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Citations de Jacques Réda (161)


Il y a partout dans les campagnes de ces endroits qu’on appelle le bout du monde, qui vous laissent croire à une imminence de l’infini. C’est une route vers le haut de sa côte, une arête de rochers à l’horizon, un plan de cailloux vibrant comme un plateau de balance où se pèsent des tonnes de soleil concassé. Chacun, en outre, a fait de bonne heure sa propre expérience dans ce domaine : dans le couloir d’un appartement, au coin d’une rue, tout au fond du jardin sous les petites dragées de l’ortie blanche, partout. Car le monde à vrai dire n’est fait que de bouts du monde, mais il faut de l’entraînement pour s’en rendre compte et s’y accoutumer.
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Un instant, puis un autre, et chacun disparaît,
Mais ce qui l’a porté ne cesse pas de vivre ;
Ainsi chaque mot, dans un livre,
Passe pour que le sens monte de son retrait.
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Chaque arbre est un caractère
Dont la forme sort de terre
Tout comme de notre esprit,
Sans qu'on les ait prononcées,
Des paroles, des pensées
Que l'on fixe par écrit.
Elles font, dans le langage,
Une sorte de branchage
Aussi net et régulier
Que ceux du chêne et du hêtre
Qu'une loi condamne à n'être
Ni frêne ni peuplier.
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Elégie de la petite gare


Extrait 2/2

Oui, c’est là que je veux attendre. Et si tu ne viens pas,
Dans les traces du soir muet j’irai mettre mes pas.
Je l’accompagnerai le long des plates avenues
Qui cherchent le centre et n’y sont encore parvenues
Que par hasard après des virages et des détours
Par les ronds- points fleuris déroutants pour les carrefours
Où l’abribus toujours désert lui-même se résigne.
Un boulevard d’arbres chétifs retrouvera la ligne
Du chemin de fer, et j’aurai manqué le dernier train.
Alors j’attendrai de nouveau : demain, après-demain.
C’est très facile, dans ces lieux qui n’existent qu’à peine.
Pour quelqu’un qui n’existe plus, ou si peu. La semaine,
Les mois puis les ans passeront et, lorsque tu viendras,
Je sais qu’en transparence enfin tu me reconnaîtras.
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«  Chaque arbre est un
Caractère
Dont la forme sort de terre
Tout comme de notre esprit ,
Sans qu’on les ait prononcées,
Des paroles, des pensées
Que l’on fixe par écrit .
Elles font, dans le langage ,
Une sorte de branchage
Aussi net et régulier
Que ceux du chêne et du
Hêtre
Qu’une loi condamne à n’être
Ni frêne ni peuplier » …
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[Aux robots]

Nous avons déjà lu de ces contes bizarres
Qui nous dépeignent en nabots
Assujettis aux lois, aux coutumes barbares
D’un monde où règnent des robots :

Sans amour mais sans haine ils prennent leur revanche
Et les hommes, ces apprentis
Sorciers dont le savoir soudain achoppe et flanche,
Les subissent en repentis.
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Les rames des grands pins haut brossés par le vent
Grincent dans leurs tolets. Puis un bond en avant :
Tout craque avec l'envol sonore de leurs voiles.
Au travers apparaît un ciel fumant d'étoiles,
Rempli d'autres vaisseaux à l'ancre, nuageux.
Terre, vas-tu larguer ton vieux havre rocheux?
Je me joins à l'élan maritime des arbres
Et vois, sur l'horizon, des îles dont les charmes
Passent tous ceux que l'on rêva dans les greniers :
Soleils roulés sur des montagnes, des palmiers,
Par des aubes et des couchants inépuisables
Allongeant sur le bronze et le velours des sables
L'ombre de créatures d'ambre aux lourds cheveux.

Cartes postales sans adresse, quand je veux,
Elles viennent encore attester ces rivages.
Mais, Terre, tu n'es pas qu'un beau livre d'images.
Prisonnière du temps qui procède sans bond
Tu tournes dans le sens que l'on juge le bon :
Toujours dans le palpable. Or tout ce que je palpe -
Rouge écorce, rocher dégringolé d'une alpe,
Tout me souffle que, dans un proche lendemain,
Tu ne seras plus même une image. Personne
Ne saura que tu fus. Et, que je déraisonne
Ou non, il en sera de toi, dans l'univers,
Comme il en est du poids et du son de mes vers.


pp. 28-29
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[Aux animaux]

Qui n’a pas entendu la manière dont couine
La nuit, saisi par un hibou,
Un loir ; qui n’a pas vu le sang qui gicle et bout
Sous la mâchoire de la fouine ?

Qui n’a pas trouvé beau l’éclair du léopard
Sur la gazelle qu’il jugule ?
Quoi de plus gracieux que cette libellule
Dansant, tuant ? – Chacun sa part.

Mais qu’en est-il de nous, ô bêtes fraternelles,
Et des monstres que nous logeons
Dans les soubassements des aveugles donjons
Que sont nos âmes criminelles ?
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JEUNES SIOUX EN SEINE-ET-OISE


JUIN 44

Maintenant que le fil se détend et s’embrouille
(Et la mémoire écrit avec un crayon blanc),
Je reviens en arrière à tâtons, rassemblant
Les divers rescapés de ma longue patrouille.

Je retrouve la porte aux craquements de rouille
Qui donnait sur le fleuve où je palpe le flanc
De ma barque ; j’entends ronfler un monoplan
Piper Cub, et je vois éclater la citrouille

De la lune sur les jardins criblés d’obus.
Quelle étrange saison, favorable aux abus
Des vivants quand la mort rôdait sous les cerises.

Je ramais, je cueillais pour Janine en piqué
Blanc — tous ses mouvements étaient pleins de surprises
Dans l’ombre qu’à midi mitraillait en piqué
Le soleil.

p.78
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Tonnerre des temps révolus,
Tous ces dieux qui ne parlent plus
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Gentilly

L'espace de nouveau pris d'une défaillance
Titube au carrefour dit des Quatre-chemins
Et se brise en éclats de verre et de faïence
Contre un mur où j'avance à l'ombre des moulins
(...)
Et je rôde ce soir à l'orée indécise
Où se rencontrent l'univers et son rébus
Lequel méduse l'autre, et lequel s'exorcise
Tandis que je vais d'abribus en abribus
(...)
Tours qui tiennent au nord en étrange équilibre
Avec les bois massés au delà de Cachan :
Rien ne me distrait plus du sort de cette eau libre
Qu'on a salie et qui sanglote en se cachant.
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La masse d’eau disponible sur terre
N’a pas changé depuis la nuit des temps.
Ombre et liquide ont plus d’un caractère
Commun […].
[…]
Elle a baigné Ninive et Babylone,
Du Parthénon lustré chaque colonne,
Rythmé la vie aux rivages du Nil,
Nourri le grain lumineux des Aztèques,
Ouvert la route à Moïse en exil
Et consommé dans les bibliothèques
L’œuvre du feu.
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LENTE APPROCHE DU CIEL

C’est lui, ce ciel d’hiver illimité, fragile,
Où les mots ont la transparence et la délicatesse du givre,
Et la peau froide enfin son ancien parfum de forêt,
C’est lui qui nous contient, qui est notre exacte demeure.
Et nous posons des doigts plus fins sur l’horizon,
Dans la cendre bleue des villages.
Est-il un seul mur et sa mousse, un seul jardin,
Un seul fil du silence où le temps resplendit
Avec l’éclat méditatif de la première neige,
Est-il un seul caillou qui ne nous soit connus ?
Ô juste courbure du ciel, tu réponds à nos cœurs
Qui parfois sont limpides. Alors,
Celle qui marche à pas légers derrière chaque haie
S’approche ; elle est l’approche incessante de l’étendue,
Et sa douceur va nous saisir. Mais nous pouvons attendre,
Ici, dans la clarté qui déjà nous unit, enveloppés
De notre vie ainsi que d’une éblouissante fourrure.

p.48
Extraits Amen (1968), Poésie-Gallimard, 1988.

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                              UN PARADIS D ’OISEAUX //B
  
  
  
  
Entre les plus étourdissants des vocalistes,
J’ai remarqué depuis trois ou quatre matins
Les arpèges hardis, les trilles argentins
De deux merles ardents comme des duellistes ;
Auprès d’eux les rayons du jour semblent éteints.

Rivalisant d’éclat pendant une heure entière,
Virtuoses mais inspirés, ne rabâchant
Jamais, ils font briller à la fois le tranchant
D’une lame et le bloc d’idéale matière
D’où s’élèvent les jets capricieux du chant.

Et si fort et si librement qu’ils s’évertuent,
On les sait asservis aux lois de la saison.
Mais par l’accouplement et par la couvaison,
C’est encore leur chant qu’ils aiment, perpétuent,
À la folle hauteur de ce diapason.

C’est parfois si tendu, si plein, qu’on appréhende
Et qu’on espère aussi les entendre soudain,
Dans un vague demi-sommeil presque enfantin,
Se déchirer sur une couverture béante
Qui nous rendrait le paradis, en ce jardin.
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On ne saurait demander aux gens, dont la tête qu’ils ont dans leurs voitures en dit assez sur leur capacité de vibration poétique, de se pâmer en outre sur ces vapeurs. Ils s’en foutent et ils ont raison.
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Je montais le chemin quand j’ai vu d’un côté
Les sapins consternés qui descendent après l’office
Et de l’autre les oliviers en conversation grande
Fumant posément au soleil de toutes leurs racines.
Et droit sur les ravins à moitié remplis de bouteilles,
Os, ferraille, plastique, obscénité des morts,
La rose équitable du jour déjà crevait l’épine.
À chaque pas : le centre, et le cercle du temps autour
Bien rond mais moi j’étais autour aussi pour cette pie
Et pour d’autres chemins qu’il aurait fallu prendre, qui plongent
Vers des creux à l’affût, sous la viorne, de la folie.
C’est alors qu’il fait bon marcher avec du tabac dans la poche
Pour plus tard et chouter dans ces os et tôles sur les labours
Tandis que le soleil rame bas pour laisser tout le champ libre à sa lumière.

p.184
Extraits La Tourne (1975), Poésie-Gallimard, 1988.

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                              LE GEAI
  
  
  
  
Dans le creux du vallon comme au fond d’une boîte
Que l’automne a rempli d’un épais tampon d’ouate,
On dirait en bois les abois des chiens sanglants.
Au-dessus de Limours je ramasse des glands
Pour le geai réputé farouche et difficile
Et qui n’en a pas moins élu pour domicile
À Paris un des grands platanes de ma cour.
Le matin quelquefois on l’entend qui discourt
Avec sa fougue acariâtre de crécelle,
Mais du bleu sous le brun de sa bure étincelle,
Et rouvre l’œil en or insondable des chats.
Je l’ai vu qui piquait sur leurs ronds de pachas
Roux et gris se donnant une allure distraite :
A la fin cependant ils battent en retraite
Jusque sous les fusains, puis, en catimini,
Ils guettent de nouveau le feuillage où le nid
Se dissimule. Mais, je dois le reconnaître,
J’ai souvent soutenu l’oiseau, de ma fenêtre,
En projetant sur ces félins divers objets.
Faut-il aider aussi les victimes des geais
Et, de fil en aiguille, avec cette logique,
Intervenir dans le déroulement tragique
D’une histoire où toujours un mangeur est mangé ?
Mais qui mange du chat, d’habitude ? Si j’ai
Humé plus d’une fois, sur des tables chinoises,
Des ragoûts aux saveurs légèrement sournoises,
Ce ne fut qu’une entorse à l’ordre naturel.
Nous-mêmes, c’est le temps qui nous mâche et nous ronge
Les dieux mangent du temps, mangés par le mensonge.
(Mais ne nous perdons pas dans cet universel.
Que mon poème soit un simple grain de sel
Sur la queue agile du geai, quand il m ’honore
De son éclair céleste et de son cri sonore.)
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N'être pas un arbre a toujours été , de mes regrets,
Le plus constant. Et même alors que je m'aventurais
Dans le premier chemin offert à la dromomanie
En m'y promenant les bonheurs d'une route infinie.
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L'INTERVALLE

Comme la main ouverte avec toutes ses lignes,
Et ce renflement faible à la base du pouce : telle est la Terre
Où nous, voyageurs expulsés des tirages d'étoiles,
Invités à franchir la haute verrière de la mort,
Nous trouvons un moment de repos, de quoi boire et bâtir
Sous le ciel arrondi comme un sein qui nous allaite -
Ô bleu spirituel ébloui d'oiseaux, recueilli par les flaques, par nos fenêtres
[...]
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Le soir, rue de la Duée


À cinq heures du soir, l’hiver, un dimanche muet
Retenait un peu de lumière aux angles des façades
Et, sous un coup de vent tournant autour des palissades,
Quelque chose ‒ un vieux sac, un journal, un chat – remuait.

Je marchais sans bruit par la rue obscure, sous la chiche
Clarté de carreaux fascinés par l’ombre ou les plafonds,
Vers la lueur encore plus avare d’une friche
Où les arbres avaient massé leurs entrelacs profonds.

Quelques êtres humains passaient, on eût dit en pantoufles,
Parlant mais comme on fait pour soi ‒ des vieilles gens, des Noirs :
On le voyait à la buée hâtive de leurs souffles.
Puis je restai seul un moment entre les deux trottoirs.

Et je perçus alors – mais d’où venu, de quelle branche
Perdue au fond de l’épaisseur – comme un roucoulement
Très faible d’un merle invisible, et déjà s’alarmant
De ma présence dans la nuit de décembre, un dimanche.
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