Dans ce recueil, on retrouve une grande présence de la nature, que ce soit sous forme de feuilles, de fleurs, d'herbes, d'arbres ou encore de forêt directement. Cependant cette utilisation de la nature est plus négative que positive. C'est le cas dans « Parce que ses deux bras sont dressés », où on retrouve le terme de « vieille herbe amère ». La lecture complète de ce poème connotant l'accent plutôt négatif des parisiens se baladant dans les rues le dimanche. Ou encore dans le poème « Ensuite elle-même a défleuri », dans lequel on utilise les termes « défleuri », « de très pâles fleurs », « cruautés végétales ». Ces termes associés à l'être humain montrent son côté négatif. Mais également dans le poème « Tant de charbon sous les yeux du pope », avec les forêts qui « resserrent doucement leur étreinte sur la ville ». On retrouve cette fois-ci une tentation de domination de la nature sur l'Homme. Globalement on constate que la nature et les humains ne cohabitent pas ensemble, cela reflète parfaitement la situation actuelle de la France qui essaye de prendre le dessus sur la nature.
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Loin, en bas
extrait 1
Loin, en bas, des petits chalutiers remontent l'estuaire à toute vitesse : rouges, bleus, verts. Étrange ce petit pont lancé moins à travers le ciel qu'au-dessus de mes années, celles où prenant le bac pour aller à Brouage, on restait longtemps le menton sur la vase et les barques échouées au bord de l'éblouissante dalle d'eau. Maintenant on franchit d'un seul jet une époque en voie de disparaître, comme ces côtes de coques en bois noir pareilles à des ruines de cachalots. Je ne sais pas si je regrette. c'est aussi très beau vu d'en l'air, mais ce pont fatalement abolit quelque chose, au moins l'instant où l'on flottait, à l'abri sous les horizons dans un débordement sphérique de la lumière.
…
Aux environs
Extrait 1
À cette heure où comme avant le jour tout redevient calme et bleu,
j’ai le regret des champs et forêts qui devaient être si proches,
de l’endroit où cessaient dans la boue et l’herbe les gros pavés.
Après quoi le chemin roulait entre des carrés bleus de légumes,
sous les branches presque nues et basses des vergers bleus,
les mêmes nuages comme des chapeaux glissant aux ras des vignes,
le même ciel s’avançant en personne par les fourrés
(je veux dire une vraie personne que l’on salue),
comme dans ce rêve qui depuis deux ans m’est si souvent revenu,
où j’atteins une dernière petite place au flanc de Montmartre –
et le rêve même de la ville enfin se dévoile, et c’est ainsi :
des bois sombres, des chevaux rouges, des collines et des champs dorés –
on entrait dans la profondeur muette de la campagne,
Gentilly, Châtillon, Montreuil, Vanves, Clamart et Saint-Cloud.
Mais surtout le nord troublait à cause d’un fort regain d’espace,
toutes ces plaines étirant jusqu’aux mers leurs fins sillons
et, mal jointes au bord de l’Oise, au bord de l’Aisne, au bord de l’Ourcq,
vides le long des routes martelées par le fer et les étoiles,
gonflent et grondent encore comme d’immenses papiers d’emballage
‒ le nord.
…
Quand montant de la porte d’Orléans …
Extrait 2
Ainsi lorsqu’une turbulence de clartés
signale de très loin le large, dans l’espace en dilatation, mais que ce
qui paraît peut bien n’être qu’une gare de triage, avec ces jets en
éventail de rails étincelants. On est d’ailleurs ici tout près des
combinaisons de Montparnasse, et l’on aspire plutôt à des chemins de
terre accompagnant le ballast qu’à, cette chimère métaphysique de
vide et de plénitude, de fin et de recommencement, dont pourtant le
bout du trottoir, au niveau des nuages, surplombe l’immense vision.
mais bientôt la rue de l’Ouest, à gauche, puis encore la rue du
Château, les zincs arabisés et les épiceries juives, une foule de piétons
peu causants, qui flânent (ont du reste l’air en flanelle) et s’attardent
en longs attroupements : on signe la pétition contre le projet d’une
autoroute qui, sur ce vieux quartier sombre et pauvre mais doucement
replié sur soi, sur les gens qui l’habitent, s’abattrait en travers comme
une grande matraque de béton.
La bénédiction de Saint Serge
(...) Sur la façade en bois d'escalier découpé de l'église
grimpent obliquement les caractère slavons hâves et pointus,
et l'intérieur aussi ressemble au fond obscurci d'une lampe
que le vent balance avec nos deux mains jointes au-dessus de Paris.
J'interprète mal le symbolisme liturgique de ce théâtre,
quand l'officiant barbu surgit d'une isba dans un coin, tenant d'une main son livre et de l'autre une minuscule bougie.
Puis il rentre et les voix recommencent une psalmodie où rôdent
des cris d'alouette et des rondes d'amour dans les prairies...
p. 125
Tout le monde sait que l'ancienne gare de la rue de Boulainvilliers est occupée par une dame dentiste, mais lui appartient-elle vraiment ? Un stand de tir a sa plaque aussi plus loin sur la grille, et je me perds en corrélations. Jamais je n'ai perçu les vrombissements de la fraise, des détonations de carabines ; tout se passe peut-être dans l'obscurité des tunnels...
p. 95
Jacques Réda
Quel avenir pour la cavalerie ?
Rencontre animée par Alexandre Prieux
La poésie serait-elle une guerre ? le vers, le corps d'élite de la langue ? En retraçant l'histoire de notre prosodie, Jacques Réda dévoile les processus de transformation du français, aussi inéluctables que ceux de la physique. Où les poètes sont les exécutants plus ou moins conscients d'un mouvement naturel. du Roman d'Alexandre à Armen Lubin, en passant par Delille, Hugo, Rimbaud, Claudel, Apollinaire, Cendrars et Dadelsen, Jacques Réda promène son oeil expert sur des oeuvres emblématiques, et parfois méconnues, de notre littérature. Inspirée et alerte, sa plume sait malaxer comme nulle autre la glaise des poèmes pour y dénicher les filons les plus précieux. À la fois leçon de lecture et d'écriture, et essai aux résonances métaphysiques, Quel avenir pour la cavalerie ? constitue la « Lettre à un jeune poète » de Jacques Réda, et le sommet de sa réflexion poétique.
À lire – Jacques Réda, Quel avenir pour la cavalerie ? – Une histoire naturelle du vers français, Buchet/Chastel, 2019.
Le jeudi 28 novembre 2019 à 19h
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