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Citations de Jon Fosse (56)


Jon Fosse
Il y a une connaissance qui est de l'ordre de l'indicible mais qu'il est peut-être possible d'exprimer par l'écrit.
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C'est ainsi que ça a commencé, dans l'obscurité, sous la pluie, sur une route qui longeait la grève, dans une vieille remise à bateaux, il y avait les vagues qui ne cessaient de frapper et la peau qui ne cessait de se dilater. Son baiser était une marque sur ma peau, il a pénétré dans mon corps pour y rester.
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.........comme la remise à bateaux, ce qui était si important, toute une vie en quelque sorte, ce n’est plus grand-chose maintenant, c’est toujours comme ça , à la fin il n’en reste plus rien, ça disparaît , tout change, et ce qui existait autrefois devient quelque chose d’entierement différent, ça devient tout petit, rien du tout, c’est comme ça on n’y peut rien, c’est comme ça. p.110
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...je me lève et je regarde le ciel et je vois les nuages se mouvoir dans leur blancheur sur le bleu du ciel et je regarde la mer dans son bleu plus profond et la mer est pleine de mouvements blancs et je me dis que Lars est comme la mer et comme le ciel, toujours changeant, de la lumière à l'obscurité, du blanc au noir le plus noir, c'est comme ça qu'il est, Lars, exactement comme la mer, me dis-je, alors que moi je suis plutôt comme la pierre ou comme les marais, pas vraiment inégale, mais marron et jaune, et moi aussi j'ai sans doute mes fleurs, me dis-je ...
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Asle et Alida arpentaient les rues de Bjorgvin, Asle portait à l'épaule deux ballots renfermant tout ce qu'ils possédaient et il tenait à la main l'étui contenant le violon qu'il avait hérité de son père Sigvald, et Alida était chargée de deux sacs de provisions, et cela faisait plusieurs heures qu'ils arpentaient les rues de Bjorgvin à la recherche d'une chambre, mais il n'y avait pas moyen de trouver une chambre à louer ; non, disaient les gens, on n'a pas de chambre à louer, non, disaient les gens, tout ce qu'on a est déjà loué, voilà ce que disaient les gens, et Asle et Alida se voyaient obligés de continuer à arpenter les rues, à frapper aux portes et à demander si on pouvait louer une chambre à louer, et où aller, où s'abriter du froid et de l'obscurité de cette fin d'automne, quelque part ils trouveraient bien une chambre à louer, et heureusement qu'il ne pleuvait pas, mais bientôt il se mettrait surement à pleuvoir et ils ne pourraient pas continuer à errer comme ça, et pourquoi les gens refusaient-ils de les héberger, était-ce parce qu'on voyait qu'Alida allait bientôt accoucher, ce n'était plus qu'une question de jours, ou parce qu'ils n'étaient pas mariés et ne formaient pas un couple légitime...
(Incipit)
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C'était un baiser prudent, elle dit
et il pose une main sur ses cheveux, mais il pose sa main sans lui toucher les cheveux, et ils s'enlacent, et ils s'étreignent, blottis l'un contre l'autre, et il pose la main sur les cheveux, et il se met à caresser ses longs cheveux foncés, de haut en bas, et elle pose sa tête sur son épaule, et je vois qu'ils restent comme ça, dans cette position, sans bouger, et ils ressemblent à une nouvelle image, à l'une de ces images que je n'oublierai jamais, à une image que je vais peindre, je vais les peindre et les dé-peindre, je vais les peindre et les dé-peindre dans cette position, je pense, car on a l'impression qu'une lumière sort d'eux quand ils sont dans cette position, enlacés, blottis l'un contre l'autre, comme s'ils ne formaient plus qu'un, dans cette position on a l'impression qu'ils ne forment plus qu'un, oui, blottis l'un contre l'autre pendant que la nuit tombe, pendant que l'obscurité tombe sur eux comme de la neige, l'obscurité tombe comme une chute de flocons mais une obscurité qui n'en demeure pas moins inentamée, non comme des pans d'obscurité mais comme une obscurité floconneuse, neigeuse, et plus cette obscurité s'épaissit plus la lumière jaillit, oui, une espèce de lumière sort d'eux, je le vois, et même si on ne voit pas la lumière on la voit quand même, car la lumière peut aussi sortir des gens, surtout de l’œil, et surtout par des étincelles, sous la forme d'une invisible lumière étincelante, mais d'eux sort une silencieuse lumière régulière, qui reste la même et ne change pas, comme si blottis l'un contre l'autre dans cette position ils étaient une seule et même lumière...
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Les vêtements noirs et blancs, et la robe noire et moulante de madame Winckelmann, la collerette de dentelle blanche, ses cheveux châtain foncé, parfois presque noirs comme les miens, et puis sa bouche qui s'ouvre en un sourire et son sourire est un grand trou, noir, humide, son sourire est un trou marécageux, un lourd marécage qui me retient le pied, qui m'empêche de le soulever, je suis là, avec un pied qui s'enfonce dans le marécage, au-dessus de moi volent les mouettes, et là-bas, au bout du marécage, il y a la baie et la mer toujours remontée, les vagues qui frappent la grève, les galets, le sable et les rochers noirs, et mon pied qui est pris dans l'eau froide du marécage, l'humidité qui remonte jusqu'en haut de mon pantalon, je tire sur ma jambe, je me penche en avant et je tire et ça fait un bruit de succion et mon pied est libre et je fais un pas en avant, j'allonge la jambe autant que je peux, mais mon autre pied aussi est pris dans le marécage, et je dois avancer autant que je peux, et puis mon pied s'enfonce un peu plus dans le marécage et je dois tirer sur mon autre jambe pour la sortir du marécage, la tirer vers moi, puis avancer jusqu'au tertre, là-bas il y a un tertre, puis sortir du marécage et parvenir jusqu'à la lisière de la forêt, jusqu'aux arbustes de genévrier, parvenir jusqu'à l'endroit où est la lumière, sortir mon pied du marécage, comme une bouche, une bouche ouverte, puis avancer, doucement et avec précaution, jusqu'à l'endroit où la lumière se répand sur l'eau, jaune et blanche en dessous, jusqu'à la lumière, jusque là-bas où la lumière est blanche, jaune, puis blanche en-dessous et puis, là-haut, jusqu'aux nuages, là-haut, dans les airs là-haut, jusqu'aux nuages, là-haut dans les airs, les bleu, les blancs, les évanescents nuages blancs et bleus, là-haut dans les nuages blancs et bleus, là-haut, là, avancer, se dégager, avancer, se dégager, avancer, sortir le pied de la vase, de la terre humide du marécage, et puis avancer, se tendre en avant, silencieux, silencieux comme une fenêtre ouverte, peinte en blanc...
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...là Ales m'attend, elle et notre enfant, et je dois rentrer chez moi, je dois rentrer les retrouver, retrouver ma femme, retrouver notre enfant, mais qu'est-ce que je suis en train de penser ? Je pense, car je vis seul, je vais rentrer dans ma vieille maison à Dylgja, là où je vivais autrefois avec Ales, elle qui est partie à présent, elle qui repose en Dieu à présent, comme je le sens très distinctement, au plus profond de moi, elle qui ne marche plus sur terre mais à qui je parle quand même quand je le désire, oui, aussi étrange que cela puisse paraitre, car la différence n'est pas si grande, oui, la différence entre la vie et la mort, bien que cette différence paraisse indépassable elle ne l'est pas, car c'est vrai, je lui parle tous les jours à Ales, oui, presque tout le temps, et nous nous parlons sans prononcer de mots, presque toujours, et bien sûr qu'elle me manque, mais comme nous sommes très proches l'un de l'autre, et comme il ne reste plus très longtemps avant que n'arrive l'heure où moi-même je devrai aller là où elle est, oui, dans ces conditions, je m'en sors bien dans la vie, même si c'est moche, oui, la perdre revenait à tout perdre dans cette vie, oui, sa perte a presque eu raison de moi, et nous n'avons jamais eu d'enfant ensemble, donc pourquoi suis-je en train de penser que je rentre retrouver ma femme et notre enfant ? c'est sans doute parce que je glisse dans un assoupissement quand je conduis, et c'est dans l'assoupissement que cette pensée peut surgir, mais bon, je le sais, je ne suis pas plus fou que je le laisse penser...
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(...) Asle regarde la toile blanche, et il pense que non, non ça ne peut plus continuer, il n'en peut plus, il pense, maintenant ça suffit, il pense, plus question de peindre avec des photos comme modèles, plus question de peindre des cabanes et des granges au soleil, avec des hampes et des drapeaux norvégiens qui flottent au vent, avec des bouleaux qui viennent d'éclore, avec un Fjord bleu tout calme et scintillant, plus question de peindre autre chose que ses images, les siennes à lui, parce que sa tête est pleine d'images, elle en est tellement pleine que c'en est un fléau, oui, car les images se fixent en permanence dans sa tête, non pas comme une action ou un agissement, mais comme une sorte de photographie, prise tel jour, ici et maintenant, si bien qu'il peut en quelque sorte faire défiler les images dans sa tête, les unes après les autres, comme s'il avait un album photo dans sa tête où les images les plus étranges se fixeraient, les bottes noires du Grand-Père sous la pluie, tel jour, ici et maintenant, ou le Père passant une main dans ses cheveux, tel jour, ici et maintenant, ou la lumière tombant de son ciel sur le Fjord, tel jour, ici et maintenant, et à présent une succession d'images de la Sœur morte vient de se fixer dans la tête d'Asle et défile comme une série de diapositives, l'une à la suite de l'autre, et il porte ses mains à ses yeux, il les presse contre ses yeux, mais les images ne disparaissent pas, elles redoublent d'intensité, et il retire ses mains de ses yeux, et dorénavant, il pense, dorénavant, au lieu de peindre des images avec des photos comme modèles, des images de maisons et de propriétés, il va peindre les images qu'il a dans la tête, et il ne va pas les peindre telles qu'il les voit dans sa tête, parce que c'est une souffrance, une douleur, liée à chaque image, il pense, même si c'est aussi une sorte de paix, oui, une paix aussi, oui, il va dé-peindre toutes les images qu'il a emmagasinées dans sa tête, pour autant que ce soit possible, afin qu'il ne reste que la paix...
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Düsseldorf, après-midi de fin d'automne, 1853 :
je suis allongé sur mon lit, vêtu de mon costume de velours mauve, de mon joli costume, et je ne veux pas rencontrer Hans Gude. Je ne veux pas entendre Hans Gude dire qu'il n'aime pas le tableau que je peins. Je veux rester allongé sur mon lit. Aujourd'hui je n'ai pas le courage de rencontrer Hans Gude. Car imaginons que Hans Gude n'aime pas le tableau que je peins, qu'il le trouve atrocement mauvais, qu'il trouve que je ne sais pas peindre, imaginons que Hans Gude se caresse la barbe de sa main osseuse et qu'il me regarde en plissant les yeux et qu'il me dise que je ne sais pas peindre, que je n'ai rien à faire à l’École des Beaux-Arts de Düsseldorf, ni d'ailleurs à quelque école des Beaux-Arts que ce soit, imaginons que Hans Gude me dise que je ne pourrai jamais devenir peintre. Je ne dois pas permettre à Hans Gude de me dire cela. Je dois rester allongé sur mon lit, car aujourd'hui Hans Gude va venir à l'atelier, dans ce grenier où nous sommes tous alignés en train de peindre, et il va dire ce qu'il pense de chaque tableau, et il va aussi regarder mon tableau à moi et en dire quelque chose. Je ne veux pas rencontrer Hans Gude.
(Incipit)
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Je suis assis, mon verre de bière à la main, et il y a beaucoup de visages autour de moi, de tous les côtés, au-dessus de mon épaule, autour de mes bras, partout il y a des visages et les visages me regardent et je suis assis, mon verre de bière à la main, et je lève le verre jusqu’à ma bouche et je bois, je prends une bonne gorgée, je regarde droit devant moi et les visages sont des yeux qui me regardent et ils ne cessent de me regarder et je bois et les vêtements sont là, des vêtements noirs et blancs, les visages se retournent, lentement, les visages se retournent et je suis entouré de vêtements noirs et blancs et les vêtements se retournent, je ne vois que les vêtements noirs et blancs qui bougent tout près de moi, puis qui s’éloignent un peu, les vêtements noirs et blancs bougent sans cesse, ils s’approchent, ils s’éloignent, les vêtements ne cessent de bouger et ils s’approchent de mon visage et maintenant ils bougent si près de mes yeux que je ne vois que du noir et puis je vois le mouvement d’un vêtement noir et blanc, maintenant je ne vois rien, tout n’est que noir et il va bien falloir que je fasse quelque chose, mais que faire ? car il va bien falloir faire quelque chose, mais que faire ? il faudra bien faire quelque chose ? et je ne peux pas rester là et ne rien faire ? car les vêtements vont me recouvrir les yeux, les vêtements vont m’emplir la bouche, des vêtements noirs et blancs vont entrer dans ma bouche et les vêtements vont emplir ma bouche, les vêtements vont rester dans ma bouche et je vais disparaître et me transformer en un vêtement noir et blanc qui bouge dans l’air et qui disparaît, je disparais, je me transforme en quelque chose qui n’est plus là, voilà ce qui va se passer, et je dois poser mon verre de bière, même si tout est noir et que je ne vois rien, car maintenant je ne vois plus rien et j’entends toutes ces voix et puis, parmi toutes ces voix, il y a sa voix à elle, la voix d’Hélène, […]

pp. 89-90
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Et je me vois debout face à l'image avec ses deux traits, un marron et un violet, qui se croisent dans le milieu, et je pense qu'il fait tellement froid dans la Grande Pièce, et il est trop tôt pour se lever quelle que soit l'heure qu'il est, alors pourquoi je me suis levé ? je pense, et j'éteins la lumière dans la Grande Pièce, et je retourne dans la chambre, et j'éteins la lumière dans la chambre, et je me rallonge dans le lit, je me pelotonne dans la couette, et Brage se couche contre moi, et je pense que j'ai un peu dormi cette nuit, quoique pas beaucoup, et on est aujourd'hui mercredi, et ce doit être tôt le matin, à moins que ce soit toujours la nuit ? je pense, et il faisait tellement froid dans la Grande Pièce que je ne voulais pas me lever, je pense, et je caresse le dos de Brage, et je plonge mes yeux dans l'obscurité, et je vois Asle assis sur la balançoire dans la cour chez lui, et il ne se balance pas, il reste assis sans bouger, ...
(Incipit)
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(...) voilà qu'un petit garçon, le petit Johannes, va voir le jour, car dans l'obscurité et la chaleur du ventre de Maria il a grandi et pris des forces, de presque rien il est devenu un petit être humain, un beau petit gaillard, oui dans le ventre de Maria des doigts lui ont poussé aux mains et aux pieds, il a déjà un visage, des yeux et un cerveau, peut-être même qu'il a quelques cheveux, et maintenant, alors que Marta crie et souffre, il va arriver dans le froid de ce monde où il sera seul, séparé de Marta, séparé des autres, seul il sera, toujours seul et puis, quand tout sera fini, quand son heure sera venue, il se dissoudra et retournera au néant, il retournera d'où il est venu, du néant au néant, ainsi va la vie, pour les hommes, les animaux, les oiseaux, les poissons, les maisons, les ustensiles de cuisine, pour tout ce qui existe oui, se dit Olai, et pourtant il y a autre chose, se dit-il, car on a beau se l'imaginer ainsi, du néant au néant, ce n'est quand même pas tout, il y a aussi autre chose, mais c'est quoi cette autre chose ? le ciel bleu, les arbres qui se couvrent de feuilles ? le verbe qui était au commencement, comme il est dit dans les Écritures, et qui nous aide à comprendre ce qui est profond, ce qui est amusant, c'est quoi cette autre chose ? allez savoir, qui peut le savoir ?
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Oline monte la côte depuis la mer, appuyée sur sa canne elle monte pas à pas, et elle a si mal aux pieds qu'elle arrive à peine à marcher, mais elle avance, pas à pas elle avance, Oline, sa canne dans une main et dans l'autre le poisson accroché à un anneau, et oh que ça fait mal, se dit Oline, et oh qu'elle est raide cette côte qui monte depuis la mer jusqu'à sa maison, et tous les jours elle souffre dans cette côte, entre les deux rangées de maisons qui se serrent les unes contre les autres, dans cette côte raide qui monte depuis la mer, et c'est tout en haut qu'elle habite.
(Incipit).
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Le surveillant Hauge m'a dit que tu te touches entre les jambes, dit le docteur Sandberg.
Et il ne faut pas que je regarde le docteur Sandberg, et maintenant le docteur Sandberg a dit que je me touchais entre les jambes et alors il dira aussi que c'est pour cela que je suis devenu fou, et puisque je continue à me toucher entre les jambes, comme il dit, je ne guérirai jamais, dira-t-il.
C'est exact ? dit le docteur Sandberg.
Il faut que je baisse les yeux, il ne faut pas que je parle.
Ce n'est pas de ma faute, dis-je.
Mais c'est exact ?
Il ne faut pas que je réponde, et ma chère Hélène doit venir et elle doit poser sa main sur mon front et elle doit dire au docteur Standberg que je n'ai rien fait de mal, que ce n'est pas vrai.
C'est donc exact, dit le docteur Sandberg. Vraiment tu me déçois, dit-il.
Et je regarde l'énorme bureau marron du docteur Sandberg. Et je n'ai rien fait de mal, ce sont les sales bonnes femmes qui ont fait quelque chose de mal en se promenant avec leurs gros nichons, c'est de leur faute. Moi, je n'ai rien fait de mal. Je regarde les nuages, je peins des tableaux. Je vois la lumière. Je saurais tout peindre, si seulement j'avais des couleurs de bonne qualité. Je vois tout. Je sais peindre, mais les autres peintres, ils ne savent pas peindre. Ce n'est pas de ma faute. Je vais les tuer, les peintres et les bonnes femmes.Je vois la lumière, partout. Je sais peindre.
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ÅSANE, SOIR, FIN D’AUTOMNE 1991 : lui, Vidme, marche dans la pluie, le vent et l’obscurité, il est écrivain, il a environ trente-cinq ans et il marche maintenant sur un trottoir, vêtu de son vieux pardessus, et il pense qu’on doit avoir du mal à le distinguer de la pluie et de l’obscurité, vêtu comme il est de son pardessus gris et abrité sous un parapluie noir. […] Vidme poursuit son chemin et il pense qu’il doit d’abord dire son nom, puis expliquer pourquoi il est venu. Ainsi le plus dur sera fait. Car lui, Vidme, un homme de trente-cinq ans environ dont les cheveux grisonnent déjà, pense qu’il a découvert une chose importante sur laquelle il doit régler sa vie, il s’est mis dans la tête que le fait d’écrire lui a fait toucher à quelque chose d’essentiel, quelque chose qu’il doit prendre en compte s’il veut continuer à vivre, et c’est pourquoi Vidme marche dans la pluie et le vent, […] Vidme pense que son travail d’écrivain lui a permis de pénétrer plus avant dans quelque chose que, dans de brefs instants, des instants privilégiés de clairvoyance, il serait tenté de qualifier d’éclairs du divin, […]

pp. 253-254
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ASILE DE GAUSTAD, MATIN DE LA VEILLE DE NOËL, 1856 : […] On ne me permet plus de peindre. Je suis peintre mais on ne me permet plus de peindre. Le docteur Sandberg a dit que je ne devais pas peindre, tant que je serai en traitement à l’asile de Gaustad je ne dois pas peindre, a-t-il dit, et moi j’ai dit que c’est peut-être à force de peindre que je suis devenu fou, voilà ce que j’ai dit au docteur Sandberg, peut-être ai-je trop regardé les paysages au soleil, ai-je dit au docteur Sandberg, et il a dit que je ne devais pas peindre tant que je serai à l’asile de Gaustad, pendant tout ce temps la peinture me sera interdite et quand j’ai été admis j’ai dû leur donner mes affaires de peintre, et je ne les récupérerai que le jour où je pourrai partir. Je suis maintenant un peintre à qui on ne permet pas de peindre. Et alors il ne me reste qu’à écouter les mouettes. […] Et je ne dois dire à personne que je regarde et que j’écoute les mouettes, car alors on me l’interdira aussi, sans doute. Tu ne dois ni regarder ni écouter les mouettes, dira le docteur Sandberg. Et quand le docteur Sandberg dit quelque chose, il faut obéir. Moi et tous les autres qui sont à l’asile de Gaustad, nous devons faire ce que dit le docteur Sandberg. Je ne dois pas peindre. J’écoute les mouettes. Et je déblaie la neige. Je dois guérir, à force de ne pas peindre et de déblayer la neige. À force de déblayer la neige, je guérirai sûrement.

pp. 188-189
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LA JEUNE FEMME
(...)
Non je ne peux pas partir maintenant
Je ne peux pas
Il
(bref silence)
a toujours été gentil avec moi
Il ne savait pas quoi inventer pour être gentil
Et puis il ne sait pas se débrouiller
n'ose pas sortir
il peut passer des journées entières sans oser sortir
même à la boutique du coin
il n'ose pas aller
Et puis il y a ce qu'il écrit
Ça ne va pas du tout
ce qu'il écrit
Je suis sûre que ça ne va pas du tout
C'est la seule chose dont il se sente capable
rester à la maison et écrire
Mais bien sûr personne ne veut publier
ce qu'il écrit
Il n'est pas assez doué
Il n'est pas doué du tout
Il était nul à l'école
Il avait zéro dans plein de matières au lycée
On était ensemble au lycée
Oui tu le sais
Je te l'ai
déjà dit
Je le connais depuis le lycée
On s'aime depuis le lycée
(elle regarde Baste)
et on s'est aimés
jusqu'à maintenant
ou presque

(extrait d'Et la nuit chante)
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DÜSSELDORF, APRÈS-MIDI DE FIN D’AUTOMNE, 1853 : je suis allongé sur mon lit, vêtu de mon costume de velours mauve, de mon joli costume, et je ne veux pas rencontrer Hans Gude. Je ne veux pas entendre Hans Gude dire qu’il n’aime pas le tableau que je peins. Je veux rester allongé sur mon lit. Aujourd’hui je n’ai pas le courage de rencontrer Hans Gude. Car imaginons que Hans Gude n’aime pas le tableau que je peins, qu’il le trouve atrocement mauvais, qu’il trouve que je ne sais pas peindre, imaginons que Han Gude se caresse la barbe de sa main osseuse et qu’il me regarde en plissant les yeux et qu’il me dise que je ne sais pas peindre, que je n’ai rien à faire à l’École des Beaux-Arts de Düsseldorf, ni d’ailleurs à quelque école des Beaux-Arts que ce soit, imaginons que Hans Gude me dise que je ne pourrai jamais devenir peintre. Je ne dois pas permettre à Hans Gude de me dire cela. Je dois rester allongé sur mon lit, car aujourd’hui Hans Gude va venir à l’atelier, dans ce grenier où nous sommes tous alignés en train de peindre, et il va dire ce qu’il pense de chaque tableau, et il va aussi regarder mon tableau à moi et en dire quelque chose. Je ne veux pas rencontrer Han Gude. Car je sais peindre. Et Gude sait peindre. Et Tidemann sait peindre. Moi aussi, je sais peindre. Personne ne sait peindre comme moi, personne en dehors de Gude.

p. 7, incipit.
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Et je me vois debout face à l'image avec ses deux traits, un marron et un violet, qui se croisent dans le milieu, une image oblongue, je me vois la regarder, et je vois que j'ai peint les traits avec une grande lenteur, avec une épaisseur dans la peinture, qui a coulé, la couleur se mélange à l'endroit où se croisent la petite ligne violette et la marron, avant de couler vers le bas et je pense que ce n'est pas un tableau, mais en même temps l'image est telle qu'elle doit être, elle est terminée, il n'y a rien à ajouter, je pense, et je dois m'en débarrasser, je ne veux plus l'avoir sur le chevalet, je ne veux plus la voir, je pense, et je pense qu'on est aujourd'hui lundi, que je dois la remiser avec les autres tableaux sur lesquels je travaille en ce moment mais que je n'ai pas encore terminés, ceux que j'ai posés entre la porte de la chambre et la porte du couloir, inclinés châssis apparent, sous le crochet du portemanteau auquel est suspendue ma sacoche en cuir marron, dans laquelle se trouvent mon carnet de croquis et mon crayon de bois...
(Incipit)
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