparus. Et, d’abord, la montagne, au fond, entre les branches, sa face de pierre veinée de neige. Quelque chose comme un grand souffle d’air immobile, délimi- tant le ciel. Suivant les failles et les fractures, l’œil oublie l’arbre qui n’est plus qu’une gêne au premier plan. Mais son ombre, sa présence, ne se laissent pas éliminer et, par intermittence, une branche, une ramille, quelques feuilles d’un jaune naissant viennent occuper très brièvement le champ de vision. Puis, à nouveau, la montagne se rapproche – ou plutôt le regard s’éloigne à sa rencontre, glisse d’un bout à l’autre de la brume bleuâtre délimitée par la fenêtre, comme s’il y cherchait un signe, la permission, en somme de commencer le récit. Passé quelque temps, cependant, l’arbre l’emporte. Et son réseau frémissant revient remplir définitivement le cadre de la fenêtre. Tableau vivant. Silence, toujours, mais habité du mouvement des branches secouées par le vent. Malgré tous ses efforts, le regard ne réussit pas à embrasser l’ensemble des détails, sinon infinis du moins innombrables, de la vision. Il ne retient que cet éblouissement fragmenté et discret, cette agitation intermittente où il se perd, incapable qu’il est de s’arrêter sur un détail pour y épuiser définitivement le visible. Il s’y essaye malgré tout, répétant une fois de plus un trajet sans cesse repris, du tronc à la fourche maîtresse puis à la branche de gauche qui, s’élevant, se diffracte en deux dérivations elles-mêmes dédoublées en fourches ramifiées en ramilles enchevêtrées qui sont autant de signes d’encre sur le ciel clair. À droite, le tissage est moins serré, mais la fatigue le prenant, le regard tombe brusquement sur deux boîtes de bois couvertes de deux planchettes en forme de toit et suspendues aux deux branches maîtresses : fermées par un morceau de grillage, elles abritent les nids de mésanges qui, à chaque printemps ne cessent d’entrer et de sortir en un bruyant va-et-vient. Elles ont quelque chose de rassurant sous la floraison naissante de l’arbre et les yeux s’y attardent un peu avant de repartir à l’assaut du réseau inextricable d’où ils se détournent une fois encore


La pièce est spacieuse. Des rayonnages couvrent tous les murs excepté celui de gauche où s’ouvre la fenêtre. Un amoncellement de papiers et de livres, divers objets – pèse- lettres, cassettes, vieux poste de radio, Minitel, verres à crayons, boîte d’allumettes, blague à tabac – sont répartis sur une longue planche portée par des tréteaux le long du mur qui, de la fenêtre s’étend à droite jusqu’à une porte entrouverte au centre de laquelle une coupure de journal jaunie est fixée avec des punaises. Debout, devant la table, l’homme semble feuilleter des papiers ou un livre. À gauche, le soir tombe. L’arbre est un grand hiéroglyphe pâle sur le bleu sombre. Une lampe s’allume en face. Absorbé dans sa lecture la silhouette s’obscurcit. Finalement, une main tâtonne, trouve l’interrupteur : la pièce s’illumine. L’homme s’assoit à la table. Tout près, la fenêtre est presque noire et son reflet s’y dessine. Lui, n’y prête pas attention. Incliné sur une page de livre ou de cahier, il lit, jetant de temps à autre un coup d’œil distrait vers l’obscur de la vitre


Parallèle au mouvement horizontal de la branche maîtresse droite, un peu au-dessous d’elle, le chemin est une ligne coupant le vert dense du pré. Parti à gauche, de la petite route qui monte le long du même pré et dont le regard peut entrevoir l’asphalte gris près d’une ferme entourée d’arbres, il va d’un seul mouvement uniforme et presque rectiligne accompagné d’une barrière de bois brun et, ça et là d’un châtaignier, vers le bord droit de la fenêtre où il disparaît dans le fouillis clair des feuilles et des fleurs naissantes. Le pas aimerait sans doute le suivre vers cet inconnu qu’il indique, mais est-il certain que le monde continue hors du champ de vision ? C’est pour- quoi les yeux ne quittent jamais longtemps les branches de l’arbre qui oscillent sous le vent, auxquelles viennent se prendre tant d’infinis détails que leur patience ne semble pouvoir suffire. L’important, cependant, est moins de tout voir que de voir, de prendre simplement conscience de cet acte apparemment si simple où se rencontrent, se confondent l’espace de l’image et celui des yeux. Une cloche sonne le quart : deux coups paisibles, dans un silence qui pourrait être la survivance d’une époque révolue. Presque au même instant, noire et blanche, luisante, une pie se pose sur une branche, balancée un instant, queue rayant le vide, puis disparue dans le bleu pâle du ciel coupé par le bord supérieur de la fenêtre qui empêche également de distinguer le sommet de l’arbre. Le regard redescend donc une fois de plus à la hauteur de la fourche pour, dans l’espace triangulaire qu’elle délimite, traverser à nouveau le pré parcouru d’ondulations légères vers le chemin toujours vide et, passé le bouquet de châtaigniers, atteindre la pelouse puis le crépi beige et les fenêtres d’une maison neuve dont le toit brun dessine un triangle inverse à celui de la fourche sur le vert sombre des sapins étagés au pied de la montagne. À cette heure, c’est un nouveau crépuscule aux couleurs vives. Deux corneilles se détachent du haut de l’image et glissent vers le pré où s’étirent de longues ombres pâles. L’arbre est entré dans le soir. Seule sa partie supérieure reste éclairée comme la façade mauve et blanche de la montagne découpée sur le ciel d’un bleu très pur. Coassement des corneilles invisibles. Silence. La ferme à gauche paraît déserte. Le regard reste fixe un moment, comme fasciné par la paix de l’image, par cet instant d’équilibre où jour et nuit se confondent, échangent leurs visages
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je me perds dans le creux des jours
j’oublie ma voix
mais ma voix elle ne m’oublie pas
je l’entends même quand je me tais
c’est quelque chose comme un peu d’eau
qui coule quelque part
ailleurs tout près
une germination lente
silence ou sang entre deux gestes
une attente sans visage
une sorte de voyage immobile
où soudain je suis perdu
je dis il est trop tard
ou trop tôt je vois
ce que les choses jamais
ne me diront je tends la
main je l’ouvre
elle est pleine d’un feu vide
qui m’aveugle je n’y suis
pour personne j’y suis
pour le monde entier
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Je regarde mes mains comme si elles ne m’appartenaient pas. Peut-être d’ailleurs ne m’appartiennent-elles pas comme ne m’appartiennent ni mon nom ni mon visage. Je lève les yeux. Sur la fenêtre le bulldozer s’est arrêté comme pris dans un silence de fin du monde.

Une vague invisible, mais je la vois. Elle est là, sous le scintillement de l’herbe, le balancement des feuilles, dans la danse immobile de la montagne, la transparence du bleu, l’attente d’un jour où rien ne se passe que ce qui passe. Une sorte de soulèvement vide où tout s’arrête, remuements, tournoiements, tous les mouvements, les gestes, la vitesse, la lenteur, grouillements, précipitations sans fin, comme une cataracte inverse où tout, un instant, reste dans un suspens, dans l’illusion d’un temps si vaste qu’on pourrait croire y entrer. Trous noirs, naines blanches et géantes rouges, quasars, synapses, cellules, molécules, électrons, bribes, flux et reflux, infimes éclats d’une éternelle métamorphose. Mais — table, vitre, ciel ou clôture — j’y suis, et c’est pourquoi — citrons, lampe, chêne — je suis perdu.

Le temps dessine ses images. Entre clôture et ciel s’ouvre le vert d’un pré qu’on ne reconnaît pas. Si je pouvais, comme un oiseau rapide, je traverserais l’espace d’un seul battement d’aile vers l’obscure lisière de la montagne. Seul le regard m’y conduit, en revient, tissant du corps au jour les fils d’un indicible désir.
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VINGT-QUATRE HEURES L'ETE




Dix-neuf heures
On ne cherche plus, on est

là, on écoute le vent,

son bruit de mer dans les feuilles

ou dans l'enfance. Le corps

va rentrer dans la douceur

de ce qui trouve un nom.

Entre le jour, son envers

il y a comme une fissure,

aux vitres comme des flammes

qui ne brûlent plus. Les mains

reviennent vers les objets,

les visages vers leur image.

Le souffle de l'éphémère

à sept heures tisse les

ombres, les détisse. Un peu

de cendre se mêle au bleu,

au présent un peu d'oubli.

Le soir ressemble à de l'eau:

on l'attend, on ne le voit pas.



Vingt heures

Que l'on compte huit ou vingt

on comprend que la lumière

est en sursis. Maintenant

dedans et dehors échangent

leurs privilèges. On habite

également dans les feuilles,

et dans les murs. D'un espace

à l'autre courent les fils

d'un impalpable réseau.

Les portes n'arrêtent plus

l'allée-et-venue des corps.

La lancette des grillons

larde la lueur des chambres

où pérorent les speakers.

Il faut revenir au ciel

qui est ce qu'on a de mieux

en matière de spectacle:

le rose traverse le bleu

l'ombre le clair, le clair l'ombre.

C'est l'heure de l'intermède.



Vingt-et-une heures

Quand le jour cherche à durer

la douceur de l'air revient

tout effacer. On oublie

le temps. Les arbres se prennent

à l'encre de leurs branches.

A l'intérieur des voix parlent

mais comme éteintes. Le ciel

devient trop proche: une braise

entre les feuilles. On ne sait

plus ce qui vient ou s'en va.

Chaque chose se retire

dans son ombre, disparaît.

L'instant est une lueur.

On reste dans sa clarté

avec juste ce qu'il faut

de corps pour ne pas se perdre.

Ce qu'on regarde, on l'oublie.

La bouche s'ouvre, se ferme.

Le compte n'y est plus. Peu

à peu on s'abandonne aux

délices de l'entre-deux.



Vingt-deux heures

Dix heures. Les chiens aboient

comme si on entendait

l'envers brutal du silence.

Comme si montaient de la terre

une violence de voix

acharnée à mettre en pièces,

le calme à peine conquis

de la nuit. De temps à autre

ils se taisent et c'est, sans fin,

un clignotement muet,

un bourdonnement de bouches,

quelque chose comme des

lèvres entrouvertes, des mots

sans suite qui s'éparpillent

Et puis les cris recommencent.

Ils disent l'heure des dents,

le noir qui s'est mis à luire,

une obscure transaction

de racines et de ténèbres,

l'invisible connivence

de l'étoile et du charbon.
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On est là, en équilibre.
La lumière est traversée
d’ombres brèves. On reste encore
pour l’espace, pour les branches,
pour l’ombre bleue, pour le merle,
pour les visages un instant
dans le jour sans nom. Pour ce
qui ne revient pas. On reste
encore pour ce qui vient.
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Mais demain a le même visage

un ciel peut-être un peu différent

pas assez pourtant pour qu’on comprenne

ce qu’on voudrait dire se retire

ce qui vient c’est toujours autre chose

tu ne t’y reconnais pas tu entres

dans ce qui au fond de la voix n’a

pas de voix tu restes là sans mots

comme la lumière sur les mains
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Ce qu’il y a on n’en sait rien

un soleil sans doute sur le point de

disparaître l’éblouissement

avant la nuit de ce qui se perd

toujours ou au contraire

l’éclat de ce qui vient la neige au matin

un silence plein de cris d’enfants

qu’on ne voit pas mais qu’on sent tout près

là comme un souffle entre deux instants
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On touche on cherche y a-t-il jamais

eu autre chose que ce suspens

comme entre deux et quatre la rue

l’été c’était l’enfance le jaune

de la maison d’en face on répète

les mêmes mots les mêmes images

comme s’ils gardaient un peu de corps

et qu’on était resté là toujours

le front contre le froid de la vitre
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