LAISSER DIRE
I
Extrait 4
Laisser le jour, laisser la nuit. Laisser le temps, laisser le fil et le gravier,
Ce qui s’approche qu’on ne voit ni n’entend. Une sorte de floraison invisible.
C’est le printemps, dit une voix. Mais non. Ça n’a ni herbe ni fleurs. C’est
à la fois
Obscur et transparent. Un souffle sans air, un pas sans pied — va savoir.
*
LAISSER DIRE
I
On ne sait pas laisser dire. On dit ou on laisse. On ne fait pas les deux.
La nuit, par exemple. Laisser dire la nuit. La lueur de la pierre et l’étoile.
Laisser dire ce qu’on ne voit pas mais qu’on entend, si près qu’on l’a sur
le bout de la langue.
Quelque chose grignote les heures. On aurait cru l’inverse, mais non. On
ferme les yeux. On laisse dire.
*
On laisse. La lumière pousse sous les yeux, la voix glisse entre les dents.
Dehors, la beauté ressemble à une image. Mais c’est dedans qu’elle est
cachée.
Ce qu’on voit on l’écoute, mot à mot, l’inquiétude légère, la douleur,
La montagne gonflée, rayée de vols, le temps qui vous regarde de ses
pupilles vides.
+
On voudrait que ça ne cesse de parler. Comme des vagues, une à une,
Qui déposeraient sur le silence tout ce qu’on n’a pas su dire, ces petits
riens,
Ce cri de la vie multiplié qu’on entend là- bas, ici, hier, demain, dehors,
dedans,
De partout et nulle part et qui vous traverse tellement que vous n’avez
plus de bouche.
*
Laisser le jour, laisser la nuit. Laisser le temps, laisser le fil et le gravier,
Ce qui s’approche qu’on ne voit ni n’entend. Une sorte de floraison invisible.
C’est le printemps, dit une voix. Mais non. Ça n’a ni herbe ni fleurs. C’est
à la fois
Obscur et transparent. Un souffle sans air, un pas sans pied — va savoir.
VOIR
II
Mêmes lieux, même lumière.
La voix à côté : on peut
la comprendre. Mais non. Une autre
parle plus près. On l’écoute.
Le silence est plus profond.
La neige comme une métaphore.
Dans les yeux, des mots se pressent.
Les énumérer ne sert à rien.
On dit quand même : bol, gel, pied.
Que voit-on qu’on ne voit pas ?
Que voit-on dans le jour bas ?
L’attente est blanche. On se serre
entre hier et demain. Ici
dans un instant de doigts froids.
Le présent est sans visage.
Le peu qu’on entend des voix
est un chemin vers ce qu’on
ne sait pas. La main se pose
sur la main. Les choses perdent
leur nom. L’heure n’est plus l’heure.
LAISSER DIRE
I
Extrait 2
On laisse. La lumière pousse sous les yeux, la voix glisse entre les dents.
Dehors, la beauté ressemble à une image. Mais c’est dedans qu’elle est
cachée.
Ce qu’on voit on l’écoute, mot à mot, l’inquiétude légère, la douleur,
La montagne gonflée, rayée de vols, le temps qui vous regarde de ses
pupilles vides.
*
Tard - III
MAIS C’EST PARCE QU’IL EST TARD…
Extrait 3
Trop tard aussi sur la vitre
avec le gris, le violet :
la nuit se fait dans le jour,
le jour se fait dans la nuit,
l’un ou l’autre on ne sait plus.
POÉSIE HISPANIQUE – l’Espagne contemporaine : de l'Ultraísmo à Sanchez Ortiz (France Culture, 1982)
Une compilation des émissions « Albatros », par Gérard de Cortanze, diffusées les 3, 10, 17, 24 et 31 janvier 1984 sur France Culture. Invités : Jacques Ancet, Saül Yurkievich, Claude Miniere et Severo Sarduy. Poètes évoqués : José Angel Valente, Pere Gimferrer, Andres Sanchez Robayna, Julian Rios et Emilio Sanchez Ortiz.