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Citations de Jean Clair (210)


"Du culte à la culture, de la culture au culturel, du culturel au culte de l'argent, c'est tout naturellement qu'on était tombé, on l'a vu, au niveau des latrines ! Jeff Koons, Damien Hirst, Jean Fabre, Serrano et son Piss Christ, et avec eux, envahissant, ce compagnon accoutumé, son double sans odeur : l'or, la spéculation, les foires de l'art, les entrepôts discrets façon, Schaulager, ou les musées anciens changés en des Show Room clinquants, façon Palais Grassi, les ventes aux enchères, enfin, pour achever le circuit, faramineuses, obscènes...." p 102
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Ce sont des passages de La Divine Comédie que Primo Levi, à Auschwitz, se remémore. Et à mesure que les mots reprennent corps, l’horreur semble céder.
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Cependant la mémoire et la culture, qui sont choses à peu près synonymes, jouèrent, on le sait, un rôle majeur dans le destin des déportés. Qui se souvenait pouvait espérer survivre. Qui conservait en soi une trace du monde cultivé pouvait encore espérer résister à la mort. Ce que l’on garde en tête est le seul bien que la barbarie ne puisse vous ôter. C’est le dernier trait d’identité quand tout vous a été retiré, jusqu’à votre identité même. Savoir un poème par cœur vous met à l’abri du désastre. Faire resurgir en soi l’écho de ce qui fut naguère un patrimoine spirituel est un viatique, à l’égal de l’hostie au regard du croyant.
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On ne croit plus guère en Satan. Et cependant, c’est Dieu qui donnait la légèreté aux cadavres pour nous permettre d’en supporter le poids, et à l’art la force de les faire s’envoler dans ses œuvres. Satan qui s’amuse à nous en faire oublier la réalité grève en revanche l’art d’un fardeau tel qu’il ne peut plus rien faire que gesticuler sur place, idole lourde et grotesque.
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Que vaut cependant aujourd’hui leur expérience singulière ? Auront-ils été les derniers à échapper à la catastrophe, ou bien sont-ils au contraire les précurseurs, ou plutôt les cobayes d’un temps où sur chaque homme est désormais suspendue la menace de devenir homo sacer, non plus dans l’exceptionnel des camps, mais dans l’ordinaire des jours, sacrifiable en effet au nom d’un pouvoir biologique des États qui accompliraient au XXIe siècle ce que les régimes totalitaires, au XXe, n’auront jamais fait qu’expérimenter ?
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Par la pauvre action, obstinément poursuivie, de quelques dessins, de quelques vers remémorés, ou de quelques cours, la vie nue, la vie biologique, l’existence commune aux être vivants, la vie-sans-la-personne à laquelle le camp les avait réduits, susceptible donc d’être ôtée à tout moment comme elle le fut dans le monde concentrationnaire, n’a pas réussi à prévaloir sur l’habitus de la vie dans sa dimension de rapport à autrui, la vie en société, la vie comme façon réfléchie de vivre et de se comporter, dans la vie et dans la mort, avec ses semblables. Pour reprendre la distinction introduite par Aristote, la zoé n’a pas prévalu sur le bios, pas plus que le Cronos n’a triomphé de Mnémosyne.
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Dire que l’inhumain est ce qui se refuse à l’inhumation, ce qui interdit à l’homme le retour à l’humus dont il est né, ce n’est pas jouer sur les mots, c’est plonger aux racines de la langue et de l’espérance parlante. Au nom du principe du surhomme, le principe humain qui est l’humilité avait disparu.
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Retirer à l’homme son humanité alors même qu’il est encore en vie, inverser le procès qui, de la terre de l’origine conduit à l’être organisé pour brutalement ramener celui-ci à l’inanimé de la terre – « humilier » –, c’est aussi refuser à l’humain le devoir qu’on lui doit après qu’il est mort, l’inhumation.
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Dans cette culture danubienne – et l’on ne retrouvait cela en effet qu’en Espagne –, dans cet espace culturel qui, recoupant les frontières du Saint-Empire, s’étendait de Madrid à Vienne et à Trieste, et dont Venise durant trois générations avait fait partie, un sentiment baroque de la chair s’opposait à l’ascèse de l’abstraction conceptuelle du luthéranisme du Nord, comme il s’opposait au rationalisme analytique des Français autant qu’à l’élégance de la maniera italienne.
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Italien, Music l’était sans doute, mais sans que cela signifie grand-chose dans ce pays qui, du général, ne veut rien connaître pour ne se délecter que du lieu et de l’instant présents. Abstrait, d’ailleurs, il ne l’avait jamais été. À cet héritier des Sécessions d’Europe centrale, la modernité parisienne, habile à manipuler les formes, pour lui si respectueux de les garder, prodigue à multiplier les couleurs, pour lui l’homme fidèle aux ocres et aux terres, demeurait profondément étrangère.
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C’est ainsi qu’après avoir été fortement invité, en raison de sa belle prestance et de sa taille, à s’enrôler dans les S.S., il paya son refus d’une déportation à Dachau. "Anus mundi", disaient de ce lieu ses maîtres – où langues et nationalités, finalement, tombaient dans le néant, en même temps que les vêtements, les cheveux, les parures et les autres signes distinctifs qui font d’un être humain un homme.
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Quand Zoran Music est né, au début du siècle, l’Europe était encore, comme l’avait appelé Stefen Zweig, "die Welt der Sicherheit", le monde de la sécurité. Le milieu lettré qu’il décrit, c’était un peu celui, plus modeste mais aisé, dont Music était issu, une famille de vignerons et de maîtres d’école, à Gorizia, l’ancienne Görz, dans les collines du Collio, à la frontière de l’Italie et de l’ancienne Yougoslavie. On y parlait le slovène et l’italien ; l’allemand étant d’usage dans les documents administratifs ; le français dans la bourgeoisie ; on entendait aussi souvent des mots de russe, de croate, ou de ces langues que les Balkans multiplient. À ce tournant du siècle, l’Opéra, universel par sa musique, polyglotte part ses livrets, « œuvre d’art total », fut peut-être la forme la plus raffinée que la culture cosmopolite et optimiste d’Europe centrale avait produite. Et à laquelle deux ans, entre les guerres balkaniques, le naufrage du Titanic en 1912, et le déclenchement de la Grande Guerre, suffirent à mettre fin.
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Neuf ans plus tard à Dachau, en 1944, Music deviendrait le témoin oculaire de ce qu’il avait, au Prado, vu en peinture. Il y verrait la chambre à gaz, les fours rougeoyant dans la nuit, les charrettes et leur chargement de cadavres, « durcis comme des stères de bois », écrira-t-il, les pendus aux potences, et les morts, les morts partout. Le tableau de Bruegel s’appelle en effet Le Triomphe de la Mort.
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Ce que vous avez dans la mémoire, aucune Gestapo, aucune Guépéou, aucune CIA ne peut vous le prendre.
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Aucune bibliothèque, aucun livre pour aider ces damnés du monde moderne. Seule la mémoire de ce qu’ils avaient lu ou vu durant le temps de paix pouvait les aider à franchir les portes de fer. Une mnémotechnique des jours heureux affrontait l’amnésie du temps des brutes. Pour lutter contre l’anéantissement de l’âme, les poèmes, les tableaux, les savoirs étaient page après page remémorés, convoqués, invoqués. Pour masquer la réalité des barbelés, des miradors, des fossés et des fours, l’esprit trouvait moyen de dresser le décor fugace, immatériel, d’un étonnant Théâtre de Mémoire.
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C’est au Soleil que l’architecture du cirque antique était consacrée, dont le temple était bâti au milieu de l’enceinte – c’est pourquoi ces amphithéâtres demeuraient ouverts sous le ciel de la divinité. De même le stade, de forme circulaire – dessiné qu’il est sur un cercle ou bien sur une ellipse -, est-il aujourd’hui consacré aux paraboles d’un ballon, petite sphère dont les joueurs s’efforcent d’ordonner la course dans le ciel, parmi les hurlements de dizaines de milliers d’adorateurs. Le sacré s’est refermé sur un jeu cyclique et dérisoire.
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Ce qui choque le plus, ce n’est pas l’utilisation du béton pour satisfaire les besoins – croissance exponentielle des populations, industrialisation accélérée, etc. -, ce n’est pas non plus le phénomène de multiplication des musées, de ci de ça et de rien, c’est la simultanéité du béton et du musée.
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Baudelaire avouait que le culte des images avait toujours été « sa grande, son unique, sa primitive passion ». Il ne parlait pas de la culture des images, il parlait de culte. Le culte qu’il voue à Rubens, à Goya, à Delacroix, n’est pas une adoration de l’homme par lui-même, une autocélébration, une anthropolâtrie décidément plus nauséeuse de siècle en siècle, mais la tentative, dans l’œuvre créée de main d’homme, de pressentir un infini qui ne peut être circonscrit dans une image, tout comme, à travers l’icône et sa vénération, l’orthodoxe veut rendre grâce à la divinité.
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Du temple à la gloire d’un dieu créateur, ce pauvre succédané qu’en est le musée où l’homme découvre son image, Malraux se fera le sacerdote. C’était demander à la culture ce que le culte seul pouvait donner.
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L’expression « ressources humaines » et le jargon qu’elle traîne avec elle, tout comme les abréviations et les acronymes, sortent tout droit du jargon technocratique forgé dans les années trente par le national-socialisme. Et « l’ingénierie sociale » qui coiffe l’ensemble de ces pratiques est de nature semblable, comme son nom l’indique, à « l’ingénierie animale », qui produit des poulets, des cochons et des veaux.
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