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EAN : 9782070324583
223 pages
Gallimard (22/01/1988)
4.25/5   20 notes
Résumé :
Lente approche du ciel C'est lui, ce ciel d'hiver illimité, fragile, Où les mots ont la transparence et la délicatesse du givre, Et la peau froide enfin son ancien parfum de forêt, C'est lui qui nous contient, qui est notre exacte demeure. Et nous posons des doigts plus fins sur l'horizon, Dans la cendre bleue des villages. Est-il un seul mur et sa mousse, un seul jardin, Un seul fil du silence où le temps resplendit Avec l'éclat méditatif de la première neige, Est-... >Voir plus
Que lire après Amen ; Récitatif ; La tourneVoir plus
Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
— après cela (je commence, je commence toujours, mais c'est aussi toujours une suite), après cela j'avais essayé de quitter ma vie. Elle s'était en réalité déjà séparée de moi, comme une maison rejette ses habitants à l'occasion d'un tremblement de terre. Bien sûr aucune maison ni cette vie ne m'avaient appartenu. Cependant je restais pris sous les décombres. Il y avait dans cet écrasement encore de la protection et de la chaleur. J'aurais dû me tenir tranquille. Des événements plus sourds se préparaient dehors. Insensiblement le temps s'était remis en marche dans sa poussière. Moi j'imaginais sans bouger un grand bond par-dessus ce désastre, ma disparition d'un seul coup sur les rails où fonce une seule étoile déchiquetée. Mais tout s'accomplit à son heure, on décide peu. De nouveau j'entrepris des petits voyages. Humbles, oui, et parfois de trois quatre kilomètres aux alentours (tous ces hérissons qui séchaient sur le bord de la route, transformés en galettes), puis d'autres plus considérables mais guère différents pour le fond, renouant prudemment avec mon vieil espoir de le trouver à l'arrivée, l'autre aussitôt reconnu et qui après un signe de connivence imperceptible (mais vu, compris), s'éloigne et je le suis jusque dans le couloir d'une sordide baraque à un étage où il faut faire vite : un pas lourd au plafond ébranle des planches, précipite du plâtre, mais j'ai le temps d'apercevoir un vitrail de sureaux qui flambe sur les gravats. Alors il chuchote : C'est vous ? — C'est moi.



Et nous échangeons ces pronoms comme des passeports volés à l'ambassade, avec les vrais tampons et le bleu brumeux de l'avenir dans chaque page, intact. Puis : les dernières recommandations, les derniers vœux, l'accolade virile avant de nous perdre, chacun de son côté, dans la végétation déjà ténébreuse des rues. Jamais rien de ce genre évidemment ne se produisait. Je tombais trop tard ou trop tôt dans d'immenses villes abandonnées. En général trop tard, par l'omnibus dont les étapes à travers les banlieues divisaient à n'en plus finir la moitié de la moitié d'une distance obstruée par la nuit. Souvent, inexplicablement ou peut-être à titre d'épreuve, on restait bloqué sur un pont, juste entre la rambarde et le souffle plein d'arrachements d'étincelles violettes des convois de sens inverse qui cherchaient à nous culbuter, et je ne distinguais plus en bas qu'un remous pauvre aspirant le regard et l'espace avec l'eau du fleuve elle-même au fond du gouffre. Et j'avais peur, un peu. Mais ne possédant pas de montre j'étais patient, surtout quand au lieu de la lune tirée comme un boulet incandescent par un silo ou une cheminée, luisait comme pour soi, pour la pluie, l'écheveau des triages qui dans la plus compacte obscurité réfléchissent des bolides en proie sous l'horizon au silence dévastateur de leur vitesse. Très loin brillait l'angle d'un mur.



Et contre, pour obéir à l'attraction du centre, dans un halo de ces becs de gaz les avenues encore indécises viraient en se prononçant pour l'équilibre, et rameutaient ce troupeau de l'étendue bâtie vers son foyer. Mais un centre, à vrai dire (ce que moi j'appelais centre depuis qu'on m'avait expulsé du mien), les villes en ont un rarement. Ou du moins elles le cachent, à la longue elles l'oublient, elles l'ont perdu ; et comment le découvrir sinon par hasard ou par chance ; et si ce que l'on trouve alors n'est pas un simulacre, on le devine à la trouble douceur de déconvenue où s'étouffe le pressentiment : c'est un simple fragment qu'il faudrait combiner à d'autres (ces pavés dans une arrière-cour, ces yeux qu'on a croisés et qui semblaient savoir, d'une science aussi ancienne et obtuse que celle des choses), pour obtenir enfin du désordre apparent qu'on a remué de rue en rue la figure occulte et logique dont les lignes innombrables se recoupent en un seul point. J'explorais des périphéries.



Alerté puis déçu, puis appelé de nouveau comme si un cataclysme n'avait laissé debout que les ruines d'une volonté pareille à une phrase encore claire dans le mot-à-mot, mais qui faute d'un verbe rétroactif maîtrisant l'émiettement du sens demeure intraduisible, ainsi je comprenais tour à tour la courbe en surplomb d'un boulevard, du buis dans une impasse, la gaieté d'un sentier ; ailleurs un sous-sol sans maison rempli de cartons et de ferrailles, une façade sans immeuble, des moteurs au milieu d'un pré ; ensuite un gros pneu dans un saule, deux enfants devant une affiche aux lions désabusés et, de chaque côté d'une usine éventrant par désœuvrement ses carreaux au soleil puni, des maïs en papier jusqu'à de fulgurantes citernes. Et ensuite encore une rue, des maisons, plus de maisons, des jardins, plus de rue, plus personne, rien que du ciel comme moi partout présent et partout égaré ; du ciel guettant le ciel sous des buissons, dans la profondeur des fenêtres ; du ciel dévalant au bas d'une côte où vibrait le bord de l'horizon dans l'herbe comme un fil, puis sautant vers le ciel un instant fixe, vertical, avant de crouler avec la soudaineté d'une intuition nocturne ou d'une bête. J'étais porté. Mais la loi qui le dirigeait renversait aussi bien le mouvement de cette fuite en spirale, et à certains indices (non, je n'avais jamais faim, j'étais stimulé par la pluie), encore dans l'hésitation de la lumière qui gonfle sur les derniers chantiers, je savais qu'il me reconduisait vers l'intérieur, dans les quartiers que la fin du jour saisit d'une puissante hébétude. Là des palais, des musées, des pelouses, des banques, des ministères délimitaient l'aire bientôt déserte où je pensais que le centre en peine viendrait traîner peut-être avec la nuit. En tout cas je me reposais quand à force de marcher j'avais touché la pointe anesthésique de la fatigue, et m'abandonnais sur un banc à l'inertie tournoyante de la planète et des corps des millions de dormeurs autour de moi qui veillais dans la cataracte en suspens de tant de silence. Qu'est-ce que j'ai retenu? Sans grande passion pour l'histoire, observateur médiocre (ou je m'éprends une à une de toutes les briques d'un mur, ces briques crues des temps qui tiennent juste au creux de la main avec le poids et l'or et la tiédeur d'un petit pain retournant par-delà des siècles à sa farine), seul et sombre comme illettré dans les accords fondamentaux des musiques que font les langues, mais j'écoutais; confiant en d'absurdes systèmes établis sur les goûts des tabacs (car une odeur autant qu'un lieu pouvait me livrer le centre — et les poches alors bourrées de dix variétés de cigarettes, les moins chères, celles qui sous de naïfs emblèmes cosmopolites perpétuent la dérive de journées de chômage et de samedis de bals à tangos), je flottais avec ma fumée et n'en sortais que comme une fine antenne promenée par la ville elle-même, une lanterne qu'elle portait en rêve au travers de sa propre masse pour en sonder l'énigme et l'épaisseur. Quant au centre j'en parle, j'en parle, mais après coup. Je suivais une pente. Qu'elle m'ait aspiré jusqu'à lui, et je ne serais pas ici tranquillement à relever encore ses traces, puisqu'il accordait cela du moins, traces ou signes par l'antenne aussitôt en éclair vers le cerveau pour y cristalliser la distraction en vigilance. Oui, tout cela prompt, furtif, car si centre il y a, ce n'est rien que ravalement d'une indifférence féroce. Il m'aurait englouti. Par exemple je me souviens d'une porte : elle battait au fond d'un couloir et j'ai vu beaucoup d'autres portes, mais c'était donc celle-là ; une autre fois, à Bologne, près d'une basilique en agglomérés de lune, un petit théâtre d'ombre et de linge improvisait pour un buste d'Hermès aux yeux rongés, et c'était ce drame. Puis quand le soleil poussait du front sur les potagers aujourd'hui défoncés en haut de Belleville; quand cette galerie qui obliquait encore à Prague entre des magasins se transformait en église et, pour finir, en square où des couples muets déambulaient dans la chaleur, sous la lueur des globes exténuée d'avoir franchi les poussières du songe : c'était là, je ne bougerais plus, bien que ce ne fût ni le but ni l'étape, mais cette déception en somme réconfortante d'avoir pour un moment trouvé l'enclos dont j'aurais pu, après tant d'heures usées contre du vent, contre des pierres, devenir pierre et vent à mon tour le génie sans identité qui sous un ciel de glace, les rayons déclinants, allume entre l'inerte et les yeux obscurcis une étincelle. Alors on connaît sans savoir. On connaît que des êtres passent, et que des événements s'infiltrent. Alors j'ai pénétré des cœurs, entendu le déclic prémonitoire dans le retrait d'existences vouées à la désolation ou à la sauvagerie. Et de quel droit? Celui qui peut connaître ainsi, malgré soi qui fracture, l'équité voudrait qu'il assiste ensuite : or lui s'en va. Je repartais, en effet, attiré de nouveau dans les faubourgs par cette lampe qui de relais en relais au sommet des immeubles révèle et dérobe à la fois l'éclat du centre inaccessible. Et toujours cependant, à voix basse imitant la mienne, quelqu'un me demandait d'attendre encore, encore un peu, mais il fallait que je m'en aille, amalgamant sans m'en douter quelque chose de ma substance à ces blocs d'inconnu. Ensemble nous avons produit de l'angoisse et du danger, des lambeaux d'illusion qui puisent à mes dépens dans leur détresse de n'exister qu'à peine une sorte d'énergie. Car en contrepartie la mienne s'amoindrissait. Et maintenant, comme moi j'avais erré à la recherche du centre, obsédées par l'oubli des mots qu'elles avaient voulu me dire, que j'avais refusés (et qui étaient le passeport, peut-être, la formule de l'échange avec l'autre et notre délivrance), ces empreintes à moitié vivantes de mon passage s'étaient mises à rôder. Comment faire pour les aider, et qu'elles me pardonnent ?



Souvent elles apparaissent, consternées au grand jour, sans arrêt, comme à coups de pelle, qui vient les déterrer, mais pour ne pas gêner, pour se donner l'air hypo
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Il est tard maintenant.
Me voici comme chaque soir
Claquemuré dans la cuisine où bourdonne une mouche.
Sous l'abat-jour d'émail dont la clarté pauvre amalgame
Les ustensiles en désordre, un reflet dur écrase
Ma page confondue aux carreaux passés de la toile,
Et la fenêtre penche au travers de la nuit où tous
Les oiseaux se sont tus, et les mulots sinon les branches
Que le vent froisse et ploie, et les plis des rideaux,
Et les remous de l'eau contre les berges invisibles.

Mais qu'est-ce qui s'agite et crisse en moi, plume d'espoir
Qui s'émousse comme autrefois quand j'écrivais des

lettres
Et que toujours plus flous des visages venaient sourire
En filigrane, exténués comme le sens des mots
Ordinaires : tu sais la vie est plutôt difficile
Depuis qu'Irène — ou bien ne me laissez pas sans

nouvelles.



Et pour finir ces formules sans poids qui me navraient.
Ton père affectionné, ma grande, et tous ces bons baisers
Au goût de colle, de buvard et d'encre violette.

Non, soudain c'est ma propre image qui remonte et flotte À la surface du papier, sous les fines réglures,
Comme le jour où chancelant sur le bord du ponton
Parmi les frissons du courant j'ai vu glisser en paix
Ma figure sans nom. —
L'identité du malheureux
N'est pas avec certitude établie — oh laissez-le
Dériver ; que son âme avec l'écume du barrage
Mousse encore, s'envole et vienne se tapir ici
Dans les fentes du plâtre et le grincement de la porte.

Alors comprendra-t-on pourquoi les jours se sont noyés
L'un après l'autre, jours divers, mais c'est toujours le

même,
Hier, demain, jamais, qui réapparaît aujourd'hui
Et qui me voit rôder de la cuisine aux chambres vides
Locataire d'une mémoire où tout est démeublé,
Où jusque sous l'évier s'affaiblit l'odeur familière
Et, par les dimanches passés au rideau poussiéreux.
L'illusion que tout aurait pu de quelque autre manière
Conduire à d'autres seuils — mais la même ombre

m'attendait.

Que reste-t-il dans les tiroirs : quelques cartes postales,
Deux tickets de bal, une bague et des photographies
Qui regardent au loin à travers de beiges fumées ;



Plus pâles chaque jour ces nuages du souvenir
M'enveloppent, j'y dors sans poids, sans rêve, enseveli
Avec ce cœur docile et ponctuel qui fut le mien peut-être, et qu'emporte à présent le rythme de l'horloge
Vers le matin du dernier jour qui va recommencer,
Déjà vécu, levant encore en vain sa transparence.

Si doux, ce glissement du train de banlieue à l'aurore (Quand de l'autre côté du carreau tremblant de buée
Le ciel vert et doré grandit sur la campagne humide)
Que c'est lui qui m'éveille aussi le dimanche et me mène
Jusqu'à l'enclos où j'ai mes tomates et mes tulipes.
Autour, dans la fumée et l'odeur aigre des journaux,
Songeant à d'autres fleurs, au toit de la tonnelle qui
S'effondre, mes voisins obscurs et taciturnes vont,
Convoi d'ombres vers la clarté menteuse du matin.

À cette heure malgré tant de déboires, tant d'années,
Je me retrouve aussi crédule et tendre sous l'écorce
Que celui qui m'accompagna, ce double juvénile
Dont je ne sais s'il fut mon père ou mon enfant, ce mort
Que je ne comprends plus, avec sa pelle à sable, avec
Sa bicyclette neuve, et son brassard blanc, son orgueil
Tranquille de vivant qui de jour en jour s'atténue
Entre les pages de l'album pour ne nous laisser plus
Que le goût d'une réciproque et lugubre imposture.

Muets, dépossédés, nous nous éloignons côte à côte,
Et ce couple brisé c'est moi : le gamin larmoyant



Que n'ont pas rebuté les coups de l'autre qui s'arrache À la douceur d'avoir été, quand le pas se détraque
Et que l'on est si peu dans le faible clignotement
De l'âge, sac de peau grise flottant sur la carcasse
Déjà raide et froide où s'acharne, hargneuse, infatigable,
L'avidité d'avoir encore un jour, encore une heure
Avant de quitter le bonheur débile de survivre.

Ne pouvoir m'empêcher de songer à ma mort (si fort
Parfois qu'en pleine rue on doit le voir à ma démarche)
Alors qu'elle sera la fin d'un autre dont la vie
N'aura été que long apprentissage de la mort :
Pourquoi cette épouvante et ce sentiment d'injustice ?
Qui te continuera, rêve d'emprunt d'où chacun sort
Comme il y vint, sans se douter que ce dût être si
Terrible de restituer cette âme qui faisait
Semblant de s'être accoutumée à nous ?
Je me souviens :

Un beau soir d'été dans la rue, est-ce qu'il souriait ?
Voici qu'il tombe la face en avant sur le trottoir.
Autour de lui beaucoup de gens se rassemblent pour voir
Comment il va mourir, tout seul, attendant la voiture,
Se débattant pour la dernière fois avec son cœur
Et son âme soudain lointaine où subsiste un reflet
De l'improbable enfance, un arbre, un morceau de

clôture,
Quelques soucis d'argent et peut-être un nom, un visage
Effacé mais qui fut l'unique et déchirant amour.



Et c'était moi qui m'en allais déjà ; ce sera lui

Qui mourra de nouveau quand viendra mon tour ; c'est

toujours
Tout le monde qui meurt quand n'importe qui disparaît.
S'il me souvient d'un soir où j'ai cru vivre — ai-je vécu.
Ou qui rêve ici, qui dira si la fête a jamais
Battu son plein ?
Faut-il chercher la vérité plus bas
Que les branches des marronniers qui balayaient le

square
Sous les lampions éteints, parmi les chaises renversées,
Quand le bal achevé nous rendit vides à la nuit ?

Les fleurs que l'on coupa pour vos fronts endormis,

jeunesses
Qui dansiez sans beaucoup de grâce au milieu de l'estrade
Au son rauque du haut-parleur, dans un nuage de
Jasmin, de mouches, de sueur, les yeux tout ronds devant
Les projecteurs cachés entre les frondaisons dolentes,
Les fleurs, las voyez comme en peu d'espace les fleurs ont
Glissé derrière la commode où leur pâle couronne
Sans musique tournoie avec les cochons du manège,
L'abat-jour en émail, les remous sombres du ponton.

Je ne revois que des cornets déchirés, des canettes
Dans l'herbe saccagée, et des guirlandes en lambeaux,
Et l'urne de la tombola brisée sous les tréteaux,
Et l'obscur espace du tir d'où plumes et bouquets
Ont chu dans la poussière.
Et voici les objets perdus
Dans le tiroir que personne après moi n'ouvrira plus



Pour réclamer en vain cette lettre qui manque, mais

Pour rire d'un portrait de belle prise dans l'ovale

Et levant d'impuissantes mains jusqu'à son dur chignon

Quel tenace et triste parfum d'oubli monte, s'attarde
Avec les cloches du matin qui rôdent sous les branches
Et la cadence de l'horloge au-dessus du réchaud.
Au loin dans le faubourg où finissent toutes les fêtes
Une dernière fois l'ivrogne embouche son clairon.
En bâillant, cheveux dénoués, la belle ôte ses bagues ;
Au fond de l'insomnie où m'enferme le bruit des mots,
Son épaule de miel est-ce le jour qui recommence,
Son silence l'espace où vont éclater les oiseaux ?
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ÉQUINOXE

Je cherchais comment l'eau, les rochers, les oiseaux, les
arbres
Font pour tenir ensemble, et les nuages qui figurent
Le monde vagabond, rythmique, engendré, s'engendrant
Comme le même songe instable au fond d'yeux jamais
clos.
Je savais qu'à beaucoup se refuse la gloire d'une herbe
Au sommet d'un talus, pesant le dos large du ciel
Qui nous supporte, et que le vent chasse dans la lumière
Les signes des cristaux de neige pour la boue.
— Ô tête
Ici de tout soutien privée, où est le mur? (Un mur
À défaut d'une mère, et dormir dans les ruines de son
flanc.)

Et je voyais le vide entrer dans l'apparence avec
Les bourgeons qui toujours pour la première fois reviennent.
Poussés par la force d'oubli qui de sa couche arrache
Et féconde ce vaste corps tumultueux d'étoiles
Puis l'abandonne à notre porte ouverte, comme un dieu
Encore enfant mais bien trop haut pour nous, hôtes déjà
Qui hébergeons et nourrissons le dieu de notre mort.

Du seuil, je relevais d'oiseaux et d'arbres quelques traces
Au fond de la combe où le soir tout à coup se rappelle —
Et c'était l'heure où, des enfants, brillent à contre-jour
Les bicyclettes, quand
Le plus petit au carrefour tombe dans un remous
De lueurs qui vont l'engloutir en larmes dans la mémoire ;
Et touchant de la nuit la bouche dépravée j'ai dit :
Quel long désastre en bouquets éclatant qui saluent
L'éveil jamais surgi dont nous sommes le souvenir
Les messagers perdus dans les distances inhabitables.

p.91-92
Extraits Récitatif I 1970, Gallimard, 1988.
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LENTE APPROCHE DU CIEL

C’est lui, ce ciel d’hiver illimité, fragile,
Où les mots ont la transparence et la délicatesse du givre,
Et la peau froide enfin son ancien parfum de forêt,
C’est lui qui nous contient, qui est notre exacte demeure.
Et nous posons des doigts plus fins sur l’horizon,
Dans la cendre bleue des villages.
Est-il un seul mur et sa mousse, un seul jardin,
Un seul fil du silence où le temps resplendit
Avec l’éclat méditatif de la première neige,
Est-il un seul caillou qui ne nous soit connus ?
Ô juste courbure du ciel, tu réponds à nos cœurs
Qui parfois sont limpides. Alors,
Celle qui marche à pas légers derrière chaque haie
S’approche ; elle est l’approche incessante de l’étendue,
Et sa douceur va nous saisir. Mais nous pouvons attendre,
Ici, dans la clarté qui déjà nous unit, enveloppés
De notre vie ainsi que d’une éblouissante fourrure.

p.48
Extraits Amen (1968), Poésie-Gallimard, 1988.

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Je montais le chemin quand j’ai vu d’un côté
Les sapins consternés qui descendent après l’office
Et de l’autre les oliviers en conversation grande
Fumant posément au soleil de toutes leurs racines.
Et droit sur les ravins à moitié remplis de bouteilles,
Os, ferraille, plastique, obscénité des morts,
La rose équitable du jour déjà crevait l’épine.
À chaque pas : le centre, et le cercle du temps autour
Bien rond mais moi j’étais autour aussi pour cette pie
Et pour d’autres chemins qu’il aurait fallu prendre, qui plongent
Vers des creux à l’affût, sous la viorne, de la folie.
C’est alors qu’il fait bon marcher avec du tabac dans la poche
Pour plus tard et chouter dans ces os et tôles sur les labours
Tandis que le soleil rame bas pour laisser tout le champ libre à sa lumière.

p.184
Extraits La Tourne (1975), Poésie-Gallimard, 1988.

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Vidéo de Jacques Réda
Jacques Réda Quel avenir pour la cavalerie ?
Rencontre animée par Alexandre Prieux
La poésie serait-elle une guerre ? le vers, le corps d'élite de la langue ? En retraçant l'histoire de notre prosodie, Jacques Réda dévoile les processus de transformation du français, aussi inéluctables que ceux de la physique. Où les poètes sont les exécutants plus ou moins conscients d'un mouvement naturel. du Roman d'Alexandre à Armen Lubin, en passant par Delille, Hugo, Rimbaud, Claudel, Apollinaire, Cendrars et Dadelsen, Jacques Réda promène son oeil expert sur des oeuvres emblématiques, et parfois méconnues, de notre littérature. Inspirée et alerte, sa plume sait malaxer comme nulle autre la glaise des poèmes pour y dénicher les filons les plus précieux. À la fois leçon de lecture et d'écriture, et essai aux résonances métaphysiques, Quel avenir pour la cavalerie ? constitue la « Lettre à un jeune poète » de Jacques Réda, et le sommet de sa réflexion poétique.

À lire – Jacques Réda, Quel avenir pour la cavalerie ? – Une histoire naturelle du vers français, Buchet/Chastel, 2019.
Le jeudi 28 novembre 2019 à 19h
+ Lire la suite
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