Au théâtre Nanterre-Amandiers, le metteur en scène Ludovic Lagarde se saisit du "Quai Ouest" de l'écrivain Bernard-Marie Koltès, cette pièce troublante écrite au tournant des années 80, qui rassemble marginaux et bourgeois désabusés dans un hangar désaffecté : lumière sur une société déclinante.
Comme souvent dans les pièces de Koltès, tout part d'un lieu : dans "Quai Ouest", il s'agit de ce grand hangar désaffecté plongé dans l'obscurité. Pour Ludovic Lagarde, ce hangar est « un décor-personnage. le lieu est le départ de la pièce. » Par les failles et les trous de cet endroit, se faufilera bientôt la lumière de l'aube, mais avant cela a lieu une rencontre entre un bourgeois suicidaire chaperonné par sa secrétaire et la communauté de marginaux exilés qui habite le hangar. Arrivé en jaguar, Maurice Koch perturbe l'équilibre de la communauté en leur offrant une opportunité de fuite. Les désirs des uns et des autres germent, s'entrechoquent puis s'annulent.
C'est toute une époque qui vient s'échouer sur le "Quai Ouest" : les utopies et les rêves exprimés dans les marges s'effritent sous une menaçante vague de néolibéralisme et de financiarisation. Pour Koltès, ce lieu est l'occasion de rencontres improbables et de faire survivre la poésie dans un monde où elle s'érode. Un monde avec de nombreuses résonances avec le nôtre : la question du bouc émissaire lorsque Cécile, émigrée frustrée libère sa haine face à Abad, mais aussi « la colonisation et la _décolonisation_. À la fin de la pièce, Cécile parle en quechua, le langage de ses origines qu'elle ne connait pas elle-même. Cette décolonisation de la personne est intéressante vis-à-vis des débats qui font rage aujourd'hui en France. L'extrême droite en France vient sur un terrain colonial, au moment où le mouvement de décolonisation et la déconstruction de ces dominations interviennent. » analyse Ludovic Lagarde.
Olivia Gesbert invite à sa table le metteur en scène Ludovic Lagarde pour nous présenter cette nouvelle pièce.
#Théâtre #QuaiOuest
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Mais que faire de son regard ? Regarder vers le ciel me rend nostalgique et fixer le sol m’attriste, regretter quelque chose et se souvenir qu’on ne l’a pas sont tous deux également accablants. Alors il faut bien regarder devant soi, à sa hauteur, quel que soit le niveau où le pied est provisoirement posé ;
“On ne peut revenir sur l’insulte, alors qu’on peut revenir de sa gentillesse, et il vaut mieux abuser de celle-ci que d’user une seule fois de l’autre.”
en général plus une chose à dire est importante, essentielle, plus elle est impossible à dire : c'est à dire: plus on a besoin de parler d'autre chose pour se faire comprendre par d'autres moyens que les mots qui ne suffisent plus.
Mais plus un vendeur est correct, plus l’acheteur est pervers ; tout vendeur cherche à satisfaire un désir qu’il ne connaît pas encore, tandis que l’acheteur soumet toujours son désir à la satisfaction première de pouvoir refuser ce qu’on lui propose ; ainsi son désir inavoué est exalté par le refus, et il oublie son désir dans le plaisir qu’il a d’humilier le vendeur.
Mathieu - Est-il vrai que j'ai les pieds plats?
Adrien - Mais bien sûr, puisque je te l'ai dit. Regarde les miens. C'est donc ça qui te trouble? Mais on peut vivre avec cela, Mathieu, mon fils. Il ne faut pas porter trop souvent de chaussures pour ne pas en souffrir? Mais, sinon, tu es un homme ordinaire, Mathieu, tout à fait ordinaire.
Mathieu - J'aurais voulu être extraordinaire.
Adrien - C'est idiot. Il y a de plus en plus de gens extraordinaires. Au point que cela va devenir extraordinaire d'être une personne ordinaire. Alors, patiente un peu; tu n'as rien à faire pour cela, rien.
On ne peut revenir sur l’insulte, alors qu’on peut revenir de sa gentillesse, et il vaut mieux abuser de celle-ci que d’user une seule fois de l’autre.
La Gamine. - Je t'ai cherché, Roberto, je t'ai cherché, je t'ai trahit, j'ai pleuré, pleuré, au point que je suis devenueune toute petite île au milieu de la mer et que les dernières vagues sont en train de me noyer. J'ai souffert, tellement, que ma souffrance pourrait remplir les gouffres de la terre et déborder des volcans. Je veux rester avec toi, Roberto; je veux surveiller chaque battement de ton coeur, chaque souffle de ta poitrine; l'oreille collée contre toi j'entendrai le bruit des rouages de ton corps, je surveillerai ton corps comme un mécanicien surveille sa machine. Je garderai tous tes secrets, je serai ta valise à secrets; je serai le sac où tu rangeras tes mystères. Je veillerai sur tes armes, je les protégerai de la rouille. Tu seras aussi mon agent et mon secret à moi, dans tes voyages, je serai ton bagage, ton porteur et ton amour.
MAAME QUEULEU. - Aziz, entre, dépêche-toi. Il y a beaucoup de travail aujourd'hui, car Mathilde, la soeur de Monsieur, revient d'Algérie avec ses enfants. Il faut tout préparer et seule, je n'y arriverais pas.
AZIZ. - J'arrive, Maame Queuleu. Mais j'avais cru entendre des pas et des bruits de voix : et, à cette heure-ci, dans cette rue, cela m'a paru étrange.
MAAME QUEULEU. - Les rues sont dangereuses. Entre vite. Je n'aime pas laisser cette porte ouverte.
AZIZ. - Cela s'annonce comme une sale journée.
Entre Mathilde.
MATHILDE. - Et pourquoi ce serait une sale journée?
AZIZ. - Parce que, si la soeur est aussi conne que le frère, cela promet.
MATHILDE. - La soeur n'est pas aussi conne que le frère.
AZIZ. - Et comment le sais-tu, toi?
MATHILDE. - Parce que la soeur, c'est moi.
Lorsque je t al vu, J al couru, couru, couru, mais personne n'a fait obstacle, je m'étais préparé, je m'étais mis de leur côté, je les avais écouté, cachant ma différence, et à présent ma fuite les surprend, je suis déjà au coin de la rue quand ils se réveillent, qu’ils me reconnaissent comme étranger, qu'ils mettent leur connerie à mes trousses, se préparant à me surprendre ailleurs, en bas, tout à l'heure, cependant moi, déjà je t'abordais, je disais : je t'ai aperçu tournant le coin de la rue, pardon, je suis à moitié ivre, je ne dois pas être à mon avantage, mais j'ai perdu ma chambre, je cherche une chambre pour cette nuit seulement, une partie de la nuit, car dans peu de temps je ne serai plus ivre, je demande cinq minutes...
Deux hommes qui se croisent n'ont pas d'autre choix que de se frapper, avec la violence de l'ennemi ou la douceur de la fraternité.