Il y a une connaissance qui est de l'ordre de l'indicible mais qu'il est peut-être possible d'exprimer par l'écrit.
C'est ainsi que ça a commencé, dans l'obscurité, sous la pluie, sur une route qui longeait la grève, dans une vieille remise à bateaux, il y avait les vagues qui ne cessaient de frapper et la peau qui ne cessait de se dilater. Son baiser était une marque sur ma peau, il a pénétré dans mon corps pour y rester.
.........comme la remise à bateaux, ce qui était si important, toute une vie en quelque sorte, ce n’est plus grand-chose maintenant, c’est toujours comme ça , à la fin il n’en reste plus rien, ça disparaît , tout change, et ce qui existait autrefois devient quelque chose d’entierement différent, ça devient tout petit, rien du tout, c’est comme ça on n’y peut rien, c’est comme ça. p.110
Et puis Beckett. Je suis un grand admirateur de son écriture. En fait, Quelqu’un va venir est un commentaire d’En attendant Godot... Des années plus tard, j’ai commencé à voir en lui un peintre pour le théâtre plutôt qu’un véritable auteur, comme par exemple Tchekhov. Le théâtre, il ne le laisse pas bouger, être dynamique... Mais ce que j’aime toujours, c’est l’âme de ses phrases.
La Mère : « C’est sombre et noir en ce moment. »
Le Père : « Oui très sombre,
Il ne fait presque plus jour du tout,
Un peu de demi-jour à midi sinon c’est sombre. »
(Le fils)
- Il faut qu’il vienne maintenant ! Il faut qu’il vienne !
L'AUTRE
Tout ce que tu es
silence assez bref
c'est un mur cimenté
qui se fissure
L'UN
Et qui s'effondre
silence assez bref
et tombe en morceaux
L'AUTRE
Tu es en morceaux
L'UN
Non je suis le fissurement
silence assez bref
non ce n'est pas ça non plus
L'AUTRE
Le craquement
L'UN
Oui en un sens
silence assez bref
peut-être
silence assez bref
peut-être que je suis le craquement
L'AUTRE
Tu es un craquement
L'UN
Oui
silence assez bref
ou
silence assez bref
ce ne sont que des mots
des choses qu'on dit

Une cour devant une vieille maison assez délabrée ; la peinture s 'écaille et plusieurs vitres sont cassées, mais la maison a néanmoins une certaine beauté rude et matérielle, isolée comme elle est sur la lande, entre les rochers, avec vue sur la mer. Un homme et une femme arrivent dans la cour, apparaissant devant le coin de la maison à droite. Il a la cinquantaine il est légèrement corpulent, avec des cheveux gris plutôt longs et un regard fuyant, et il bouge avec lenteur. Elle est ågée d'une trentaine d'années, elle est grande et bien charpentée, avec des cheveux mi-longs, de grands yeux et des gestes un peu enfantins. L'homme et la femme longent la maison, se tiennent par la main, ne cessent de regarder la maison.
ELLE
gaiement
Maintenant nous serons bientôt dans notre maison
LUI
Notre maison
ELLE
Une belle et vieille maison
Loin des autres maisons
et des autres gens
LUI
Toi et moi seuls
ELLE
Pas simplement seuls
mais seuls ensemble
Elle lève les yeux vers son visage
Notre maison
Dans cette maison nous serons ensemble
toi et moi
seuls ensemble
LUI
Et alors personne ne viendra
Ils s'arrêtent, regardent la maison
ELLE
Maintenant nous sommes arrivés près de notre maison
LUI
Et c'est une jolie maison
ELLE
Maintenant nous sommes arrivés près de notre maison
Près de notre maison
où nous serons ensemble
Toi et moi seuls
près de la maison
où toi et moi serons
seuls ensemble.
Loin des autres
La maison où nous serons ensemble
seuls
I'un près de l'autre
LUI
Notre maison
ELLE
La maison qui est à nous
LUI
La maison qui est à nous.
La maison où personne ne viendra.
Maintenant nous sommes arrivés près de notre maison.
La maison où nous serons ensemble
seuls I'un près de l'autre
Ils continuent de longer la maison
ELLE
un peu inquiète
Mais c'est un peu différent
ce n'est pas comme ça que
j'avais pensé
que ce serait
Soudain effrayée
pp. 13-14
Et elle demande si je bois, et je dis que je buvais, et pas qu'un peu, mais, oui, c'est une histoire longue et compliquée, je dis, mais, au bout d'un moment ça a été soit l'eau-de-vie soit l'art, oui, on pourrait même dire soit l'eau-de-vie soit la vie, et, oui, oui, j'ai réussi à me défaire de l'emprise que l'eau-de-vie avait sur moi, mais, ça n'a pas été facile, je dis, et bien sûr, Ales, ma femme, n'aimait pas me voir boire, et si ce n'avait pas été grâce à elle, non, je ne sais pas comment j'aurais fini, je dis
L’UN
Ce sont juste des choses qu’on dit
L’AUTRE
Oui
L’UN
Oui
silence assez bref
oui
silence assez bref
oui ça n’existe pas
silence assez bref
on essaie de dire comment une chose est
en disant autre chose
L’AUTRE
Parce qu’on ne sait pas dire
comment elle est vraiment
L’UN
oui
silence assez bref
oui bien sûr
Bref silence
L’AUTRE
Il n’en sort que des mots
L’UN
Des mot et des mots
Silence »