Citations de Jo Nesbø (1309)
Ça avait été tel que j’avais rêvé que ce serait.Tel que je n’avais pas cru que ce pouvait être .J’étais si fatigué que je devais dormir.Et si heureux que je ne le voulais pas. Car quand je m’endormirais ,ce monde, ce monde que je n’avais jamais aimé avant aujourd’hui, cesserait momentanément d’exister.
Sa voix s'amenuise, et la drisse de pavillon reprend son doux battement, doublé d'une sirène de police qui s'élève des rues obscures. Enfin, nous savons bien qu'il ne s'agit nullement de la police, depuis plus d'un an aucun policier ne se risque à patrouiller dans les rues après la tombée de la nuit, c'est probablement un quatuor de jeunes, munis d'armes automatiques, juste assez intoxiqués pour que leurs réflexes soient conservés, voire aiguisés, et leurs inhibitions émoussées, ou plutôt vaincues ; attitude qui s'applique non seulement à ces prédateurs, mais à la population entière. L'expression « actes transgressifs » perd tout sens quand il n'y a plus rien à transgresser.
Et c'est sans doute ma seule excuse pour ce que j'ai fait.
J'entends toujours la moto, il doit y avoir un trou dans ce que je crois qu'on nomme le silencieux.
Nous ne punissons pas les hommes parce qu’ils sont mauvais, mais parce qu’ils font de mauvais choix, parce qu’ils ont fait ce qui est considéré comme mauvais par le groupe.
C’est dingue de se dire que les gens n’ont plus d’essence depuis belle lurette, mais que, manifestement, ils disposent encore d’un tas de grenade.
Lorsque j’ai commencé à la brigade financière, je croyais naïvement que les gros poissons étaient les plus visibles. La vérité bien sûr, c’est que la visibilité est inversement proportionnelle à l’importance.
Merde, même moi, ça ne m'intéresse pas spécialement de me comprendre plus que nécessaire.
- Pourquoi ça ?
- Quand la forêt est si sombre que même toi, tu n'arrives pas à la connaître, il peut être bon de ne pas trop chercher à faire des découvertes. Tu aurais vite fait de tomber dans un ravin.
- Bon, alors, dans ce cas, tu sais de quoi je parle. Quand je dis de ne pas se laisser abuser par les chemins éclairés. Mais toi aussi, tu n'es pas exempt de zones d'ombre, alors je ne dois pas avoir besoin de te l'expliquer en détail.
- Combien de temps crois-tu qu'il faille pour vraiment connaître quelqu'un ?
- Pour le connaître vraiment ? répéta Andrew en reniflant avec délice son cigare. Eh bien, Harry, il ne faut pas nécessairement beaucoup de temps pour avoir une certaine connaissance des sentiers les plus fréquentés du grand bois sombre. Certaines personnes ne sont faites que de chemins droits et soignés, aussi bien signalés qu'éclairés. C'est comme si elles voulaient tout te dire. Mais c'est à ce moment-là qu'il faut faire le plus attention à ne pas tout considérer comme acquis. Parce que ce n'est pas sur les routes éclairées que tu trouves la faune sylvestre, c'est dans les buissons et les fourrés.
Ils continuèrent à marcher. Harry jetait des coups d'œil devant et derrière eux. Ils étaient presque le seul couple dans Oxford Street qui ne fût pas formé de deux garçons ou de deux filles. Birgitta le prit par la main.
- "Tu aurais dû être là pour mardi-gras, pour voir le défilé gay, dit Birgitta. Ils descendent Oxford Street. L'année dernière, ils ont dit que plus de cinq cent mille personnes étaient venues de toute l'Australie, pour regarder ou participer . C'était de la folie."
"Je ne déconne pas, Harry, ça donne confiance en soi, de regarder la téloche. Quand tu t'aperçois à quel point les gens peuvent être cons, à la télé, tu te sens intelligent. Et des études scientifiques ont démontré que les gens qui se sentent intelligents sont plus performants que ceux qui se sentent bêtes."
Harry lui demanda s'il avait des albums de Nick Cave.
"Bien sûr, c'est un Australien.", répondit le type en ôtant ses lunettes. Il avait un aigle tatoué sur le front.
"Un duo. Quelque chose où il est question de wild rose...commença Harry.
-Oui, oui, je vois lequel c'est. Where the Wild Roses Grow, de Murder Ballads. Une chanson de merde. Un album de merde. Achetez plutôt un de ses bons albums."
Les Australiens se vantent d'être un peuple libéral. C'est peut-être bien le cas. Mais tu sais, j'ai compris que leur idéal, c'est l'Australien, honnête, simple, qui travaille dur, toujours de bonne humeur et avec un soupçon de patriotisme.
- True blue.
- Quoi ?
- C'est ce qu'ils appellent true blue. Ou dinkum. Ils veulent dire par là que quelque chose ou quelqu'un est authentique, sans prétention.
- Et derrière cette façade de simplicité joviale, on peut facilement cacher toute la merde qu'on veut.
"Then I kissed her goodbye,
said all beauty must die,
I bent down and planted a rose between her teeth.."
Quoi qu'il en soit, ça dépend d'où on voit les choses. L'idée, c'est que tout est relatif, n'est-ce pas ?
Mais es-tu sûr que ton dormeur voit bien tous les détails de cette photo ? Ce qu'on voit dépend peut-être de l'endroit où on se trouve.
- C'est à dire ?
- Prends la voûte céleste. Celle que tu vois quand tu es en Norvège est exactement la même que celle que tu vois aux antipodes, tu as la tête en bas par rapport à chez toi, n'est-ce pas ? Et donc, toutes les constellations sont renversées. Si tu n'as pas conscience d'avoir la tête en bas, tu ne t'y retrouves plus, et tu fais des erreurs.
L'intuition n'est que la somme de toutes les expériences qu'on a faites. Ma conception, c'est que tout ce que tu as vécu, tout ce que tu sais, tout ce que tu penses savoir,et tout ce que tu ne savais pas que tu savais, tout ça se trouve dans ton subconscient et y somnole, en quelque sorte. En général, tu n'as même pas conscience de ce dormeur, il est là, c'est tout, et ne fait que ronfler et emmagasiner d'autres choses. Mais de temps en temps, il cligne des yeux et te dit hé ho, cette photo, je l'ai déjà vue. Et il te dit où placer les différents éléments sur la photo.
Eh bien, le jugement existe, c'est un fait. Et les lois Native Title ont été adoptées. Mais on les met en œuvre d'une façon qui n'est pas le fruit du hasard. Il ne faut pas se figurer qu'un pauvre paysan risque de se faire éjecter de sa propriété. Alors, petit à petit, la panique s'est estompée.
C'est donc devenu terra nullius. Et selon ce principe, les Anglais pouvaient sans scrupule établir des titres de propriété aux colons intéressés, sans se soucier de ce que les Aborigènes pouvaient en penser. En fin de compte, ils n'étaient pas propriétaires de leur terre."
Birgitta plaça un grand verre de margherita devant Otto.
"Il y a quelques années, un type des îles Torres Strait, Eddy Mabo, s'est pointé, et il a défié le système en remettant en cause le principe terra nullius, parce qu'il prétendait qu'à l'époque, cette terre avait été volée aux Aborigènes, au mépris de toute morale. En 1992, la Cour suprême a donné raison à Eddy Mabo en établissant que l'Australie avait appartenu aux Aborigènes. Le jugement précisait que les zones où des indigènes avaient vécu ou dont ils étaient dépendants avant l'arrivée des Blancs pouvaient légalement leur être restituées. Évidemment, ça a provoqué un violent tollé, et un tas de Blancs ont gueulé parce qu'ils avaient peur de perdre leurs terres.
Terra nullius, c'est un petit concept amusant, tu sais. C'est quelque chose que les Anglais ont inventé quand ils sont arrivés ici, en voyant qu'il n'y avait pas des masses de terres cultivées en Australie. Il se trouve que les Aborigènes formaient un peuple semi-nomade, qui vivait de chasse, de pêche et de cueillette. Et juste parce qu'eux ne passaient pas la moitié de la journée courbés sur des champs de patates, les Anglais les ont considérés comme inférieurs. Ils partaient du principe que le travail de la terre était un maillon obligatoire dans l'évolution de toute civilisation, en oubliant que les premiers qui étaient venus ici avaient failli mourir de faim après avoir essayé de vivre sur ce que leur donnait cette terre stérile. Mais les Aborigènes connaissaient la nature de A à Z, se déplaçaient pour trouver leur nourriture en fonction des saisons, et semblaient vivre dans l'abondance. Le Capitaine Cook en parlait comme les êtres les plus heureux qu'il ait jamais rencontrés. Ils n'avaient tout simplement pas besoin de travailler la terre. Mais parce qu'ils n'étaient pas sédentaires, les Anglais ont décidé que cette terre n'appartenait à personne. C'est devenu Terra nullius.
Qu'est-ce que tu essaies de me dire ?
- Que la nature humaine est une grande forêt sombre qu'il n'est donné à personne de connaître parfaitement en un temps aussi court qu'une vie. Je n'en ai aucune idée, Sir.