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Citations de Jean-Pierre Le Dantec (41)


En matière de beauté noyée, il est vrai, peu de côtes au monde peuvent rivaliser avec celles du sud de l'Irlande, surtout par gros temps. Les collines vert dru couturées de pierre sèche plongent dans la mer parmi des hallebardes de pluie avec un tel aplomb et une telle vigueur que, n'étaient le déluge et la hauteur des vagues qui requièrent en permanence l'usage des deux mains, seul un marin aveugle ou ennemi de la poésie pourrait se retenir d'applaudir. Quant au ciel, plus vif encore que celui de Bretagne, impossible de le fixer. Le Gainsborough aperçu là-bas, dans un brouillard, entre deux îles ? C'est déjà un Turner. Et cet échafaudage de vergues, d'écoutes, de drisses, de gréements, d'espars entrevu dans l'affolement des nuages ? En rien de temps, il s'est dissous. Jusqu'à ce que, trempés, transis, saoulés de ces métamorphoses, on se prenne à rêver d'un havre – d'un havre, donc d'un pub, car rares sont, Dieu merci, les ports sans pub sur cette côte pourtant déserte.
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Compte tenu de son âge, un peu plus de la cinquantaine, je m’étais attendu à découvrir une personne au charme un peu fané. Or celle qui, sans hésitation, s’est dirigée vers moi avait la silhouette, la démarche, le visage et les manières d’une femme en plein éclat.
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Mon père a trompé ma mère ! Ma mère a failli en faire autant ! Aussi obsédé par le sexe que je fusse moi-même, je pensais toujours, tel un enfant prolongé, que le couple formé par mes parents échappait à la loi commune. Les imaginer nus, bouches et langues mêlées, gémir de plaisir, rivés l’un dans l’autre, m’était déjà impossible, alors me les figurer ainsi dans les bras d’un ou d’une autre était carrément impensable, hors de toute raison.
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Pour tenter d’oublier Hélène, je décidai de me mettre enfin, sérieusement, à mes études. Mon niveau en latin, prétendait mon père, était encore médiocre, surtout par comparaison avec celui qu’atteignaient, selon lui, les lycéens de son temps. Mais c’est l’intervention de ma mère qui, en la circonstance, fut décisive. Contrairement à son mari, ma mère passait pour effacée alors que, derrière une réserve de façade et une beauté qu’il lui arrivait de négliger, c’était en vérité un monstre de ténacité et de calculs fondés sur un jugement sûr et des partis pris fermement assumés.
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Il y a tant de choses essentielles sur lesquelles nous nous accordons. Les filles évidemment. Les filles et puis le sexe. Or, côté sexe, Pierre-Alain a pris une avance décisive sur moi, cet été.
Un soir où il était en boîte en train d’écluser des bières avec un moniteur du club de voile, il avait remarqué, m’a-t-il raconté, qu’une femme attablée en compagnie d’un couple déjà éméché le regardait constamment. Pas une jeune, non, une vieille d’au moins trente ans. Mais pas mal fichue pour son âge, cette vieille, avec une crinière rousse tombant sur des épaules piquées de taches de son, une bouche écarlate au milieu d’un visage aux pommettes saillantes, et une forte poitrine gonflant son chemisier. Pierre-Alain la fixe à son tour et, voyant qu’elle ne baisse pas les yeux mais garde au contraire les siens posés sur lui, y compris lorsqu’elle porte à ses lèvres sa coupe de champagne, il tente sa chance et lui propose de danser.
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Faute d’entrevoir l’utilité d’apprendre à lire et à écrire, ils se contentent du minimum et demeurent plus ou moins analphabètes. À leur décharge, je dois reconnaître que les débouchés professionnels sont rares et que l’attitude de leurs pères (ceux qui n’ont pas rejoint le maghzen ou le maquis, s’entend) leur offre un exemple calamiteux. Outre qu’une bonne partie d’entre eux travaillent peu, voire pas du tout sous prétexte que les seules tâches disponibles sont « indignes des hommes », ils cloîtrent leurs épouses et leurs filles à marier, les réduisant au rôle d’esclaves domestiques et de pondeuses d’enfants –garçons si possible, il va sans dire. J’ai beau avoir lu Tristes Tropiques (livre dont je vous recommande la lecture, même si certains passages vous paraîtront peut-être difficiles) et récuser l’idée prétendant que la culture occidentale serait supérieure aux autres, j’avoue avoir du mal à voir dans l’enfermement des femmes musulmanes une coutume légitime ou, à tout le moins, appelant respect et compréhension. Ainsi, je me rappelle Djamila, une enfant aux grands yeux noirs rieurs, si éveillée et si intelligente qu’elle avait appris à lire, écrire, multiplier et diviser en quelques mois à la stupéfaction de Danielle, l’institutrice de Aït Hichem.
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Le français du XVIe siècle n’était pas encore fixé, donc congelé à certains égards, comme le français actuel. Son orthographe était fluctuante et sa grammaire échappait aux règles de Grevisse. Rabelais pouvait innover à plaisir, y compris en inventant des mots et des tournures, et puiser dans les patois. Et comme il disposait d’un savoir encyclopédique doublé d’une imagination hors du commun, il ne s’en est pas privé, le bougre, pour s’adresser aux « buveurs très illustres » et autres « vérolés très précieux ». Donc, je vous en conjure, « esbaudissez-vous, chers amours, et gaiement lisez le reste » !
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Certes, une armée aussi puissante que la nôtre peut aisément contrôler le pays pendant la journée. Mais sitôt la nuit tombée, les rebelles reconquièrent le terrain perdu, de vive force eux aussi car – à ce que je pense en avoir compris – leur politique vise moins à s’attirer la sympathie de la population qu’à contraindre celle-ci, y compris par la terreur, à soutenir et à financer le FLN. Penser venir à bout militairement de la rébellion est donc une entreprise perdue d’avance. La seule issue, c’est de démontrer aux Algériens que seule la France est capable de leur apporter un peu de bien-être. Or, si j’en crois mes supérieurs, telle est la mission des SAS.
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J’avais toujours cru que paras et gens d’extrême droite, c’était du pareil au même, collabos, fachos et compagnie. Et là, j’apprenais que certains officiers généraux parachutistes, sans doute d’extrême droite au départ, avaient été des résistants de la première heure et que, mieux encore, ils s’opposaient aujourd’hui à Massu et Bigeard – eux aussi d’anciens résistants, comme je l’apprendrai plus tard ! Cette révélation provoque dans mon esprit un tohu-bohu. Le monde serait-il moins simple que je l’imaginais ? La vertu pourrait-elle être aussi de droite, parfois ?
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Je regarde Hélène qui court devant moi, joyeuse, me disant que, n’en déplaise à Pierre-Alain, elle n’est vraiment pas mal. Des jambes nerveuses, des hanches qu’on peut trouver fortes mais au galbe harmonieux, un dos musclé dont j’aperçois, entre les bretelles de son maillot de bain, des plages de peau dorée, et cette chevelure noire, taillée à la garçonne, qui donne à son visage une expression de liberté franche, à la limite de la provocation.
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Qu’une telle merveille ait pu engendrer Homère, Euclide, Socrate et Périclès devient, lorsqu’on s’y abandonne, une évidence, même si l’Algérie actuelle démontre qu’elle a pu aussi créer misère, violence et iniquité. Démentant la pureté du ciel, la tiédeur de l’eau et la splendeur des paysages, règnent ici en effet l’injustice et le racisme. Les autochtones (je ne dis pas les musulmans car, dans la minorité d’autochtones qui a eu la chance d’étudier, on compte une forte minorité d’incroyants) sont traités comme des animaux – familiers s’ils obéissent, sauvages s’ils se rebellent.
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Personne, et surtout pas Pierre-Alain, ne doit se douter de ma défaite. Perdre la face serait horrible, la honte s’ajouterait à ma détresse et me plongerait dans l’état que mes parents, lorsque à mi-voix ils évoquent le mutisme dans lequel s’est enfermé un collègue après la mort accidentelle de son fils, nomment « dépression ». Aussi fais-je semblant. Semblant de rire, de jouer au foot, de faire mes devoirs, d’apprendre mes leçons, d’écouter les professeurs. Mieux, ou pire, je feins de me réjouir de la bonne fortune de Pierre-Alain, allant jusqu’à lui offrir mes services pour relire et améliorer les lettres, constellées de cœurs écarlates peints au pochoir, qu’il adresse à Myriam. Dans ce rôle de Cyrano au petit pied, je ne me grandis pas comme l’amoureux secret de Roxane, je vais jusqu’à prendre un plaisir malsain à ajouter des dithyrambes à ses missives.
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Pierre-Alain ne l’aime pas, j’en suis convaincu, en tout cas pas comme moi. Elle n’est pour lui qu’un trophée, une preuve de son pouvoir – un pouvoir que moi-même, d’autre manière, je subis. Car je suis victime, moi aussi, n’en déplaise à mon amour-propre, de l’emprise qu’a sur moi ce type que je devrais détester, ce facho qui défend Franco et Salazar.
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Tremblant, je me penche vers elle, l’enlace et pose délicatement mes lèvres sur les siennes.
« Pas comme ça, François. Embrasse-moi pour de vrai. »
Pour de vrai ? Que veut-elle dire au juste ? Quand Gary Cooper embrasse Ingrid Bergman dans Pour qui sonne le glas, c’est pourtant ce qu’il fait, il dépose un baiser sur la bouche de la belle aux cheveux ras.
Je recommence. Mais cette fois, je sens la langue d’Hélène se glisser entre mes lèvres, forcer ma bouche et atteindre ma propre langue jusqu’à s’enrouler autour d’elle. Ma tête tourne. Ces langues qui se mêlent, ces bouches qui échangent leurs salives, c’est ignoble et délicieux.
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L’Algérie est si lointaine, son climat et ses paysages diffèrent tellement de ceux de la Bretagne, ses habitants eux-mêmes, « Français pieds noirs » comme « Français musulmans », ont des mœurs si éloignées des nôtres que ce pays, dont nous avons pourtant étudié la géographie dès l’école primaire et qui est réputé rassembler désormais dix départements, demeure à nos yeux une abstraction, un morceau de France en terre étrangère. Rien ne s’y passe, si atroces que puissent être les crimes qui s’y perpètrent, qui soit de nature à bousculer nos vies et à faire grincer nos consciences. À bien des égards, et quoi que nous en pensions, un reste d’enfance nous protège et nous abrite encore dans son cocon.
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Quoiqu’il sourie lui aussi, quelque chose dans son regard suggère un trouble, une inquiétude qu’aujourd’hui j’attribue à la fin qu’il sait proche de son sursis militaire. Pour l’instant, il a gardé secrète cette menace, à moins qu’il n’espère encore lui échapper en raison du léger souffle au cœur qui le gêne depuis l’enfance. Toutefois, j’en ai à présent la conviction, c’est bien le spectre de son prochain départ pour l’Algérie, cette terre qu’il sait être en guerre et non en proie à de simples « opérations de maintien de l’ordre », qui l’obsède et le tourmente.
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C’est simple, cette fille est plus sensationnelle que Natalie Wood et Fermina Márquez réunies. Samedi prochain, si elle est à nouveau dans le train de Paimpol, je m’installe à côté d’elle et je passe à l’attaque. »
J’ai eu un pincement au cœur. N’était-ce pas Myriam qu’avait rencontrée Pierre-Alain ? Depuis que ses parents avaient quitté Pabu pour Pontrieux, je n’avais plus revu l’adorable voisine à qui, par peur d’être repoussé, je n’avais jamais osé dire que je l’aimais. Allons, tu te montes la tête pour rien, me suis-je rassuré. D’abord elle a des cheveux châtains et ses yeux ne sont pas verts, mais gris avec des reflets verts.
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Les autochtones traités comme des animaux - familiers s'ils obéissent, sauvages s'ils se rebellent.
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…tout, dans cette guerre pourrie, a été dégueulasse. Les attentats et les crimes du FLN, les tortures, le sort fait aux harkis, et surtout l’abandon.
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Les autochtones (je ne dis pas les musulmans car, dans la minorité d’autochtones qui a eu la chance d’étudier, on compte une forte minorité d’incroyants) traités comme des animaux – familiers s’ils obéissent, sauvages, s’ils se rebellent.
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