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Citations de John Haines (48)


Je prends la route en sens inverse, vers Banner Creek, je m'enfonce dans les ténèbres éclaircies de neige. Sous la lueur des étoiles, la neige étincelle faiblement. La crête ombreuse et boisée de Richardson Hill s'élève derrière moi. Mes mocassins font doucement crisser la neige sur le bord de la route. Il n'y a pas d'autre son dans la nuit. Rien, pas même le vent.
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Tandis que je le regarde et l'écoute former ses phrases à tâtons, je me rappelle qu'il a toujours été un homme pacifique. Et sans motif, parce que nous avons mis la conversation sur les bois, il me dit :
— Lorsque je coupe du bois, je cherche toujours un arbre déjà blessé, un arbre qui va un peu de travers. J'aime pas couper un arbre sain. Je me dis que peut-être ils ont des sensations, tout comme nous.
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La pêche et la chasse, les baies sauvages, les pièges, le bois pour le feu et la nourriture, tout cela nous est offert par ce pays. Une fourrure de martre est ravissante quand on la regarde à la lumière en la tournant pour la mettre en valeur. Et la viande d’élan est un bienfait, elle nous repaît et nous réchauffe, je n’ai pas à l’acheter chez un boucher. Mais il m’est impossible de piéger et de tuer sans pensée ni émotion, et il se peut que chaque mise à mort m’inflige à moi aussi une blessure légère, peut-être fatale. La vie ici se partage entre le soleil et le givre, entre le sang vif et la sève des choses, entre leur déchéance et leur mort soudaine.
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Je passe un pantalon de laine épaisse sur mes sous-vêtements, puis deux chemises de laine. Sur le pantalon de laine, j’en porte parfois un second, de coton léger, pour servir de pare-vent ou me protéger de la neige. J’enfile des chaussettes : trois paires en laine et celle du dessus en feutre. Deux paires de semelles intérieures, et enfin les mocassins en cuir. Je noue les lacets montants. Ces chaussures tiennent le pied sans me serrer, molles et légères. Je les ai confectionnées il y a six ans avec la peau d’un grand élan et, si elles se sont usées depuis, elles demeurent les meilleures que je possède.
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Qui sont ceux qui viennent là, dans cette blancheur, ce lieu distant et glacé, en quête de ce qu’ils ne peuvent nommer ? Non pas l’or, sans doute, mais une fortune spirituelle, une fraîcheur qui leur est déniée là d’où ils viennent.
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Parfois, dans ce monde appauvri, nous reviennent les rêves d’abondance des vieux trappeurs. Une contrée prospère, riche en gibier, en poisson, en fourrure, généreuse comme aux temps jadis. Des ours, des élans et des caribous. Des bois regorgeant de lapins, de martres courant un peu partout, faisant sur la neige des traces jumelles dessinant leur parcours sous les sombres épicéas. Et l’empreinte attentive, une patte devant l’autre, des lynx qui suivent leur chemin sans jamais se hâter. Les castors dans l’étang, un autour qui hante les fourrés à la fin de l’hiver tel un spectre ravageur, et de temps à autre la vague menace d’un loup en maraude.
Tout ceci, ou son ombre intermittente : une région moribonde, et rien à voir sur la neige. La famine, et le grand rêve qui s’éloigne.
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S’il était possible de quantifier la vie dans les bois, ou d’en mesurer simplement l’efficacité au regard des nombreuses satisfactions qu’elle procure, ma vie ne fut jamais un grand succès, mais elle dépendait de la présence d’animaux et du temps que j’étais prêt à consacrer à la traque. Par un hiver faste, je me souviens d’avoir pris vingt martres, deux lynx et un ou deux renards. Je reçus moins de trois cents dollars pour le tout. A l’époque c’était pour nous une grosse somme, environ les deux tiers de nos revenus annuels. A l’heure où j’écris ces mots, je sens bien, là encore, à quel point nous vivions de peu et combien ce peu pouvait s’avérer crucial.
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Mais il m'est impossible de piéger et de tuer sans pensée ni émotion, et il se peut que chaque mise à mort m'inflige à moi aussi une blessure légère, peut-être fatale. La vie ici se partage entre soleil et le givre, entre sang vif et la sève des choses, entre leur déchéance et leur mort soudaine.
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Que fait un homme dans un lieu comme celui-ci, si loin et si désert ? Pour commencer, il observe le climat : les étoiles, la neige, le feu. Ce sont les livres qu'il lit la plupart du temps.
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Au loin, sur l'autre rive de la Tanana, à un mille ou plus au sud, une meute de loups chantait. Je dis bien "chantait et non "hurlait", car c'était bien ce que cela évoquait. Nous distinguions trois,quatre voix peut-être, un peu tremblantes, qui s'élevaient de concert, modulées l'une sur l'autre avant de s'interrompre en un chœur désordonné. Leurs voix retombaient en échos lointains sur la rivière glacée avant de reprendre. Un vent léger, incertain, soufflait de ce côté et le chant s'élevait ou retombait selon que l'air le portait vers nous ou l'entraînait plus loin au sud. C'était comme s'il avait traversé un milliers d'années de glace et de neige tassée par le vent. C'était comme s'il voyageait à la façon des étoiles, éteintes depuis longtemps quand leur lueur nous parvient.
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Prendre la piste sans un regard en arrière. À pied, en raquettes, en traîneau, s'enfoncer dans les collines de l'été dont l'ombre est encore tiède. Un grand feu, une empreinte dans la neige donneraient à voir ma course. Au reste de l'humanité de me trouver si elle le pouvait.
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Debout en ces lieux, regardant la glace descendre la rivière, je me rappelle les années passées où je venais pêcher le saumon dans un cours d'eau fort semblable à celui-ci, vers la mi-octobre, avec seulement un pouce ou deux de neige sur les barres de gravier. J'étais équipé d'une longue gaffe munie d'un crochet d'acier. Posté à l'endroit où le courant ralentissait en venant heurter la glace, immobile, silencieux, j'épiais les formes chatoyantes, rouges et roses, des saumons qui remontaient la rivière en cette fin de saison. Parfois j'en apercevais un vers le milieu du courant, hors de portée de ma gaffe. Mais souvent ils glissaient doucement le long de la glace, jouant des nageoires et se reposant, parfois presque immobiles dans le courant. Je calais ma gaffe tout contre la glace et l'allongeais prudemment, derrière le poisson. Un geste souple et rapide, une brusque poussée de la main, et je harponnais le saumon pour le rejeter hors des eaux sur la rive.
Ce gros crochet laissait une large entaille au flanc des poissons, dont le sang ne tardait pas à souiller la neige où je les entassais un à un. Si d'aventure il s'agissait d'une femelle lestée d'oeufs, ces derniers s'éparpillaient parfois du flanc déchiqueté pour rejoindre, roses et dorés sur la mince couche de neige, les corps vitreux et tachetés des saumons en train de geler.
Il y avait quelque chose de noble et de barbare dans cet acte primordial, tant de fois répété. Debout dans la neige et l'air froid vers la fin de l'année, brandissant un grand crochet juste au-dessus de la rivière couverte de glace, c'était comme si on se sentait partie prenante d'un rite si ancien que son origine se perdait dans le crépuscule des hivers: un sentiment exacerbé, enrichi par l'odeur de la glace et de cette bave froide qui recouvre les poissons , par les tons acier du ciel hiverna let la neige blanche souillée de rouge par les saumons: couleurs de la mort et de l'hiver. Et par-dessus tout cela, le noir puissant des corbeaux qui se rassemblaient tous les soirs quand je quittais la rivière pour purger la neige des oeufs et du sang versés.
Je prenais ces grands poissons un à un, marchant le long de la glace que j'observais calmement heure après heure. En l'espace de quelques jours, j'empilais deux à trois cents saumons en tas épars dans la neige fine et sèche de la barre, avant de les empaqueter par petits groupes pour les rapporter à la maison, lourds et gelés.
Je ne vois pas de saumon maintenant que je suis posté devant ce cours d'eau rempli de glace, sondant ses ombres vertes et caillouteuses et ses profondeurs bleutées pour y déceler cette étincelle rouge qui trahit le saumon. Peut-être cet automne est-il pauvre en poissons, peut-être suis-je arrivé trop tôt ou trop tard, peut-être les saumons ont-ils pris un autre itinéraire pour remonter la rivière?
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J’étais alors seul la plupart du temps, la vie conjugale et la vie dans les bois n’ayant pas fait bon ménage. Outre ma propre personne, je disposais de quatre chiens, de deux traîneaux, d’un harnais et de raquettes, de quelques livres et j’avais ma passion pour cette région. J’étais bien décidé à apprendre tout ce que je pouvais afin de me préparer à une longue vie dans les bois.
Pendant un temps, je posai mes pièges le long de la Tanana et sur les anciens chemins jouxtant Richardson et Tenderfoot, pas trop loin de chez moi. Sur le moment, j’en fus pour mes peines, malgré toutes ces expéditions et toutes ces recherches, tous ces regards perplexes scrutant la neige. Malgré tout, j’en tirai une leçon. J’appris à lire une piste animale, l’empreinte laissée sur la neige par la patte, l’aile ou la queue. D’une certaine façon, étrange et intuitive, c’était comme si je m’initiais à une langue étrangère où le moindre détail, le moindre accent avait une signification particulière. Cette langue m’amenait pas à pas dans un monde que j’avais, me semblait-il, connu naguère avant de l’oublier – un monde rempli d’ombres, hanté par les visions encore à moitié présentes du passé. J’y trouvais mes marques, plus ou moins certain – même si j’étais seul, loin de tout ce qui avait entouré mon enfance – que j’étais là où je devais être, à faire ce que je devais faire.
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Je pose mon sac et m’approche, bâton en main. Je lui décoche un coup sec sur le nez qui la fait tomber dans la neige avec des contorsions. Je la retourne vivement sur le dos, cale mon bâton contre sa gorge et la maintiens ainsi d’un pied tout en plaçant l’autre sur sa fine poitrine. Je sens le petit cœur battre à travers la semelle de mon mocassin. Tandis que je me tiens là, penché sur elle, la martre se ranime à moitié et tente de se libérer avec force coups de patte et convulsions. Mais très vite le cœur cesse de battre et le petit corps mince se détend. J’ôte mon pied et le bâton, ouvre les mâchoires du piège et j’étends la martre sur la neige. C’est un mâle, gros et ombre, à la fourrure épaisse. Mieux vaut les trouver déjà mortes et gelées. Je n’aime pas les tuer de cette façon.
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Tandis que je reste là, rafraîchi par le silence et la nuit proche, je me dis que cette vie est la bonne.
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John Haines
Pendant un temps, je retournai au monde des villes et des citadins, des livres et des écoles : une autre partie de la forêt, qui possédait aussi ses pièges et ses leurres.
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Pour qui vit dans la neige et l'observe jour après jour, elle se lit à livre ouvert. Les pages se tournent au souffle du vent. Le même texte s'écrit là depuis des milliers d'années...
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Il arrive que le monde vous déçoive, que la Bourse s’effondre, que la circulation automobile s’arrête : il suffit alors d’une hache bien en main, d’un fusil, d’un filet, de quelques pièges… et la vie continue, debout et à l’ancienne.
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L'eau et la glace parlent d'une même voix, qui m'est devenue familière avec les années. Mais la glace fait d'autres bruits encore, dont un gémissement étrange, inquiétant, qui sourd de la glace neuve d'une flaque quand on marche dessus, comme si un esprit triste tout au fond de l'eau tentait de se faire entendre. Vers le milieu de l'hiver, une grande plaque de glace peut se fendre en frémissant lorsque la température change soudain ou que la strate inférieure bouge: le frémissement se propage vite, comme si la glace était passée au crible. Et le soir, ce cliquetis que fait la glace quand le froid chute au plus bas, bien en deçà de zéro degré, comme si un millier d'insectes cachés pépiaient en un choeur amer sous la glace et la neige. Et enfin, le choc et son fracas, la chute de cette plaque de glace qui se brise au printemps, sapée par l'eau en crue, ce son qui se propage à des miles comme si une grande bâtisse s'effondrait d'un seul coup.
La glace chante, elle gémit, hurle et siffle comme une créature vivante. Il y a des années, alors que je chassais le caribou dans l'Alaska Range, j'entendis la lamentation ancestrale de la glace. C'était au début d'octobre, et le gel descendait lentement sur la terre nue et ses nombreux lacs. J'étais là, seul, tendant l'oreille au bord de la route par un après-midi, quand j'entendis dans l'atmosphère quasi stagnante, comme s'il montait de la terre elle-même, un gémissement étouffé, esseulé, venu des lacs et des étangs. C'était un bruit sorti tout droit de la préhistoire, celui d'une créature blessée et abandonnée qui rendrait peu à peu son âme au froid. Il y eut des flammes fantomatiques sur la toundra, des ombres aux crinières blanches quand les bandes de caribous s'enfuirent devant quelque chose d'invisible. Et des détonations au loin, des coups de feu, le son d'un camion cahotant sur la route gelée.
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Ici, sous mes yeux, la rivière est éveillée, elle murmure et marmonne à mi-voix, elle jaillit encore, trace son sillon plein de glace sur le sable et le gravier nus. Mais un jour -- bientôt peut-être ou très tard, au solstice d'hiver, lorsque le soleil s'éloignera de l'horizon au sud -- tout ce jaillissement, ce grincement, ce déchirement, ce piétinement, tout cela cessera. Avec la neige viendra le grand silence -- et l'on entendra cet autre son de la glace qui équivaut presque au néant. Ce cours d'eau sera enfin comblé, la dernière veine d'eau figée, et la rivière se fera souterraine. La neige en rafales viendra couvrir la glace sur laquelle je me tiens.
Si je devais cheminer ici vers le milieu de l'hiver, le seul bruit que j'entendrais sans doute serait le vent qui dissémine la neige à fleur de glace. Ce n'est que de temps à autre, en marchand sur les hauts-fonds gelés, que j'entendrais sous mes pieds un filet d'eau se frayer tant bien que mal un chemin dans la glace. Plus tard encore, lorsque celle-ci fera plusieurs pieds de haut, comblant l'affluent le plus vaste, il se peut que j'entende tout au fond d'une crevasse enneigée le murmure et la houle profonde de la rivière qui court sous mes pieds.
Car la glace et la rivière sous la glace ne restent jamais très longtemps immobiles. Encore et encore, durant ce long hiver, l'eau se fraiera un chemin vers la surface. Elle creusera une veine liquide, d'où elle surgira pour se répandre à la surface de glace et de neige avant de geler de nouveau, formant une strate fragile. Le vent apportera sa charge de neige poudreuse pour polir la glace brute, lui donner un lustre sauvage. Des fleurs délicates de givre viendront éclore à sa surface, légers pétales recroquevillés sur la glace grumeleuse, que balaiera le premier souffle de vent. Et sur cette étendue de glace neuve, le silence se fera de nouveau, le silence de la glace, inchangé depuis le premier hiver sur Terre.
Mais tout ceci reste à venir, aujourd'hui comme hier. L'hiver se met en route dans la contrée, par monts et plaines, marécages et plateaux, à travers lacs et bassins, affluents et embouchures. Il a cheminé lentement cet automne, d'un pas égal, majestueux, gagnant un peu de givre chaque nuit, perdant un peu de chaleur chaque jour. En attendant, l'eau profonde de la rivière coule à mes pieds, lente et chargée de glace, et le son profond de cette eau remplit le paysage tout autour de moi.
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