Citations de Jonas T. Bengtsson (37)
…il parle de bombes. À quel point c’est facile d’en fabriquer une à partir de ce qu’on trouve sous n’importe quel évier. Il dit qu’une bombe ne vaut que ce qu’elle atteint. Une bombe est une phrase qui n’atteint son point final que dans les journaux le lendemain.
(10/18, p. 363)
Suz déteste des tas de gens. Et des tas de choses. Non, en fait, détester, ce n’est pas le bon mot. Suz méprise. Elle méprise tant de chose que ça l’épuise presque. Et Suz habite dans un quartier où ce n’est pas difficile de mépriser.
L’homme peut s’habituer à presque tout, reprend mon père. Mais ce n’est pas la même chose que le devoir. Il y a des choses auxquelles on ne devrait jamais s’habituer…
(10/18, p. 419)
Suz a essayé de rendre son père humain. Une personne qu’on peut piquer, découper, qui saignera et mourra comme n’importe qui. Mais le père de Suz n’est pas humain.
J'ai deux frères. Un qui a un nom que je n'utilise plus. Et un qui n'en a jamais eu.
S'il y a une forme qui revient dans les contes, peut-être une vérité du conte, ce serait que le monde est un lieu brutal. Mais que notre seule voie est d'aller de l'avant. On ne peut pas s'arrêter dans la forêt. Dans un conte, on ne peut pas s'asseoir et pleurer, on est obligé d'aller de l'avant. Et ça, je trouve que c'est quelque chose de très beau.
Je ne suis ni le premier, ni le dernier junkie qui se fait une overdose cette semaine. Je n'en vaux pas la peine. Car c'est terminé. C'est sûrement mon dernier instant de lucidité, et je sais que c'est fini. Ils vont prendre Martin. Martin va s'en aller, ne plus m'appartenir.
Je ne lui ai jamais parlé des institutions.
De ma mère, qui nous a réunis, mais qui a disparu.
De mes frères, de celui qui a un nom que je n'emploie presque jamais, et de celui qui n'en a jamais eu.
Vous avez envisagé une prothèse ? Vous avez des souhaits ? Il en a posé plusieurs devant moi. Certaines en plastique dur, d'autres en caoutchouc, aux doigts pliables, pour pouvoir les refermer autour d'une tasse de café, d'une fourchette. Je lui ai répondu : il n'y en a pas une avec un poing ? Un pointg fermé. J'ai été le seul à rigoler.
La plus grande humiliation, ce n'est pas de vendre du cul. C'est de ne pas avoir le droit d'en acheter.
Ivan dit : Je me rappelle quelque chose que j'ai vu à la télé, un jour. Les jeux olympiques. Un lanceur de poids. Je n'étais pas bien vieux.
Il le dit comme ça, sans véritable début ni occasion particulière. Il a oublié que, quand on veut parler, il faut avoir une excuse, il faut le faire passer pour autre chose. Détourner la conversation sur soi, lentement, tourner autour du pot et finir par parler de soi. Ne jamais commencer carrément, il n'y a que les malades mentaux qui n'enveloppent pas les choses.
J'ai envie de lui crier dessus, parce qu'il a l'air débile, parce qu'on ne devrait pas avoir le droit d'être aussi barjo, parce qu'on achève un cheval de course lorsqu'il s'est cassé une patte.
Je vide la seringue dans mon bras. Un court instant, j'ai l'impression que je vais faire une OD. Que l'heure est venue. Je sens des gouttes de sueur sur mon front, j'ai l'impression d'avoir quelqu'un debout sur la poitrine. Elle est pure, me dis-je. Elle est très pure.
Quand on marche à l'héroïne, on n'a pas le temps de penser à ce qu'on a entre les jambes. On pense : où vais je trouver l'argent ? Combien je peux m'en payer ? Quand pourrais je me faire le prochain shoot ?
Le corps n'a pas beaucoup de valeur, c'est une boîte, un clapier.
Ma mère demande à Martin comment ça va. […] Elle me donne deux cents couronnes, me les presse dans la main. Me fait un sourire. Comme: Ce n’est rien; je n’ai pas besoin de remercier. Elle n’a pas tort. Avec ça, je ne peux ni vivre ni me shooter. J’envisage de lui demander de me prêter un peu d’argent, mais je sais qu’elle répondra non. Il faut que j’attende. Elle ne meurt pas assez vite. Vieille commère desséchée. Elle peut vivre sans le moindre gramme de poumons. Vivre d’humidité, de tabac et de gâteaux secs. Elle manque de tousser encore une fois, lève une main devant sa bouche. Martin se cache derrière mes jambes, il a peur qu’elle émette de nouveau ces sons affreux. Puis ça passe. Elle l’appelle, il sort prudemment de sa cachette. Elle lui donne trente couronnes. Une pièce de dix et une de vingt. Il pourra s’acheter des bonbons.
Nous replions les fauteuils et redescendons vers la salle de sport. […] Je salue quelques personnes qui sont arrivées pendant que nous étions sur le toit. Ou ce sont elles qui me saluent. C’est comme ça, depuis que je suis sorti de prison. Si je veux utiliser un jeu de poids particulier, on me le laisse. S’il ne reste qu’un vestiaire libre, il est pour moi. Oublie, Nick, je n’en ai pas besoin. Des mecs avec qui je n’ai jamais discuté me paient un Coca. Parce que je suis l’ami de Kamal. Parce que j’ai fait un séjour à l’ombre. Depuis ma sortie de prison, les gens ne me regardent plus comme avant. Comme si j’avais traversé une épreuve. Ceux qui en ont fait l’expérience me considèrent comme un membre de leur famille. Les grands garçons me regardent avec une certaine admiration. J’ai mon diplôme, ma condamnation pour voies de fait. Mon temps derrière les barreaux. Dans l’escalier, quelques autres personnes me saluent. D’un mot ou d’un hochement de tête. J’aimerais leur dire: C’était facile. Ce n’était rien. J’ai été emprisonné pour violences aggravées. Un crime très honnête qu’on respecte.
Je bois de la bière tiède, assis sur le rebord de la fenêtre. Puis il arrive, le clou de la soirée. En poussant son landau. Ridicule. En pantalon moulant à motif léopard et veste en fausse fourrure blanche. […] Et celui là, vieux, cinglé et clownesque a des possibilités pour le moins limitées. C’est un SDF relogé, il a eu la chance de se voir proposer un domicile, au moment où la commune avait quelque chose à offrir. Il ramasse des chiffons. Il lui arrive de disparaître pendant vingt minutes, parfois plusieurs heures, en fonction de l’endroit où il doit aller pour trouver ce qu’il cherche. Je l’ai vu avec des cages à oiseaux fracassées. Des nains de jardin décapités. Des parasols, des parapluies, des chaussures, de vieux journaux, des animaux empaillés dont le rembourrage leur sortait par le ventre. J’ai envie de lui crier dessus parce qu’il a l’air débile, parce qu’on ne devrait pas avoir le droit d’être aussi barjo, parce qu’on achève un cheval de course quand il s’est cassé une patte. Mais l’autre clown est occupé à tirer une vieille cuvette de toilettes foutue sur son landau. La faïence blanche est toute cassée, il y a encore du ciment sur le rebord. Il n’y a plus de couvercle, et l’eau de la cuve coule le long du landau. Il entre.
Suz méprise, mais elle espère qu elle pourra un jour haïr.
On peut transformer la haine en fureur et la fureur est le meilleur remède à la peur, elle n en doute pratiquement pas.
Il gémit, et elle est contente que sa chatte l’ait fait gémir. Que ça puisse servir à autre chose qu’à pisser.