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Citations de Jacques Réda (161)


[…] En définitive, quel est mon but ? Peut-être d’essayer de maintenir l’élément musical du poème, mais en le débarrassant de mon mieux, par le biais d’une imitation de la prose parlée (et du recours à un prosaïsme), de l’hystérique-sacerdotal où entraîne parfois la musique du vers comprise à tort comme suprématie de la mélodie sur le rythme.
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En ce qui me concerne […] l’excitation que vous cherchez à raviver autour de la création poétique me bassine de plus en plus. Il me semble que la poésie se prouve d’elle-même ou qu’elle n’existe pas.
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TERRE DES LIVRES


Longtemps après l'arrachement des dernières fusées,
Dans les coins abrités des ruines de nos maisons
Pour veiller les milliards de morts les livres resteront
Tout seul sur la planète
Mais les yeux des milliards de mots qui lisaient dans les nôtres,
Cherchant à voir encore,
Feront-ils de leurs cils un souffle de forêt
Sur la terre à nouveau muette ?
Autant demander si la mer se souviendra du battement de nos jambes; le vent
D'Ulysse entrant nu dans le cercle des jeunes filles
Ô belle au bois dormant
La lumière aura fui comme s'abaisse une paupière
Et le soleil ôtant son casque
Verra choir une larme entre ses pieds qui ne bougent plus
Nul n'entendra le bâton aveugle du poète
Toucher le rebord de la pierre au seuil déserté,
Lui qui dans l'imparfait déjà heurte et nous a précédés
Quand nous étions encore à jouer sous vos yeux,
Incrédules étoiles
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On ne saurait demander aux gens, dont la tête qu’ils ont dans leurs voitures en dit assez sur leur capacité de vibration poétique, de se pâmer en outre sur ces vapeurs. Ils s’en foutent et ils ont raison.
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Où sommes-nous, entre l'encre oublieuse et les étoiles
En travail démesurément autour de ce berceau
Que la pensée à son commencement perpétuel
Habite à petits cris;
Qui sommes-nous pour accorder un sens à la poussière de nos mots
Plutôt qu'à ce trébuchement de la parole à la pointe du jour qui nous terrasse?
Et cependant qu'avons nous d'autre ici que ce barrage de voyelles transparentes
De friables consonnes cédant sous le poids de la nuit
Qui presse aux tempes la clarté sans borne répandue
Dans l'espace du rêve et sur le toit de nos maisons?
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REBELLES

Comme les fous ils ont mordu la terre à pleine dents,
Saisi l'herbe noire et coupante à poignées,
Jeté leur front contre le front des monuments
Qui méditent chez nous la mort et la justice.
Comme à des fous nous leur avons lié les mains et les chevilles,
Brûlé la langue et brisé les os sur les escaliers de la justice,
Puis nous avons tassé la terre odorante et molle sur leurs fronts sanglants.
Ils sont paisibles maintenant; les plus menacés d'entre nous,
La nuit, parmi la foule des vieux morts les voient passer,
Tenant une sébile vide ou une crécelle, et leur bouche édentée
S'ouvrant pour un sourire où bascule notre sommeil.
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On lit, dans une étude sur la poésie,
Que les poètes obsédés par la mort aujourd'hui
S'inspirent de la tradition germanique
Cette remarque est une fleur séduisante de la culture
Mais les sentiers de sa peur n'étaient pas fleuris,
Ils serpentaient autour d'une obscure caverne
Avec sa litière de fumier d'homme et d'os,
ET jamais nul soutien, nul appel ne lui vint
D'aucune tradition germanique ou autre, non,
Il travaillait sous la menace d'une primitive massue.
Ainsi "meurs" fut le sens brutal de la langue étrangère
Qu'il traduisit tant bien que mal dans le goût de l'époque,
Rêvant parfois qu'un dieu lettré, par égard pour cette agonie,
établirait son nom dans l'immortalité des livres.
Mais retenu du côté des sordides ancêtres,
Ignorant l'art du feu, dans la caverne il était seul
à savoir qu'il devait mourir de la même mort que les mots, les astres et les monstres.
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Vous n'en finissez pas d'ajouter encore des choses,
Des boîtes, des maisons, des mots,
Sans bruit l'encombrement s'accroît au centre de la vie,
Et vous êtes poussés vers la périphérie,
Vers les dépotoirs, les autoroutes, les orties;
Vous n'existez plus qu'à l'état de débris ou de fumée.
Cependant vous marchez,
Donnant la main à vos enfants hallucinés
Sous le ciel vaste, et vous n'avancez pas;
Vous piétinez sans fin devant le mur de l'étendue
Où les boîtes, les mots cassés, les maisons vous rejoignent,
Vous repoussent un peu plus loin dans cette lumière
Qui a de plus en plus de peine à vous rêver.
Avant de disparaître,
Vous vous retournez pour sourire à votre femme attardée,
Mais elle est prise aussi dans un remous de solitude,
Et ses traits flous sont ceux d'une vieille photographie
Elle ne répond pas, lourde et navrante avec le poids du jour sur ses paupières,
Avec ce poids vivant qui bouge dans sa chair et qui l'encombre
Et le dernier billet du mois plié dans son corsage.
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Maintenant tu comprends,
maintenant le retour pas à pas s’explique :
une autre maison contenait celle où tu dormais contre la mère,
une autre mère aussi veillait, chantonnant, tricotant,
ayant toujours à faire, à refaire, défaire (le désordre est tenace
le désordre toujours dès que l’on cesse de vouloir
se rétablit de lui-même avec grande facilité […].
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Je est un autre ? Allons, allons, la vieille ruse. Quand Je ne peut plus se souffrir, hop il tente ce détour avec astuce ou nage vers un zénith obscur où clame Personne.
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J’ai rêvé quelquefois à une physique de la poésie.
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L’accès de fièvre, l’exaltation quasi morbide qui exige la solitude et se résout en lignes inégales sur du papier, c’est curieusement ce que le poète appelle sa santé. Et l’espace désert entre ces petits galops intermittents s’étend comme une maladie. Le tout : en faire bon usage.
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« […] C’est bien possible […] qu’à la fin je ne sois pas trop fier de tant d’heures perdues tandis que d’autres rallument la chaudière, torchent les gosses et n’en font pas des exégèses ; possible qu’il n’y ait que du mauvais orgueil sous cette modestie déraisonnable. Mais s’agit-il de moi vraiment ?
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Il y a autant de poésies que de poètes.
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La bénédiction de Saint Serge

(...) Sur la façade en bois d'escalier découpé de l'église
grimpent obliquement les caractère slavons hâves et pointus,
et l'intérieur aussi ressemble au fond obscurci d'une lampe
que le vent balance avec nos deux mains jointes au-dessus de Paris.
J'interprète mal le symbolisme liturgique de ce théâtre,
quand l'officiant barbu surgit d'une isba dans un coin, tenant d'une main son livre et de l'autre une minuscule bougie.
Puis il rentre et les voix recommencent une psalmodie où rôdent
des cris d'alouette et des rondes d'amour dans les prairies...

p. 125
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Tout le monde sait que l'ancienne gare de la rue de Boulainvilliers est occupée par une dame dentiste, mais lui appartient-elle vraiment ? Un stand de tir a sa plaque aussi plus loin sur la grille, et je me perds en corrélations. Jamais je n'ai perçu les vrombissements de la fraise, des détonations de carabines ; tout se passe peut-être dans l'obscurité des tunnels...

p. 95
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TRANSFERT


Maintenant je sors à nouveau d'une maison du temps.
Faire autrement je ne peux pas, non, il faut que je sorte.
À peine avait-il refermé tout doucement la porte
(Il y avait des fleurs, il y avait du feu pourtant)
Je l'ai vu qui me souriait derrière la fenêtre.
J'ai tiré les petits rideaux sensibles — rouge et blanc.
Dehors aussi des fleurs et du feu : neige et ciel. Peut-être
Que nous aurions pu vivre là quelques heures, le temps
Et moi, sans rien dire, pour mieux apprendre à nous connaître.
Mais il n'entre jamais. Il bâtit sans cesse en avant.
Je l'entends de l'autre côté des collines qui frappe,
Qui m'appelle, et je ne dois pas le laisser un instant,
Mais le suivre, le consoler d'étape en étape.
Et tantôt je ne touche rien dans les maisons du temps,
Ou juste un pli qui se reforme au milieu de la nappe,
Tantôt vous comprenez c'est plus fort que moi, je descends
Tout à grands coups de pied dans cette saloperie,
Et si quelqu'un se lève alors des décombres et crie
(Parfois on dirait une femme, et parfois un enfant)
Je m'en vais sans tourner la tête, car on m'attend.

p.145
Extraits Récitatif (1970), Gallimard, 1988.
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PRIÈRE D'UN PASSANT


Toi qui peux consoler, dieu des métamorphoses, vois
Le désordre uniforme de vivre et comme je suis las.
Je voudrais devenir une pierre et rêver ta gloire
Obscurément, comme rêvent l'ardoise et le charbon.
Ou bien fais-moi semblable à cette aile d'espace
Qui vibre à peine sur les toits et le long des façades
Quand le soir m'ouvre l'amitié muette des maisons.
Mais ne me laisse pas, entre la rue et les nuages,
Contre la marche bleue heurter mon crâne ; casse-le,
Répands-le dans ta douceur d'ardoise et d'horizon.

p.54
Extraits Amen 1968, Gallimard, 1988.

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Pauvreté. L'homme assiste sa solitude.
Elle le lui rend bien. Ils partagent les œufs du soir,
Le litre jamais suffisant, un peu de fromage,
Et la femme paraît avec ses beaux yeux de divorce.
Alors l'autre que cherche-t-elle encore dans les placards,
N'ayant pas même une valise ni contre un mur
La jeune amitié des larmes ? — Te voilà vieille,
Inutile avec tes mains qui ne troublent pas la poussière.
Laisse. Renonce à la surface. Espère
En la profondeur toujours indécise, dans le malheur
Coupable contre un mur et qui te parle, un soir,
Croyant parler à soi comme quand vous étiez ensemble.

p.203
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COUVRE-FEU

Dans le lit de la loi couche le malfaisant ;
Contre le feu mort de la loi tremble le juste.
Effrayée la bonté se cache au fond des cours,
Dans les yeux des enfants
Retournés du côté de l'enfance déjà perdue.
Une longue hésitation saisit les avenues.
Ô sommeil de l'espace, qui
Nous égare à présent sur les ponts démarrés du rêve ?
(Et sans cesse des profondeurs soupirent les sirènes.
Tel qui dormait près de son cœur entend
Battre par les fourrés le pas du matin qui s'approche
Et les dieux impuissants pleurer dans leur retranchement.)

p.97
Extraits Récitatif II 1970, Gallimard ,1988.
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