Citations de Jacques Tardi (519)
Le P.G. bibliothécaire était un parfait connard d'enseignant qui ne se prenait pas pour de la merde, un peu comme certains pédants libraires qui s'imaginent avoir écrit le livres qu'ils vendent.
On aurait bouffé les barbelés et les poteaux qui vont avec. Certains faisaient d'ailleurs infuser l'écorce de ces poteaux, histoire d'obtenir une sorte de tisane : de l'eau chaude, parfumée à l'écorce de pin... Dégueulasse !
"Un P.G. doit avoir faim". C'était un principe consciencieusement appliqué par nos geôliers.
Ceux qui n'avaient pas trouvé de gâche aux cuisines, fouillaient les poubelles, à la recherche d'épluchures à éplucher.
Un jour, un curé m'a dit : " Faut pas déconner, nous sommes prisonniers de guerre, c'est une punition d'en haut, il faut la subir." J'en suis resté comme deux ronds de flan.
On leur avait donné de gentils petits noms à nos gardiens. Il y avait : " Kollosal Konnard", "Gross-Doryphore", "Kaiser Choucroute" "Berliner Saucisse", "Svastikaka"...
Nous n'étions pas placés dans les meilleures conditions pour que notre humanisme naturel puisse joyeusement s'exprimer.
La vie s'organisait dans le but d'emmerder à tout instant et au maximum le "Grand Reich" selon nos moyens.
Des entrepreneurs civils venaient aussi choisir des types, à ce qui ressemblait à un marché aux esclaves. Des gars partaient, ne remettant les pieds au stalag qu'à l'article de la mort, pour y crever comme des bêtes de somme épuisées ou malades, devenues inutiles à l'édification du Reich éternel.
Un "haut dignitaire" nazi aurait dit : "la fornication est bénéfique pour les deux partenaires et pour le "Grand Reich". Chacun y trouve son compte et les P.G. se tiendront tranquilles. Assurant leur rendement au travail, ils auront moins tendance à saboter.
Nous pensions être la plus puissante armée du monde, mais nous faisions nos classes sur des casseroles datant de la première guerre mondiale. Du vieux matériel pour une vieille armée de futurs jeunes vaincus !
ça, je l'ai compris plus tard.
Le "Graf Zeppelin" descendait la vallée du Rhône pour se rendre à Buenos Aires et en revenir. Un soir, près de la gare, je l'ai vu faire du sur-place, luttant contre le Mistral. Je me demandais si le vent serait suffisamment puissant pour retenir Hitler et ses loups dans leurs noires forêts ?
Depuis notre arrivée au camp, le manque de nourriture occupait notre esprit à chaque instant. Nous avions faim ! La faim est l'élément fort, obsessionnel, la préoccupation constante de la vie du prisonnier, parce qu'un prisonnier doit avoir faim.
Les Fritz pouvaient se vanter d'avoir foutu un beau bordel aux quatre coins de l'Europe en déplaçant des millions de personnes. La plupart à la fin de la guerre ne retrouveront même plus leurs pays. Les Boches les ont appelés des Heimatlos, apatrides.
Ce genre de situation où les Fritz se ridiculisaient face aux français indisciplinés, moqueurs, débrouillards et supérieurement intelligents, fera le bonheur d'un certain cinéma français d'après-guerre, dans le genre rigolo. Ces films qui ne rendront pas compte de nos conditions de vie, nous montreront comme de joyeux potaches, chahutant ces pauvres Boches qui n'étaient que lourdeur, rigidité et connerie.
Les allemands, pourtant si prévoyants, n'étaient pas prêts à recevoir tant de monde.
J'étais en colère, j'aurais tout cassé autour de moi !
Comment était-ce possible ? La meilleure armée du monde ! Avec à sa tête les chefs les plus intelligents qui soient… L'armée française, l'armée du pays des superlatifs, du pays du bon goût où tout est meilleur qu'ailleurs ! Que s'était-il passé ? Comment ces sinistres bouffeurs de choucroute mal dégrossis avaient-ils pu nous infliger une telle déculottée ? À nous ?! C'est dire à quel point nous nous pensions supérieurs et invincibles.
Je sais petit, c'est moche. Mais si je te disais : c'est ça la guerre, et c'est pas beau à voir, tu me prendrais pour un vieux con. C'était eux ou nous, selon la formule consacrée. On n'avait pas le choix. À la guerre comme à la guerre. Et puis merde ! Ces types ne nous attendaient pas au coin du bois pour nous offrir des rafraîchissements.
On ne dit pas un tank ! On dit un char !
Il faut que tu comprennes que le Traité de Versailles de 1919, ce diktat conclu pour faire payer les pruscos, d'humiliation en inflation, de chômage en amertume, avait installé tous les éléments favorables à l'avènement d'un sauveur national. C'est alors qu'Hitler montra son groin. Ses harangues racistes, xénophobes, démagogiques et hystériques étaient agrémentées de grandioses parades au pas de l'oie, et de ridicules retraites aux flambeaux. Après un sérieux redressement militaire et une réoccupation de la Ruhr, le petit caporal autrichien a tout de suite trouvé son public, d'autant plus qu'il prônait la justice sociale, le relèvement national et qu'il désignait les ennemis de l'intérieur : les capitalistes, les communistes, les juifs… On connaît la suite.