"Cité de la nuit" de John Rechy peut se lire comme un roman à forte dimension autobiographique. Il raconte à la première personne le "voyage" du narrateur jeune à travers les cités américaines, vues par leur face nocturne, à savoir la vie souterraine des homosexuels dans les années 60. Cette société clandestine se divise en catégories séparées par d'étanches barrières : prostitués, clients, travestis et autres affirment, par un code strict, leur appartenance au sous-groupe qui leur donne leur identité. S'il y a bien du libertinage, il n'y a aucune liberté. Ce jeu de masques sociaux trouve son apothéose à la fin du livre, pendant le grand Carnaval de la Nouvelle-Orléans. C'est dire que dans cet univers, personne "n'est soi-même", tout le monde joue un rôle que le narrateur autobiographe s'emploie à décrire et à décrypter dans le récit. Lui-même joue le rôle du prostitué, qui appartient volontairement à ce monde, tout en prétendant y voyager en touriste, comme s'il n'était pas réellement concerné par ce qui s'y passe.
L'ouvrage se répartit en deux sortes de chapitres : ceux que l'auteur intitule "cité de la nuit", choses vues et scènes de groupe de la vie quotidienne à New-York, Chicago, Los Angeles, San Francisco ou la Nouvelle-Orléans. D'autres chapitres s'intercalent, portant le nom du personnage qui y est plus particulièrement décrit : Mr King, Le Professeur, Chuck, Skipper, etc ... Ces personnages semblent jouer une comédie plus élaborée, et font de leur vie entière une espèce de roman mythologique, ou mythomaniaque. Une chose en tous cas les réunit tous, narrateur compris : l'absolue solitude, le total manque d'amour de vies passées à proclamer, à jouer, à mimer le contraire. Quand le narrateur s'approche de la pénible vérité, que certains dans le livre lui révèlent (Dave, Pete, Jeremy) il s'enfuit pour préserver la pureté de sa solitude narcissique, de sa détresse.
C'est un donc un roman frappant par la lucidité de ses analyses et auto-analyses. On y voit une galerie de personnages flamboyants, excentriques, drôles ou non, malades de solitude et terrifiés à l'idée d'aimer et d'être aimés. En compensation, une ambiance de fête perpétuelle, de libertinage apparent, laisse voir à quel point l'adjectif "gay" ou gai, a été donné par antiphrase... Le style rappelle parfois, quand John Rechy le polit et le travaille, composant soigneusement ses pages, les moments les plus fatigants des romans de W.S. Burroughs (mais sans la Science-fiction et le cut-up). D'autre part, l'auteur n'a pas peur des pires clichés de langage, de style et de pensée, à certains moments. C'est donc un livre "à tunnels", à très bons et à très mauvais endroits, inférieur dans sa facture et son esthétique à Numbers, écrit quatre ans plus tard, en 1967.
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Ce court roman de 1968 (on a attendu 2010 pour la traduction française) présente d'abord une grande qualité : le récit est à la troisième personne, mené par un narrateur extérieur et objectif qui analyse les actions et les pensées du héros. Nous voilà loin de ces misérables autofictions et bavardages contemporains à la première personne, où le "je" envahissant empêche toute réflexion et annule toute lucidité. Ce choix grammatical, d'ailleurs, se justifie amplement par le fait que le héros, Johnny (ou John) Rio, souffre d'une forme de folie qui rendrait impossible ou invraisemblable un récit à la première personne. Ancien prostitué retiré mais toujours jeune et beau, le héros revient à Los Angeles pour dix jours et tente de séduire le plus d'hommes possible, le plus rapidement possible, dans un grand parc, Griffith Park, lieu de drague homosexuelle de la ville. Ses pratiques, cliniquement décrites, finalement peu obscènes tant elles sont rituelles et symboliques, se limitent à des contacts minimaux et furtifs, puisque la sexualité du héros est étroitement cadenassée par son extrême narcissisme et par des préjugés ethniques tenaces. Il est l'homme, les autres doivent se soumettre symboliquement à lui, et en fin de compte, il n'a pas tellement besoin de contacts physiques : être désiré, admiré, convoité, lui suffit amplement. C'est sans fin, ce qui permet d'expliquer le titre, puisque Johnny Rio tient le compte de ses conquêtes et décide de tout arrêter à trente personnes, en dix jours. On apprend que trente, en jargon journalistique, veut dire "la fin". Il fait de cette comptabilité l'enjeu de son combat contre Griffith Park, le lieu de drague qu'il personnifie comme son ennemi. Johnny Rio se donne pour but de conquérir la maîtrise de soi, de ses pulsions, de rester maître de sa propre vie, d'en finir avec le désir homosexuel qu'il a besoin de provoquer chez les autres sans jamais le laisser l'envahir. Qui l'emportera, du jeune homme ou du grand parc ?
On sort de la lecture de ce roman, consacré à un cas psychiatrique d'obsession et de folie narcissique, à la fois édifié et accablé par le tableau d'une certaine homosexualité qu'il dépeint, dans une certaine Californie de la fin des années 60, avant l'épidémie de sida et le retour de la morale. Il existe un grand contraste avec les écrits de Renaud Camus, rédigés peu après et dans les mêmes lieux ("Tricks") : ce ne sont ni les mêmes pratiques, ni la même mentalité étroite et obsessionnelle, ni le même désespoir, le projet de Renaud Camus étant bien plus apologétique que les oeuvres de John Rechy. Camus en particulier peint une génération sexuellement libérée et pratiquant une forme d'amour et de sensualité réciproques. La réciprocité est au contraire la bête noire et l'angoisse ultime du héros torturé, prisonnier de lui-même et de sa peur, de John Rechy.
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Numbers raconte la déchéance de Jonnhy Rio, ex-prostitué, sur deux semaines qui rentre à L.A. et va multiplier les expériences sexuelles homosexuelles.
Un livre qui m'est tombée des mains et que j'ai lu en diagonale. Je ne suis jamais entrée dans l'histoire. L'extrait de la quatrième de couverture est trompeur car on ne s'attend pas à une telle histoire. Une déception.
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De prime abord, c’est l’histoire d’un homme et de ses aventures homosexuelles.
Puis ça devient l’histoire de l’homosexualité dans l’Amérique des années 60, juste avant la libération sexuelle. Ces relations sont encore cachées, encore clandestines, encore honteuses. La ville a pris le partie de les interdire, faisant circuler des policiers sous couverture dans les parcs ou les cinémas où les hommes se rencontrent. Plus radicalement encore, en trouvant des solutions d’urbanisme pour éradiquer ces lieux de rendez-vous.
Puis cela devient le récit d’une course contre le temps qui passe, une course évidemment perdue d’avance. Certains clins d’œil et indices prêtent à sourire : Johnny Rio se contemple régulièrement dans un miroir, à la recherche d’un changement – même infime – dans le reflet qui lui fait face. Un Dorian Gray californien. Croisant régulièrement la route d’un étrange Benjamin Button, un homme au volant d’une voiture de sport rouge qui semble rajeunir à chaque passage.
Et au-delà de tout cela, une poésie sublime, sous la plume d’un véritable écrivain. Numbers commence par une explosion de couleurs : les lumières sont jaune, arc-en-ciel, le sud est violet bleu doré. Puis les ruelles sont grises, et le Nuage qui recouvre LA semble ternir l’ensemble. Et enfin, les lieux de rencontre sont dans l’obscurité, les balcons sombres des salles de cinéma, les cavernes des parcs autrefois luxuriants, les coins de nuit noire pour des ébats rapides sans jouissance.
John Rechy est un écrivain majeur aux États-Unis, père et point de départ d’une littérature homosexuelle connue et reconnue de l’autre côté de l’Atlantique. En France, Gallimard avait eu l’audace de publier dans les années 60 Cité de la nuit, son premier roman, autobiographique, sur les déambulations d’un prostitué homosexuel entre New York et la Nouvelle Orléans. Malheureusement, ce livre est aujourd’hui introuvable et il n’existait plus le moindre roman de Rechy traduit en français.
Nous devons la résurrection de la voix de John Rechy aux éditions Laurence Viallet, elles-mêmes en voie de résurrection. C’est heureux car nous avons plus que jamais besoin du reflet éblouissant de la poésie en couleurs et des contre-allées aventureuses. (du blog un dernier livre avant la fin du monde)
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John Rechy est né à El Paso au Texas, Cité de la nuit, son premier roman est paru en 1963. Roman autobiographique le livre nous plonge dans la vie quotidienne d’un tapin homosexuel à travers son errance américaine, New York, Chicago, Los Angeles, San Francisco, La Nouvelle Orleans etc. Ici, nous ne côtoyons que michés, tapins, travestis, tapettes, hommes femmes, femmes hommes, perversions. Très bien écrit, le texte ne dit que rarement le glauque, il ne fait que le suggérer, rappelons nous qu’il a été publié en 1963, s’il était paru de nos jours aucun détails sordides ne nous auraient été épargnés, on aurait « gagné » en précisions mais on aurait perdu en émotion. Car ce bouquin est très fort, ponctué de rencontres qui sont autant de portraits d’hommes à la marge, toujours seuls ou sachant qu’ils le seront bientôt, vivant des doubles vies pour certains, cachés derrière des masques de respectabilité, l’outing n’étant pas encore à la mode. Vous n’êtes pas obligés de lire ce livre mais l’ignorer, c’est passer à côté d’un grand bouquin.
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Ballade d'un prostitué dans les grandes villes d’Amérique et de ses rencontres. Superbe écriture. Poétique ,parfois drôle souvent très émouvant. Un grand livre
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Ce qui aurait pu n'être qu'une simple chronique naturaliste est en réalité l'analyse de la confrontation d'un homme avec son destin. Rechy décrit sans apitoiement la quête perdue d'avance de Johnny, la froideur du milieu sans lequel il évolue, le narcissisme et le sentiment de culpabilité qui l'envahissent. Par ailleurs, la ville de Los Angeles est décrite avec une surprenante poésie.
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Odyssée urbaine et existentielle d'un jeune prostitué arrogant de retour à Los Angeles après une longue absence.
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Un ancien gigolo revient à Los Angeles après trois ans d'absence. La ville a changé, les lieux où il faisait son tapin ont disparu "débarrasser la plage des indésirables".
Un document sur l'homosexualité dans les années 60 où l'homosexualité était dans la clandestinité : des ombres dans les cinémas, des rondes dans les parcs. Un roman cru où la sexualité suinte les pages.
Mais c'est également un roman poétique sur un homme obsédé par son apparence, cherchant à être désiré au point de calculer ses conquêtes d'où le titre "Numbers", lutte contre le temps et la mort.
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