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Citations de Jules Laforgue (269)


Ah ! la Terre n'est pas seule à hurler, perdue !
Depuis l’Éternité combien d'astres ont lui,
Qui sanglotaient semés par l'immense étendue,
Dont nul ne se souvient ! Et combien aujourd’hui !

Tous du même limon sont pétris, tous sont frères,
Et tous sont habités, ou le seront un jour,
Et comme nous, devant la vie et ses misères
Tous désespérément clament vers le ciel sourd.

Les uns, globes fumants et tièdes, n'ont encore
Que les roseaux géants dont les râles plaintifs
Durant les longues nuits balayent l'air sonore
Sous le rude galop des souffles primitifs.

D'autres ont les troupeaux de mammouths et les fauves
Et c'est la faim, le rut et leurs égorgements.
Et les faibles, le soir, du haut des grands pics chauves,
Vers la lune écarlate ululent longuement.

Sur d'autres l’homme est né. Velu, grêle, il déloge
Ses aînés de l'abri des puissantes forêts.
Un cadavre l'arrête, il s'étonne, interroge,
Dès lors monte la voix des grands misérérés.

Et c'est la Terre. Ah ! nous sommes bien vieux, nous autres !
Nous savons désormais que nul là-haut n'entend,
Que l’univers n'a pas de cœur sinon les nôtres
Et toujours vers un cœur nous sanglotons pourtant.

Ceux enfin où Maïa l’Illusion est morte,
Solitaires, muets, flagellés par les vents,
Ils n'ont dans le vertige encor qui les emporte
Que la rauque clameur de leurs vieux océans.

Et tous ces archipels de globes éphémères
S'enchevêtrent poussant leurs hymnes éperdus
Et nul témoin n'entend, seul au-dessus des sphères,
Se croiser dans la nuit tous ces sanglots perdus !

Et c'est toujours ainsi, sans but, sans espérance...
La Loi de l'Univers, vaste et sombre complot
Se déroule sans fin avec indifférence
Et c'est à tout jamais l’universel sanglot !
                               14 novembre 1880.

p.447-448
Extrait POÈMES INÉDITS, LE SANGLOT UNIVERSEL, Le livre de poche 1970, n° 2109

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COMPLAINTE DES PRINTEMPS

Permettez, ô sirène,
Voici que votre haleine
Embaume la verveine ;
C'est l'printemps qui s'amène !

- Ce système, en effet, ramène le printemps,
Avec son impudent cortège d'excitants.

Otez donc ces mitaines ;
Et n'ayez, inhumaine,
Que mes soupirs pour traîne :
Ous'qu'il y a de la gêne....

- Ah ! Yeux bleus méditant sur l'ennui de leur art !
Et vous, jeunes divins, aux soirs crus de hasard !

Du géant à la naine ;
Vois, tout bon sire entraîne
Quelque contemporaine,
Prendre l'air, par hygiène...

- Mais vous saignez ainsi pour l'amour de l’exil !
Pour l'amour de l’Amour ! D'ailleurs, ainsi soit-il...

T'ai-je fait de la peine ?
Oh! Viens vers les fontaines
Où tournent les phalènes
Des Nuits Elyséennes !

- Pimbêche aux yeux vaincus, bellâtre aux beaux jarrets
Donnez votre fumier à la fleur du Regret,

Voilà que son haleine
N'embaum' plus la verveine !
Drôle de phénomène...
Hein, à l'année prochaine ?

- Vierges d'hier, ce soir traîneuses de fœtus,
À genoux ! Voici l'heure où se plaint l'Angélus.

Nous n'irons plus aux bois,
Les pins sont éternels,
Les cors ont des appels !...
Neiges des pâles mois,
Vous serez mon missel !
- Jusqu'au jour de dégel.

I - p.104-105-106
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Rêve.

Je ne puis m’endormir, je rêve, au bercement
De l’averse emplissant la nuit et le silence.
Tout dort, aime, boit, joue, – oh! par la terre immense,
Qui songe à moi, dans la nuit noire, en ce moment ?

Le Témoin éternel qui trône au firmament,
Me voit-il ? m’entend-il ? – oh! savoir ce qu’il pense!…
Comme la vie est triste… – à quoi bon l’Existence?…
- Si ce globe endormi mourait subitement!…

Si rien ne s’éveillait demain! – oh! quel grand rêve!…
Plus qu’un bloc sans mémoire et sans cœur et sans sève
Qui sent confusément le Soleil et le suit…

- Les siècles passent, nul n’est là; plus d’autre bruit
Que la plainte du vent et du flot sur la grève,
Rien qu’un cercueil perdu qui roule par la Nuit.
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Eponge pourrie.

Je sens que j’ai perdu l’Art, ma dernière idole,
Le Beau ne m’émeut plus d’un malade transport,
Maintenant c’est fini, car avec l’Art s’envole
Cette extase où parfois le noir Dégoût s’endort.

Trente siècles d’ennui pèsent sur mon épaule
Et concentrent en moi leur rage, leur remord,
Mes mains ont désappris le travail qui console,
Pas un jour où, tremblant, je ne songe à la mort.

Et je vais enviant l’lnstinct des multitudes,
Je me traîne énervé d’immenses lassitudes,
Altéré de néant et n’espérant plus rien.

Pourtant tu bats toujours, cœur que le Spleen dévore!
Si tu pouvais, du moins, en retrouver encore
De ces larmes d’enfant qui me font tant de bien!
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Epicuréisme.

Je suis heureux gratis! – Il est bon ici-bas
De faire, s’il se peut, son paradis, en cas
Que celui de là-haut soit une balançoire,
Comme il est, après tout, bien permis de le croire.
S’il en est un, tant mieux ! Ce n’est qu’au paradis
Que l’on pourrait aller, vivant comme je vis.
Je ne suis pas obèse, et je vais à merveille;
Je ne quitte mon lit que lorsque je m’éveille;
Je déjeune et je sors. Je parcours sans façon
Dessins, livres, journaux, autour de l’odéon,
Puis je passe la Seine, en flânant, je regarde
Près d’un chien quelque aveugle à la voix nasillarde.
Je m’arrête, et je trouve un plaisir tout nouveau,
Contre l’angle d’une arche, à voir se briser l’eau,
À suivre en ses détours, balayé dans l’espace,
Le panache fumeux d’un remorqueur qui passe,
Et puis j’ai des jardins, comme le Luxembourg,
Où, si le cœur m’en dit, je m’en vais faire un tour.
Je possède un musée unique dans le monde,
Où je puis promener mon humeur vagabonde
De Memling à Rubens, de Phidias à Watteau,
Un musée où l’on trouve et du piètre et du beau,
Des naïfs, des mignards, des païens, des mystiques,
Et des bras renaissance à des torses antiques!
À la bibliothèque ensuite, je me rends.
- C’est la plus belle au monde! – Asseyons-nous. Je prends
Sainte-Beuve et Théo, Banville et Baudelaire,
Leconte, Heine, enfin, qu’aux plus grands je préfère.
« Ce bouffon de génie », a dit Schopenhauer,
Qui sanglote et sourit, mais d’un sourire amer!
Puis je reflâne encor devant chaque vitrine.
Bientôt la nuit descend; tout Paris s’illumine;
Et mon bonheur, enfin, est complet, si je vais
M’asseoir à ton parterre, ô Théâtre-Français!
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Certes, ce siècle est grand.

Certes, ce siècle est grand ! quand on songe à la bête
De l’âge du silex, cela confond parfois
De voir ce qu’elle a fait de sa pauvre planète,
Malgré tout, en domptant une à une les Lois.

Le télescope au loin fouille les Nébuleuses,
Le microscope atteint l’infiniment petit,
Un fil nerveux qui court sous les mers populeuses
Unit deux continents dans l’éclair de l’esprit;

Des peuples de démons qui vivent dans la terre,
En extraient les granits, la houille, les métaux,
Et des cités de bois monte au ciel un tonnerre
De fourneaux haletants, de sifflets, de marteaux;

Les ballons vont rêver aux solitudes bleues,
Un moteur met en branle une usine d’enfer,
Les trains et les vapeurs soufflent mangeant les lieues,
On perce des tunnels dans les monts, sous la mer;

Nous avons les parfums, les tissus, l’eau-de-vie,
Les fusils compliqués, les obusiers ventrus,
Les livres, l’art, le gaz, et la photographie,
Nous sommes libres, fiers; nous vivons mieux et plus;

Jamais l’Homme pourtant n’a tant pleuré. La Terre
Meurt de se savoir seule ainsi dans l’Infini,
Et trouvant tout menteur depuis qu’elle est sans Père
Ne sait plus que ce mot : lamasabacktani.

Ah! l’homme n’a qu’un jour; que lui font la science,
La santé, le bien-être, et les arts superflus,
Si l’au-delà suprême est clos à l’espérance ?
Et quel but à sa vie alors qu’on ne croit plus ?

Oh n’est-ce pas mon Christ, mieux valait l’esclavage,
Les terreurs et la lèpre et la mort sans linceul,
Et sous un ciel de plomb l’éternel Moyen-Age,
Avec la certitude au moins qu’on n’est pas seul!

Ah! la vie est bien peul ses douleurs sont sacrées
Quand on est SUR d’entrer après ce mauvais jour
Dans la grande douceur où, toujours altérées,
Les âmes se fondront de tristesse et d’amour!
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Ballade de retour.

Le Temps met Septembre en sa hotte,
Adieu, les clairs matins d’été!
Là-bas, l’Hiver tousse et grelotte
En son ulster de neige ouaté.
Quand les casinos ont jeté
Leurs dernières tyroliennes,
La plage est triste en vérité!
Revenez-nous, Parisiennes!

Toujours l’océan qui sanglote
Contre les brisants irrités,
Le vent d’automne qui marmotte
Sa complainte à satiété,
Un ciel gris à perpétuité,
Des averses diluviennes,
Cela doit manquer de gaieté!
Revenez-nous, Parisiennes!

Hop! le train siffle et vous cahote!
Là-bas, c’est Paris enchanté,
Où tout l’hiver on se dorlote :
C’est l’opéra, les fleurs, le thé,
Ô folles de mondanité
Allons ! Rouvrez les persiennes
De l’hôtel morne et déserté!
Revenez-nous, Parisiennes!

ENVOI

Reines de grâce et de beauté,
Venez, frêles magiciennes,
Reprendre Votre Royauté :
Revenez-nous, Parisiennes!
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Soirs de fête.

Je suis la Gondole enfant chérie
Qui arrive à la fin de la fête,
Pour je ne sais quoi, par bouderie,
(Un soir trop beau me monte à la tête !)

Me voici déjà près de la digue ;
Mais la foule sotte et pavoisée,
Ah ! n’accourt pas à l’Enfant Prodigue !
Et danse, sans perdre une fusée….

Ah ! c’est comme ça, femmes volages !
C’est bien. je m’exile en ma gondole
(Si frêle !) aux mouettes, aux orages,
Vers les malheurs qu’on voit au Pôle !

- Et puis, j’attends sous une arche noire….
Mais nul ne vient; les lampions s’éteignent ;
Et je maudis la nuit et la gloire !
Et ce cœur qui veut qu’on me dédaigne !
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Sancta simplicitas.

Passants, m’induisez point en beautés d’aventure
Mon Destin n’en saurait avoir cure;
Je ne peux plus m’occuper que des Jeunes filles,
Avec ou sans-parfum de famille.

Pas non plus mon chez moi, ces précaires liaisons
Où l’on s’aime en comptant par saisons;
L’Amour dit légitime est seul solvable! car
Il est sûr de demain, dans son art.

Il a le Temps, qu’un grand amour toujours convie;
C’est la table mise pour la vie;
Quand demain n’est pas sûr, chacun se gare vite!
Et même, autant en finir tout de suite.

Oh! adjugés à mort! comme qui concluraient :
« D’avance, tout de toi m’est sacré,
« Et vieillesse à venir, et les maux hasardeux!
« C’est dit! Et maintenant, à nous deux! »

Vaisseaux brûlés! et, à l’horizon, nul divorce!
C’est ça qui vous donne de la force!
Ô mon seul débouché! – Ò mon vatout nubile!
À nous nos deux vies! Voici notre île.
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Rigueurs à nulle autre pareilles.

Dans un album,
Mourait fossile
Un géranium
Cueilli aux Îles.

Un fin Jongleur
En vieil ivoire
Raillait la fleur
Et ses histoires….

- « Un requiem ! »
Demandait-elle.
- « Vous n’aurez rien,
« Mademoiselle ! » ….
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Mettons un doigt sur la plaie.

Que le pur du bonheur m’est bien si je l’escompte!..
Ou ne le cueille qu’en refrains de souvenance!…
Ô rêve, ou jamais plus! Et fol je me balance
Au-dessus du Présent en Ariel qui a honte.

Mais, le cru, quotidien, et trop voyant Présent!
Et qui vous met au pied du mur, et qui vous dit :
« À l’instant, ou bonsoir! » et ne fait pas crédit,
Et m’étourdit le cœur de ses airs suffisants!

Tout vibrant de passé, tout pâle d’espérance,
Je fais signe au Présent: « Oh! sois plus diaphane? »
Mais il me bat la charge et mine mes organes!
Puis, le bateau parti, j’ulule : « Oh! recommence…. »

Et lui seul est bien vrai! – mais je me mords la main
Plutôt (je suis trop jeune… ou, trop agonisant…)
Ah! rien qu’un pont entre Mon Cœur et le Présent!
Ô lourd Passé, combien ai-je encor de demains ?…
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L'île.

C’est l’Île; Éden entouré d’eau de tous côtés!….
Je viens de galoper avec mon Astarté
À l’aube des mers; on fait sécher nos cavales,
Des veuves de Titans délacent nos sandales,
Éventent nos tresses rousses, et je reprends
Mon Sceptre tout écaillé d’émaux effarants !
On est gai, ce matin. Depuis une semaine
Ces lents brouillards plongeaient mes sujets dans la peine,
Tout soupirants après un beau jour de soleil
Pour qu’on prît la photographie de Mon Orteil…..

Ah! non, c’est pas cela, mon Ile, ma douce île….
Je ne suis pas encore un Néron si sénile….
Mon île pâle est au Pôle, mais au dernier
Des Pôles, inconnu des plus fols baleiniers!
Les Icebergs entrechoqués s’avançant pâles
Dans les brumes ainsi que d’albes cathédrales
M’ont cerné sur un bloc; et c’est là que, très-seul,
Je fleuris, doux lys de la zone des linceuls,
Avec ma mie !

Ma mie a deux yeux diaphanes
Et viveurs! et, avec cela, l’arc de Diane
N’est pas plus fier et plus hautement en arrêt
Que sa bouche! (arrangez cela comme pourrez….)
Oh! ma mie…. – Et sa chair affecte un caractère
Qui n’est assurément pas fait pour me déplaire :
Sa chair est lumineuse et sent la neige, exprès
Pour que mon front pesant y soit toujours au frais,
Mon Front Équatorial, Serre d’Anomalies!…..
Bref, c’est, au bas mot, une femme accomplie.

Et puis, elle a les perles tristes dans la voix…..
Et ses épaules sont aussi le premier choix.
Et nous vivons ainsi, subtils et transis, presque
Dans la simplicité les gens peints sur les fresques.
Et c’est l’Île. Et voilà vers quel Eldorado
L’Exode nihiliste a poussé mon radeau.

Ô lendemains de noce où nos voix mal éteintes
Chantent aux échos blancs la si grêle complainte :
LE VAISSEAU FANTOME

Il était un petit navire
Où Ugolin mena ses fils,
Sous prétexte, le vieux vampire!
De les fair’ voyager gratis.

Au bout le cinq à six semaines,
Les vivres vinrent à manquer,
Il dit:« Vous mettez pas en peine;
«Mes fils n’ m’ont jamais dégoûté! »

On tira z’à la courte paille,
Formalité! raffinement!
Car cet homme il n’avait d’entrailles
Qu’ pour en calmer les tiraillements,

Et donc, stoïque et légendaire;
Ugolin mangea ses enfants,
Afin d’ leur conserver un père…
Oh! quand j’y song’, mon cœur se fend!

Si cette histoire vous embête,
C’est que vous êtes un sans-cœur!
Ah! j’ai du cœur par d’ssus la tête,
Oh! rien partout que rir’s moqueurs!…
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Les linges, le cygne.

Ce sont les linges, les linges,
Hôpitaux consacrés aux cruors et aux fanges ;
Ce sont les langes, les langes,
Où l’on voudrait, ah ! Redorloter ses méninges !

Vos linges pollués, Noëls de Bethléem !
De la lessive des linceuls des requiems
De nos touchantes personnalités, aux langes
Des berceaux, vite à bas, sans doubles de rechange,
Qui nous suivent, transfigurés (fatals vauriens
Que nous sommes) ainsi que des Langes gardiens.
C’est la guimpe qui dit, même aux trois quarts meurtrie :
«Ah ! Pas de ces familiarités, je vous prie… »
C’est la peine avalée aux édredons d’eider;
C’est le mouchoir laissé, parlant d’âme et de chair
Et de scènes ! (je vous pris la main sous la table,
J’eus même des accents vraiment inimitables),
Mais ces malentendus ! L’adieu noir ! -je m’en vais !
-Il fait nuit ! -que m’importe ! à moi, chemins mauvais !
Puis, comme Phèdre en ses illicites malaises :
«Ah ! Que ces draps d’un lit d’occasion me pèsent ! »
Linges adolescents, nuptiaux, maternels ;
Nappe qui drape la sainte-table ou l’autel,
Purificatoire au calice, manuterges,
Refuges des baisers convolant vers les cierges.
Ô langes invalides, linges aveuglants !
Oreillers du bon coeur toujours convalescent
Qui dit, même à la soeur, dont le toucher l’écoeure :
«Rien qu’ une cuillerée, ah ! Toutes les deux heures… »
Voie Lactée à charpie en surplis : lourds jupons
A plis d’ordre dorique à lesquels nous rampons
Rien que pour y râler, doux comme la tortue
Qui grignote au soleil une vieille laitue.
Linges des grandes maladies ; champs-clos des draps
Fleurant : soulagez-vous, va, tant que ça ira !
Et les cols rabattus des jeunes filles fières,
Les bas blancs bien tirés, les chants des lavandières,
Le peignoir sur la chair de poule après le bain,
Les cornettes des sœurs, les voiles, les béguins,
La province et ses armoires, les lingeries
Du lycée et du cloître ; et les bonnes prairies
Blanches des traversins rafraîchissant leurs creux
De parfums de famille aux tempes sans aveux,
Et la mort ! Pavoisez les balcons de draps pâles,
Les cloches ! Car voici que des rideaux s’exhale
La procession du beau Cygne ambassadeur
Qui mène Lohengrin au pays des candeurs !

Ce sont les linges, les linges,
Hôpitaux consacrés aux cruors et aux fanges !
Ce sont les langes, les langes,
Où l’on voudrait, ah ! Redorloter ses méninges.
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DIMANCHES

J'aurai passé ma vie à faillir m'embarquer
Dans de bien funestes histoires,
Pour l'amour de mon cœur de Gloire !....
― Oh! qu'ils sont chers les trains 'manqués
Où j'ai passé ma vie à faillir m'embarquer !....

Mon cœur est vieux d'un tas de lettres déchirées,
Ô Répertoire en un cercueil
Dont la Poste porte le deuil !.....
― Oh! ces veilles d’échauffourées
Où mon cœur s'entraînait par lettres déchirées !....

Tout n'est pas dit encor, et mon sort est bien vert.
Ô Poste, automatique Poste,
Ô yeux passants fous d’holocaustes,
Oh ! qu'ils sont là, vos airs ouverts !....
Oh ! comme vous guettez mon destin encor vert !

(Une, pourtant, je me rappelle,
Aux yeux grandioses
Comme des roses,
Et puis si belle !....
Sans nulle pose.

Une voix me criait : " C'est elle ! Je le sens ;
" Et puis, elle te trouve si intéressant ! "
― Ah ! que n'ai-je prêté l'oreille à ses accents !...)

II - p.79
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COMPLAINTE DES CONDOLÉANCES AU SOLEIL

Décidément, bien Don Quichotte et pas peu sale,
Ta Police, ô Soleil ! Malgré tes grands Levers,
Et tes couchants des beaux Sept-Glaives abreuvés,
Rosaces en sang d'une aveugle Cathédrale !

Sans trêve, aux spleens d'amour sonner des hallalis !
Car, depuis que, majeur, ton fils calcule et pose,
Labarum des glaciers ! Fais-tu donc autre chose
Que chasser devant toi des dupes de leurs lits ?

Certes, dès qu'aux rideaux aubadent tes fanfares,
Ces piteux d' infini, clignant de gluants deuils,
Rhabillent leurs tombeaux, en se cachant de l'œil
Qui cautérise les citernes les plus rares !

Mais tu ne te dis pas que, là-bas, bon Soleil,
L'autre moitié n'attendait que ta défaillance,
Et déjà se remet à ses expériences,
Alléguant quoi ! La nuit, l'usage, le sommeil...

Or, à notre guichet, tu n'es pas mort encore,
Pour aller fustiger de rayons ces mortels,
Que nos bateaux sans fleurs rerâlent vers leurs ciels
D'où pleurent des remparts brodés contre l'aurore !

Alcôve des Danaïdes, triste astre ! ― Et puis,
Ces jours où, tes fureurs ayant fait les nuages,
Tu vas sans pouvoir les percer, blême de rage
De savoir seul et tout à ses aises l'ennui !

Entre nous donc, bien Don Quichotte, et pas moins sale,
Ta Police, ô Soleil, malgré tes grands Levers,
Et tes couchants des beaux sept-glaives abreuvés,
Rosaces en sang d'une aveugle Cathédrale !

I - p.162-163

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COMPLAINTE D'UN AUTRE DIMANCHE

C'était un très-au vent d'octobre paysage,
Que découpe, aujourd'hui dimanche, la fenêtre,
Avec sa jalousie en travers, hors d'usage,
Où sèche, depuis quand ! Une paire de guêtres
Tachant de deux mals blancs ce glabre paysage.

Un couchant mal bâti suppurant du livide ;
Le coin d'une buanderie aux tuiles sales ;
En plein, le Val-de-grâce, comme un qui préside ;
Cinq arbres en proie à de mesquines rafales
Qui marbrent ce ciel crû de bandages livides.

Puis les squelettes de glycines aux ficelles,
En proie à des rafales encor plus mesquines !
O lendemains de noce ! ô brides de dentelles !
Montrent-elles assez la corde, ces glycines
Recroquevillant leur agonie aux ficelles !

Ah ! Qu'est-ce que je fais, ici, dans cette chambre !
Des vers. Et puis, après ! ô sordide limace !
Quoi ! La vie est unique, et toi, sous ce scaphandre,
Tu te racontes sans fin, et tu te ressasses !
Seras-tu donc toujours un qui garde la chambre ?

Ce fut un bien au vent d'octobre paysage...

I – p.92
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L'IMPOSSIBLE

Je puis mourir ce soir ! Averses, vents, soleil
Distribueront partout mon cœur, mes nerfs, mes moelles.
Tout sera dit pour mo i! Ni rêve, ni réveil.
Je n'aurai pas été là-bas, dans les étoiles !

En tous sens, je le sais, sur ces mondes lointains,
Pèlerins comme nous des pâles solitudes,
Dans la douceur des nuits tendant vers nous les mains,
Des Humanités sœurs rêvent par multitudes !

Oui ! des frères partout ! (Je le sais, je le sais !)
Ils sont seuls comme nous. — Palpitants de tristesse,
La nuit, ils nous font signe ! Ah! n'irons-nous jamais ?
On se consolerait dans la grande détresse!

Les astres, c'est certain, un jour s'aborderont !
Peut-être alors luira l'Aurore universelle
Que nous chantent ces gueux qui vont, l'Idée au front !
Ce sera contre Dieu la clameur fraternelle !

Hélas ! avant ces temps, averses, vents, soleil
Auront au loin perdu mon cœur, mes nerfs, mes moelles,
Tout se fera sans moi! Ni rêve, ni réveil !
Je n'aurai pas été dans les douces étoiles !

I - p.46
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COMPLAINTE D'UN CERTAIN DIMANCHE

Elle ne concevait pas qu'aimer fût l'ennemi d'aimer
Sainte-Beuve. Volupté
L'homme n'est pas méchant, ni la femme éphémère.
Ah ! fous dont au casino battent les talons,
Tout homme pleure un jour et toute femme est mère,
Nous sommes tous filials, allons !
Mais quoi ! Les destins ont des partis pris si tristes,
Qui font que, les uns loin des autres, l'on s'exile,
Qu'on se traite à tort et à travers d'égoïstes,
Et qu' on s'use à trouver quelque unique Évangile.
Ah ! Jusqu'à ce que la nature soit bien bonne,
Moi je veux vivre monotone.

Dans ce village en falaises, loin, vers les cloches.
Je redescends dévisagé par les enfants
Qui s'en vont faire bénir de tièdes brioches ;
Et rentré, mon sacré-cœur se fend !
Les moineaux des vieux toits pépient à ma fenêtre.
Ils me regardent dîner, sans faim, à la carte ;
Des âmes d'amis morts les habitent peut-être ?
Je leur jette du pain : comme blessés, ils partent !
Ah ! Jusqu'à ce que la nature soit bien bonne,
Moi je veux vivre monotone.

Elle est partie hier. Suis-je pas triste d'elle ?
Mais c'est vrai ! Voilà donc le fond de mon chagrin !
Oh ! Ma vie est aux plis de ta jupe fidèle !
Son mouchoir me flottait sur le Rhin...
Seul. -le couchant retient un moment son Quadrige
En rayons où le ballet des moucherons danse,
Puis, vers les toits fumants de la soupe, il s'afflige...
Et c'est le soir, l'insaisissable confidence...
Ah ! Jusqu'à ce que la nature soit bien bonne,
Faudra-t-il vivre monotone ?

Que d'yeux, en éventail, en ogive, ou d'inceste,
Depuis que l'être espère, ont réclamé leurs droits !
O ciels, les yeux pourrissent-ils comme le reste ?
Oh ! Qu'il fait seul ! Oh ! Fait-il froid !
Oh ! Que d'après-midi d'automne à vivre encore !
Le spleen, eunuque à froid, sur nos rêves se vautre.
Or, ne pouvant redevenir des madrépores,
Ô mes humains, consolons-nous les uns les autres.
Et jusqu'à ce que la nature soit bien bonne,
Tâchons de vivre monotone.

I – p.89
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AU LARGE

Comme la nuit est lointainement pleine
De silencieuse infinité claire !
Pas le moindre écho des gens de la terre,
Sous la Lune méditerranéenne !

Voilà le Néant dans sa pâle gangue,
Voilà notre Hostie et sa Sainte-Table,
Le seul bras d'ami par l'Inconnaissable,
Le seul mot solvable en nos folles langues !

Au-delà des cris choisis des époques,
Au-delà des sens, des larmes, des vierges,
Voilà quel astre indiscutable émerge,
Voilà l'immortel et seul soliloque !

Et toi, là-bas, pot-au-feu, pauvre Terre !
Avec tes essais de mettre en rubriques
Tes reflets perdus du Grand Dynamique,
Tu fais un métier ah ! bien sédentaire !

p.212
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LA MELANCOLIE DE PIERROT

Le premier jour, je bois leurs yeux ennuyés...
Je baiserais leurs pieds,
À mort. Ah ! qu’elles daignent
Prendre mon cœur qui saigne!
Puis, on cause... — et ça devient de la Pitié;
Et enfin je leur offre mon amitié.

C’est de pitié, que je m’offre en frère, en guide ;
Elles, me croient timide,
Et clignent d'un œil doux :
« Un mot, je suis à vous ! »
(Je te crois) Alors, moi, d’étaler les rides
De ce cœur, et de sourire dans le vide...

Et soudain j’abandonne la garnison,
Feignant de trahisons !
(Je l'ai échappé belle !)
Au moins, m'écrira-t-elle ?
Point. Et je la pleure toute la saison...
— Ah ! j’en ai assez de ces combinaisons !

Qui m’apprivoisera le cœur! belle cure...
Suis si vrai de nature
Aie la douceur des sœurs !
Oh viens ! suis pas noceur,
Serait-ce donc une si grosse aventure
Sous le soleil ? dans toute cette verdure...

II - p.110-111
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