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Citations de John Haines (48)


C'étaient là de grands rêves flous que je n'ai jamais réalisés, même si je les rêvais dans le moindre détail: les camps que j'allais bâtir, les pistes que j'allais tracer, les chasses d'automne tôt venues à la lisière des arbres. Mais pour moi, somme toute, le rêve avait ses limites. La sphère domestique avait elle aussi son emprise -- cet autre monde de livres et de pensées qui allaient bien au-delà des expériences immédiates comme la chasse et les pièges, qui s'en allaient rejoindre un pays bien à eux. J'allais rester là où j'étais et tirer parti de ce que j'avais.
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Et tout cela me traversa l'esprit avant de s'évanouir. Je revins au présent, à la tâche que j'avais devant moi -- un simple raccord, et c'était bon d'apprendre comment faire. Je retrouvai tout ce qui entourait mon travail: le mica étincelant dans le sol de glaise sablonneuse, les lambeaux de mousse entre les interstices des rondins. Rien d'autre sous mes yeux que le bois du mur, fendu et noueux, patiné de gris à force d'années. Je vis ma main sur la truelle et la boue humide et brune, amoncelée sur la palette que je tenais de l'autre main; et tout en bas, contre le mur de l'écurie, le grand visage rougeaud d'Allison dans un rayon de jour qui passait par là. J'entendis l'eau et la terre barboter dans la cuvette étincelante, la binette racler doucement l'étain tandis qu' Allison brassait le mélange.
Je me concentrais sur cet instant pour en savourer le moindre détail. Mais ne pressentais-je pas déjà que Richardson, monde paisible et rural encore peuplé de quelques résidents aux outils vieillots, installé sur un segment de route couvert de gravier, était en voie de disparition alors même que j'en faisais la connaissance? Peut-être une partie ignorée de moi-même le savait-elle déjà. Et savait que, d'une certaine façon, je contribuais à ce changement en cours. Mais pour l'instant il y avait cet instant, cette journée, la promesse d'autres journées à venir: un rêve flou mais tangible qui s'accomplissait dans la lumière tiède et déclinante d'un début d'automne.
Le temps passe. Le travail avance tranquillement et mon esprit s'égare dans l'avenir, à quelques jours ou quelques semaines d'avance. Puis c'est de nouveau l'après-midi et le soleil voilé est beaucoup plus bas au sud, il répand sa lumière froide et grise sur la rivière et les champs. Au sol une neige éparse, à peine un pouce de neige sur les herbes rases glacées de givre.
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De passage dans les champs, le soleil se décomposait lentement sous les coups de la pluie d'été. Sous mes yeux stupéfaits, une image des hasards qui frappent la nature. Un instant de calme inexplicable, comme par ce jour d'hiver froid et lumineux où je trouvai un sizerin gelé sur un talus de neige, à l'entrée de la route qui menait à ma concession, sans un indice qui explique pourquoi l'oiseau était venu mourir ici. Peut-être étourdi par une rafale de vent, au passage d'un véhicule. Peut-être gagné par le sommeil alors qu'il se nourrissait des graines semées par le vent et les quelques plantes qui perçaient la neige en se réchauffant un instant au froid soleil. Son corps ne portait pas de trace de coups, chaque plume était à sa place. Des petits pieds raidis sous le duvet léger, des yeux à moitié fermés, de cristal noir, et de part et d'autre du bec, une légère barbe de givre. Le petit crâne couleur de rouille était vivement coloré, la gorge rouge semblait presque chaude au toucher. Mais elle était absolument figée, la poitrine et le coeur se confondaient en un seul glaçon. Je gardai l'oiseau un instant dans mes mains avant de le reposer doucement dans la neige. C'était comme s'il ne pesait rien du tout.
Dans cette poignée de vie minuscule que j'avais sous les yeux, un oiseau comme une feuille lâchée au passage par le vent, c'était comme si j'éprouvais notre chair commune, également friable. Cette vulnérabilité pressentie en ce seul instant, avec sagesse et ferveur, puis trop vite oubliée. Oubliée peut-être à bon escient, cat il deviendrait vite intolérable d'être en permanence confronté à cette découverte: l'identification nous atteindrait trop douloureusement.
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Légendes et traditions des pièges et des leurres. Les vieux manuels sont remplis de pièges, d’appâts, de savoir-faire ancestral. Ce thème a de quoi fasciner, et qui rêve de vivre dans les bois doit s’approprier ces pratiques : il y trouvera un bien essentiel, un héritage précieux et un lien avec le passé. Il arrive que le monde vous déçoive, que la Bourse s’effondre, que la circulation automobile s’arrête : il suffit alors d’une hache bien en main, d’un fusil, d’un filet, de quelques pièges… et la vie continue, debout et à l’ancienne.
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Je revenais à pied de Redmond Creek par un matin de fin janvier. Entre deux points d’eau, sur la ligne de partage, je surpris une scène de bataille entre un élan et trois loups. Cette histoire s’écrivait en grosses lettres à mes pieds. Les loups étaient venus de l’ouest en suivant une ancienne piste qui partait de la rivière Salcha. Ils avaient trouvé l’élan qui broutait sur la route en friche, celle que j’empruntais maintenant.
Les traces étaient encore fraîches, la scène datait sans doute de la veille. La neige était ravagée avec, çà et là éparpillées, des branches cassées et des plaques de mousse gelée, quelques poils d’élan. Un chaos de pistes dans la neige piétinée : les sabots de l’élan qui foulent le sol et glissent à terre, les grosses pattes fourrées des loups toutes griffes dehors.
Je poursuivis mon chemin en observant la neige. L’élan était grand et solitaire, un mâle probablement. A un moment donné, il s’était acculé à une rive basse et couverte de buissons pour protéger ses arrières. Les loups avaient pris leurs distances : dangereux, ces sabots d’élan… Faisant volte-face, il avait fui sur une cinquantaine de yards, et le combat avait repris. La bataille s’était transformée en course poursuite, en lutte saccadée qui s’était prolongée pendant près d’un demi-mile sur un terrain changeant et coupé d’ornières, sous la lumière rougeoyante du matin qui passait le cap des collines, venant d’un soleil plus au sud. En un dessin mouvant et incertain, les loups fléchissaient, parcouraient un large cercle dans les broussailles, puis l’attaque reprenait : voici encore quelques touffes de poils dans la neige piétinée.
J’avais l’impression de bien connaître ces loups. J’avais déjà croisé leur piste plusieurs fois au cours de cet hiver et un jour, ils s’étaient emparés d’une martre que j’avais prise au piège. Il s’agissait sans doute d’une femelle et de ses deux petits, presque adultes. Elle devait leur apprendre à chasser et tout ce remous dans la neige n’était peut-être que le jeu grave de créatures qui doivent tuer pour survivre. Ce matin-là pourtant, je ne vis aucun signe de sang et l’élan semblait avoir tourné le combat à son avantage. Il s’était finalement engouffré dans l’épais taillis d’aulnes. Je suivis sa course, ralentie à présent qu’il escaladait un col de basse altitude vers le nord, dans la neige vierge et peu épaisse. Les trois loups étaient repartis au trot vers l’est, en direction de Banner Creek.
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Pour qui vit dans la neige et l'observe jour après jour, elle se lit à livre ouvert.
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Parcourues de jour en jour, de saison en saison, ces pistes finirent par constituer à leur façon une partie de ma concession, une extension de mon territoire. Tout comme je m’attendais à voir tomber les feuilles en automne, je guettais ces lieux incontournables où faire une pause pendant le trajet, où contempler les collines, où traquer un élan. Clairières de prédilection, branches jetées à terre par le vent, fourrés où cueillir myrtilles et airelles. Tout ce qu’on trouvait le long des pistes avait son utilité : un bout de bois sec pour démarrer le feu, un bouleau mort pour l’écorce qui le maintenait droit, un tas de feuilles sèches sous les trembles où récolter des champignons à la fin de l’été. En un rien de temps, les pistes acquirent chacune leur légende, faite de prises passées et d’autres évènements mémorables : ici, un ours s’était arrêté pour manger au début de l’été ; là, à l’automne dernier, un élan mâle avait coupé les branches d’un jeune épicéa en y frottant ses bois.
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C'était un automne dur, à bien des égards l'année la plus dure et la plus misérable que j'ai passée dans le Nord. Mais ce temps et ces efforts en valaient la peine, car la cabane est toujours là, chaude et confortable. Peu m'importe de savoir combien de temps elle résistera, car elle nous semblera toujours neuve, et il nous paraîtra toujours étrange de la retrouver tout d'un coup au terme d'une longue marche dans ces lointaines collines, en sachant que c'est nous qui l'avons bâtie.
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