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Citations de Joseph Pérez (29)


Ce n'est pas un hasard si la corrida se développe plus particulièrement à ces trois moments privilégiés: la fin du XVIIIè siècle, la fin du XIXè et le régime de Franco. Il s'agit à chaque fois de périodes de crise où l'Espagne s'interroge sur la voie à suivre: refus des réformes imposées d'en haut par l'élite éclairée, difficile installation d'une monarchie constitutionnelle qui coïncide, en 1898, avec la perte des dernières colonies, et enfin victoire d'un régime pour lequel les Lumières, les libertés publiques et la démocratie sont incompatibles avec l'essence de l'Espagne. Chaque fois, la modernisation est présentée comme contraire à la tradition; pour la rejeter, on en appelle au peuple contre lés élites qui prétendent lui imposer des institutions ou des coutumes inspirées par l'étranger, contraires, par conséquent, au génie de la nation. Chaque fois aussi, la corrida est proposée comme conforme à la tradition -typical spanish, dira t-on, vers 1960- et, en même temps qu'elle, des formes de divertissement jugées "populaires".
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Chateaubriand a mis l'Alhambra à la mode, mais, depuis le XVIè siècle au moins, les Espagnols étaient fascinés par la Grenade des derniers émirs. Ce n'est pas Mérimée qui a créé l'Espagne de Carmen; il s'est contenté d'en tirer une nouvelle que Georges Bizet a mis en musique, mais cette Espagne -là -celle des majos, des Gitans, des toréadors- était née dans la seconde moitié du XVIIIè siècle. Ce sont encore des Espagnols qui ont imaginé une Espagne musulmane tolérante et ouverte. Hispanistes et voyageurs étrangers ont développé ces thèmes; il les ont parfois poussés jusqu'à la caricature, mais ils ne les ont pas inventés. Du XVI siècle à nos jours, a ainsi pris forme une Espagne méridionale plus orientale qu'européenne: l'Andalousie telle que nous croyons la connaître aujourd'hui.
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L'exemple le plus caricatural de cette Espagne antichambre de l'Orient est offert au public français lors de l'Exposition universelle de Paris, en 1900. Les Espagnols ne voulaient pas entendre parler d'un pavillon qui aurait présenté les pires clichés sur l'Andalousie; ils redoutaient à juste titre une "espagnolade". Mais les Français y tenaient. Devant le refus des Espagnols, ils créèrent une société par actions, qui se chargea de financer un pavillon intitulé "L'Andalousie au temps des Maures". Les décors en étaient Grenade, Cordoue et Séville. On avait reconstitué l'Alcázar, la Giralda -où l'on pouvait monter à dos d'âne-, l'Alhambra. Bien entendu, on voyait défiler des toreros, des brigands, des Gitanes qui chantaient du flamenco et qui dansaient des zambras. Le comble du ridicule, c'était l'affiche sur laquelle figurait un charmeur de serpents! Les organisateurs avaient confondu Séville et Marrakech...
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La victoire de Grenade a eu un retentissement extraordinaire dans toute la chrétienté; on y a vu la revanche sur la prise de Constantinople par les Turcs en 1453. Partout on célèbre l'évènement. A Paris, on imprime le récit d'un témoin oculaire; on chante le Te Deum de même qu'à Londres. C'est en Italie que les festivités sont les plus nombreuses et les plus fastueuses; A Naples, au palais de Castel Capuano, Sannazaro fait jouer deux pièces, La Prise de Grenade et Le Triomphe de la renommée. A Rome, où l'on apprend la nouvelle le 2 février, les cloches sonnent dans toutes les églises; on organise des feux d'artifice; on se rend en procession de Saint-Pierre à Saint-Jacques-des-Espagnols; le pape Innocent VIII célèbre une messe solennelle et donne sa bénédiction aux fidèles. Les réjouissances se poursuivent jusqu'à la fin du mois d'avril: tournois, joutes, récitations publiques, concerts, distributions de repas et de boissons; sur la place Navona, on construit une tour de bois et l'on simule le siège de Grenade; des défilés représentent les rois Catholiques dans un carrosse avec Boabdil à leurs pieds; l'Espagnol Rodrigue Borgia -qui, six mois plus tard, sera élu pape sous le nom d'Alexandre VI-offre une course de taureaux.
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La littérature dite aljamiada du XIVè siècle est le fait de mudéjares ou de juifs qui écrivent en langue romane (romance), mais utilisent l’écriture arabe ou hébraïque. on connait ainsi, en hébreu, des manuscrits des Proverbes moraux de don Sem Tob (1290?-1360), rabbin de Carrión, et les Strophes de Yoçef -en arabe, le poème de Yùçuf; autrement dit, l’histoire de Joseph vendu par ses frères. C’est à propos de Juan Ruiz, l’archiprêtre de Hita, auteur du Livre du bon amour (XIVè siècle), que la polémique sur le mudéjarismo s’est concentrée. Juan Ruiz était-il aussi imprégné de culture musulmane qu’on l’a dit? Il a pu connaître par des traductions beaucoup de contes orientaux qu’il inclut dans son poème sous forme d’apologues: ce que pourrait être notamment le cas pour Calila et Dimna . L’influence du Collier de la Colombe sur le même Juan Ruiz serait aussi problématique. Il s’agit de l’oeuvre d’un poète cordouan, Ibn Hazm (994-1064), en partie autobiographique, qui constitue en vingt-neuf chapitres une sorte de traité sur l’amour et les amants. Plus sérieuse parait la thèse soutenue par Asin en 1919, sur les sources arabes de la Divine Comédie de Dante. Le lien serait un livre, L’Echelle de Mahomet, dont on connait trois versions: une en français, les deux autres en latin, toutes trois faites à partir d’une traduction en castillan de l’original arabe que le roi Alphonse X avait commandée à son médecin juif Abraham Alfaquin (al-Hakim).
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On présente volontiers l’Espagne musulmane comme un pays où les trois religions monothéistes -l’Islam, le christianisme et le judaïsme- auraient vécu en bonne intelligence. Il est vrai qu’en terre d’Islam, le pacte dit de la dihmma prévoit des dispositions particulières pour les « gens du Livre »: juifs et chrétiens bénéficient d’un statut: ils sont « protégés »; on ne les force pas à se convertir. Cela ne veut pas dire qu’ils sont placés sur un pied d’égalité avec les musulmans. ils sont soumis à des discriminations fiscales, civiles et juridiques: on les oblige à porter des signes distinctifs -habits, bonnets grotesques, ceintures, marques d’identité en tissu jaune; ils doivent habiter dans des quartiers clos, n’utilisent comme montures que des ânes, avoir des maisons plus basses que celles des musulmans, s’écarter devant eux dans la rue; devant les tribunaux, leur témoignage est nul et non avenu… Malgré ces restrictions, leur statut les mettait théoriquement à l’abri de la persécution. C’est ce qui explique qu’ils aient pu conserver la liberté de pratiquer leur culte et une relative autonomie juridique. Juifs et chrétiens s’administrent eux-mêmes dans leurs communautés respectives.
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La cohabitation des musulmans, des chrétiens et des juifs dans l’Espagne médiévale n’a entraîné aucun effort chez les uns pour comprendre les autres. Presque personne, par exemple, ne semble s’être soucié de faire traduire le Coran. Quand on s’intéresse à ce genre de textes, c’est dans un esprit polémique et pour démontrer la vérité et la supériorité de sa foi. C’est pour cette raison que le chroniqueur Juan Manuel félicite le roi Alphonse X : « Il a fait traduire dans la langue parlée en Castille toutes les sciences […] et des écrits de la secte des Maures de façon à mettre en évidence les erreurs que Mahomet, ce faux prophète, y a introduites. Le roi a fait la même chose pour une science que les juifs tiennent secrète, la Cabale ; d’après leurs propres écrits, il est manifeste que leur religion annonce celle que nous suivons, nous, chrétiens. »
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Au milieu du Xe siècle, l’arabe était devenu la langue majoritaire grâce à l’influence politique du groupe dominant et à la supériorité de sa culture. Américo Castro en tire argument pour rejeter la thèse de l’hispanisation des conquérants africains. Il a raison. La langue qu’on parle et qu’on écrit n’est pas neutre ; elle exprime une mentalité, des façons de penser et de sentir, un état de civilisation. En adoptant l’arabe, la majorité de la péninsule s’est trouvée intégrée au monde musulman, même si elle a conservé, dans cet ensemble, une spécificité qu’elle partage d’ailleurs avec la partie de l’Afrique située de l’autre côté du détroit. L’islam s’est ainsi implanté, au VIIIe siècle, on l’oublie trop souvent, dans une portion du monde antique, romanisée, puis christianisée.
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Les Arabes n’ont jamais envahi l’Espagne. Il ne faisait que reprendre une controverse qui divise depuis longtemps les historiens. Parmi les envahisseurs de 711, les Arabes proprement dits étaient une infime minorité : neuf seulement, selon les uns, une vingtaine selon d’autres ; la majorité était formée de Berbères à peine islamisés. Au milieu du VIIIe siècle, les Omeyyades, chassés de Syrie par les Abbassides, se réfugient en Espagne. Les Abbassides s’appuyaient sur les Persans ; eux se disent du côté des Arabes. À vrai dire, dans cette deuxième vague – moins de cent mille combattants –, il est difficile de distinguer les composantes ethniques. Le nombre des Arabes n’a pas dû dépasser trente mille – hypothèse basse – ou cinquante mille – hypothèse haute. Sans risque d’erreur, on peut donc affirmer que les Berbères étaient plus nombreux que les Arabes.
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Ne donnez votre confiance à personne. En public, ils vous feront tous mille démonstrations ; en secret, ils feront le contraire.
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Nul empereur depuis Charlemagne n'eut autant d'éclat que Charles Quint.
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Au fond, les écrivains romantiques pensent la même chose. Pour eux, l’Espagne est à la fois le vestibule de l’Orient et un pays où les traditions médiévales se sont maintenues dans tout leur pittoresque ; elle n’est pas vraiment un pays européen. Ils mettent en valeur l’individualisme et l’orgueil d’une nation fière de son passé, la violence de l’instinct, le sens de l’honneur, le goût de la liberté et de l’indépendance, sans oublier la présence des moines, des mendiants, des bandits de grand chemin. Cette Espagne romantique est plus africaine qu’européenne ; on va y chercher le dépaysement et des émotions fortes. Rien de plus instructif à cet égard que les récits des voyageurs français en Espagne, y compris les plus grands : Custine, Théophile Gautier, Alexandre Dumas. Ils passent rapidement sur la Vieille Castille, misérable, mais encore familière à cause de ses monuments qui rappellent l’art roman ou les cathédrales gothiques.
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Les conquérants arabes n’ont pas conservé le terme d’Hispania qui, pour eux, n’avait aucune signification ; ils l’ont traduit par al-Andalus, mot qui apparaît dans un texte bilingue de 716 comme traduction du latin Spania. Au Moyen Âge, les chroniques latines continuent à employer Hispania pour désigner la péninsule Ibérique dans son ensemble ; les textes arabes, en revanche, utilisent al-Andalus pour parler de l’Espagne musulmane, quelle que soit son extension géographique. L’expression ne s’applique donc pas seulement à ce que nous appelons aujourd’hui l’Andalousie.
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Ces chrétiens qui vivent en terre d’islam, on les appelle des mozarabes. Le mot et le concept sont tardifs ; ils désignent l’islam, ce qui a été le cas d’un certain nombre d’entre eux dans une proportion qu’il est difficile de chiffrer. Comme on le verra plus loin, c’est après la mort de Franco, en 1975, que la pseudo-tolérance d’al-Andalus deviendra à la mode, mais historiens et arabisants n’y seront pour rien ; ce sont les politiciens et les journalistes qui exploiteront ce thème.
Ce qui est vrai des juifs l’est aussi des chrétiens. La population ne s’est convertie à l’islam, d’une manière spontanée d’ailleurs, que lentement. Il semble qu’au début les chrétiens représentaient les trois quarts de la population d’al-Andalus ; ce rapport ne se serait inversé qu’au Xe siècle.
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Leurs adversaires non plus; ils sont toujours favorables à un partage des responsabilités entre le pouvoir royal et la noblesse qui donnerait à celle-ci un droit de regard - pour ne pas dire plus - sur les affaires politiques.
Page 101
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Sur le plan diplomatique aussi, la cause des princes marque des points. Pour faire contrepoids à l'alliance française, acquise à Henri IV, ils se rapprochent de la Bourgogne et signent un traité avec Charles le Téméraire (novembre 1471). Mais c'est surtout de Rome que viennent les bonnes nouvelles.
Page 89
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C'est pourtant ce qui va se passer. Toujours aussi soucieux d'éviter l'épreuve de force, Henri IV se porte à ce qui lui paraît un compromis honorable et qui est en fait une nouvelle humiliation. C'est le sens de ce qu'on a appelé le page des Toros de Guisando, petite bourgade dans les environs d'Avila où, le 18 septembre 1468, un accord est conclu entre Henri IV et ses adversaires.
page 76
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Le cas revient fréquemment dans le Poème du Cid, la première épopée de la littérature espagnole, mais une épopée dans laquelle le romanesque et le merveilleux tiennent peu de place; ce sont des préoccupations très réalistes et terre-à-terre qui inspirent le poète quand il raconte comment les vainqueurs se partagent le butin après la victoire: lors que Foron de pie cavalleros se fazen; la piétaille, les fantassins, deviennent chevaliers, étonnante promotion qui permet de comprendre le prestige que l'institution militaire conservera longtemps dans l'Espagne médiévale et au-delà.
Page 37
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Quand on est simple soldat, il y a une façon très commode de décevoir chevalier: il suffit de prendre un cheval à l'ennemi le soir d'une bataille.
Page 37
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La moitié des sottises que l’on débite sur l’Espagne et sur l’âme espagnole ont été inventées par les Espagnols, l’autre moitié par les étrangers1. Les affrontements idéologiques et politiques des XIXe et XXe siècles ont continué à diviser les Espagnols : on était pour ou contre Joseph Bonaparte, pour ou contre la Constitution de Cadix, pour ou contre le libéralisme, pour ou contre le carlisme, pour ou contre l’ouverture au mouvement scientifique, philosophique, social, pour ou contre la démocratie, la laïcité, la réforme agraire, les autonomies régionales…
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