Lecture jeune, n°128 - « T’as pas d’argent !!!??? T’es pauvre !!!??? Oh là là là là là là là !!!! Non alors là non c’est pas vrai ! Fallait que ça tombe sur moi ! C’est pour ça... que c’est moche ici et triste ! /.../ Tu sais mais moi je vais pas pouvoir rester ici, je vais pas tenir, je vais me tirer une balle moi », proteste la créature à peine née en découvrant la noirceur du monde. D’instinct, le pantin de Pommerat adopte des mots d’adolescent, des revendications contemporaines. Il refuse la pauvreté, l’ennui, l’effort. Ébloui par tout ce qui brille, il veut s’amuser, avoir « une vie de prince comme dans les journaux » et gagner beaucoup d’argent. Tant pis si par cupidité il risque la mort et échoue en prison. Toujours blessé, toujours en fuite, Pinocchio ment pour échapper au réel. « J’ai la chance contre moi mais ça va changer », dit-il à la fée, juste avant de s’embarquer dans le camion nocturne qui mène au « pays de la vraie vie ».
La problématique de l’illusion est au coeur de la parole de Pommerat, une parole qui résonne de manière singulièrement actuelle et fait froid dans le dos. Fidèle à la cruauté du conte de Collodi, à sa visée pédagogique, Pommerat, qui préfère parler de réécriture plutôt que d’adaptation, considérant toutes ses pièces comme des palimpsestes de la littérature classique, est avant tout fidèle à lui-même et au questionnement philosophique et poétique qu’il mène avec les comédiens de la compagnie Louis Brouillard : « ne jamais mentir, ne jamais vous mentir, ne jamais vous dire autre choses que la vérité, ne jamais dévier de la vérité, ne jamais sortir de la vérité. » De cette exigence naît une langue intense, travaillée sur le plateau avec les acteurs, afin de trouver les mots justes qui pèsent au coeur des silences, le phrasé qui restitue l’évidence de l’oralité. Un théâtre actuel et brûlant, qu’il ne faut pas manquer d’aller voir sur scène.
Charlotte Plat
Commenter  J’apprécie         00