AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Jean-Pierre Bertrand (Éditeur scientifique)
EAN : 9782080708977
184 pages
Flammarion (01/11/1998)
3.86/5   59 notes
Résumé :
Le plus connu des poètes méconnus de la fin du siècle passé, Jules Laforgue, est mort à vingt-sept ans. Publiées en 1885, Les Complaintes constituent un des recueils majeurs de la modernité. En reprenant la forme de la complainte, si typique de la chanson populaire, triste certes, mais faussement naïve et volontiers goguenarde, Laforgue entend bien faire oeuvre originale et se démarquer de poètes qu'il n'aime guère, tel Corbière. Et c'est précisément parce qu'elle e... >Voir plus
Que lire après Poésie complète (I) : Les Complaintes (suivies des) Premiers poèmesVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Le poète maudit, au sens de Verlaine, est une figure qui prend naissance chez les romantiques pour s'achever chez les symbolistes. Poètes talentueux, se considérant comme incompris et en révolte permanente, leurs manières sont provocantes et auto-destructrices. Jules Laforgue est sans doute à ranger dans la lignée de ces fameux poètes maudits, faisant partie des « décadents » : arrivés trop tard dans un monde finissant, ils sont soumis à « une mortelle fatigue de vivre » (Paul Bourget). Pour Laforgue, après un ou deux livres publiés, s'en suit une disparition brutale : c'est la tuberculose, à 27 ans, qui mettra une fin à sa vie de dandy décadent et souvent misérable, entre Paris et Berlin.
Les complaintes de Laforgue (chansons de rue, en vogue courant de la seconde moitié du 19ème siècle) sont des cris désespérés (complainte d'un certain dimanche et son fameux « moi je veux vivre monotone »), froids et lucides, d'un jeune adulte ayant du mal à s'extirper de sa crise d'adolescence. Ecrits sous forme de textes parfois courts et percutants, souvent longs et un tantinet abscons, il ne manque pour certaines oeuvres que la musique. Un siècle plus tard et Laforgue aurait peut-être été chanteur (chanson populaire ou rock de préférence).
Les ficelles sont parfois grossières, certains passages peuvent faire sourire, mais comment souvent dans ce genre de recueil, si on cherche bien, si on lit, qu'on relit, qu'on arrive à s'imprégner de l'oeuvre (lecture à haute voix fortement conseillée), on finit par dénicher des pépites, de ces fameuses illuminations rimbaldiennes comme seules la poésie en comporte. Lorsqu'en plus elles tombent pile poil avec l'état d'esprit du lecteur, que demander de plus ?

« Oui ce monde est bien plat ; quant à l'autre, sornettes.
Moi, je vais résigné, sans espoir, à mon sort,
Et pour tuer le temps, en attendant la mort,
Je fume au nez des dieux de fines cigarettes »

Tout cela n'est pas toujours très gai, il faut bien l'avouer, mais l'écriture fait mouche. Pour les curieux, ceux qui veulent découvrir ce poète et son oeuvre, un petit tour sur les sites http://www.unjourunpoeme.fr/auteurs/laforgue-jules, http://www.laforgue.org/comp.htm est conseillé, avec la plupart des grands textes de Jules Laforgue.
Commenter  J’apprécie          280
Dans ses poèmes, Jules Laforgue évoque le mal de vivre, les âpres saisons, la religion, la nostalgie, les amours déçues ou espérées, la ville et ses bruits divers. C'est un des premiers -peut-être avec Baudelaire- poètes urbains. Il n'a pas son pareil pour évoquer une rue animée ou « la poignante rumeur d'une fête lointaine ».
Pour Laforgue -mort très jeune de tuberculose- le poète est un contemplatif, un grand observateur et souvent un iconoclaste :
« Mourir d'un attouchement de l'Eucharistie,
S'entrer un crucifix maigre et nu dans le coeur ? »
Souvent revient cette iconographie religieuse où l'orgue a son importance. Il invoque Dieu pour l'inciter à regarder sa propre misère humaine. Il rejoint beaucoup Baudelaire dans ses visions un peu gothiques mais aussi dans ses descriptions cliniques de la mort, comme dans « une charogne » :
« Et votre blond cadavre aux vitreuses prunelles
Ira pourrir dans son doux linceul de dentelles. »
Et la sensualité est là, à portée de mots :
« Des blancheurs se cherchant s'agrafent puis s'implorent,
Roulant sous les buissons ensanglantés de houx
D'où montent les sanglots aigus mourant et doux,
Et des halètements irrassasiés encore… »
Jules Laforgue écrit toujours en vers et compose des sonnets en alexandrins. C'est sous cette forme classique qu'il a construit une oeuvre unique et baroque sous forme de cathédrale poétique où, comme Baudelaire encore, le soir et le couchant ont un pouvoir calmant sur un esprit bouillonnant.
Comme s'ils m'étaient destinés, je retiendrai ces vers qui m'ont marqué :
« Et j'écoute longtemps les cloches dans la nuit...
Je suis le paria de la famille humaine
À qui le vent apporte en son sale réduit
La poignante rumeur d'une fête lointaine. »
Commenter  J’apprécie          60
Poète, mon semblable mon frère, Jules Laforgue en crise métaphysique qui me rappelle par des poèmes assez banals mes crises postadolescentes, Dieu disparaissant, la mort apparaissant, le sentiment vertigineux et obsessionnel du vide, de l'absurde et le dégoût, Pascal baudelairisé par un homme timide qui voit bien que dans ce monde, ça n'est pas gagné, et que dans l'autre, c'est perdu (un pari, un coup de dé n'aboliront pas la mort), puis (même si ici c'est avant), une fois que tout a été désabusé, la complainte, la comptine de malheur, le poète qui regarde sa crise existentielle du coin de l'oeil, un brin hilare, vaguement vachement mélancolique et pointant discrètement le doigt sur la ridiculosité de la plainte amère de nos ancêtres les romantiques, Lamartine en ses vallons de larmes crocodilesques, Chateaubriand lu à la piscine pour briser un tant soit peu la magnificence du style. de Laforgue retenons des formules (magiques) et des titres. Des vers ? "Des vers. Et puis, après ? ô sordide limace!", "Ô femme, mammifère à chignon, ô fétiche", ô complainte du foetus de poète, ô complainte des pubertés difficiles, miséréré.
Commenter  J’apprécie          50

Poésies complètes de Jules Laforgue
Dans notre céleste Eternullité,
je veux être à côté d'un poète,
fou devant ce ciel qui toujours nous bouda
rêvant de prêcher la fin, nom d'un Bouddha!

Jules, Jules Laforgue que je lis au hasard dans ces jours de misère entre deux néants,
aucune pesanteur sur les tracas, les siens, les miens, les nôtres,
une extrême légèreté de l'intelligence,
des mots et des sons qui emplissent nos yeux, nos oreilles, notre intelligence.

O ! Convoi éternel des vers de Jules le magnifique,
du linceul du néant ils déroulent les plis,
doucement, mélancoliquement, sur d' heureuses musiques,
pour venger les sanglots des temps ensevelis.
Aujourd'hui,
nous sommes libres, fiers; nous vivons mieux et plus;
jamais pourtant l'homme n'a tant pleuré.
En écoutant, qui monte dans la nuit noire,
le concert désolé des appels de l'histoire.
Fasciné par la lune, errante Delos, celle des dimanches, au dessus des casinos dans les stations balnéaires désertées.
Laforgue, Laforgue Jules pour l'éternité…


Le bonheur de ses vers nous le retrouverons dans ce musée unique au monde, celui de sa mémoire et de la notre, où nous promènerons notre humeur vagabonde de Memling à Rubens, nous écouterons Les Gymnopédies, en nous enivrant du flot de ses inventions.

Poèmes ici: Préludes autobiographiques, Poèmes posthumes, Poème sans titre, Justice, Nuitamment, Epicuréisme
Lien : http://holophernes.over-blog..
Commenter  J’apprécie          80
Du pessimisme, de la décadence, du désenchantement, de l'ironie, cela doit être bien glauque me direz-vous et bien pas du tout, c'est beau.....
Commenter  J’apprécie          71

Citations et extraits (63) Voir plus Ajouter une citation
COMPLAINTE DES PUBERTÉS DIFFICILES

Un éléphant de Jade, œil mi-clos souriant,
Méditait sous la riche éternelle pendule,
Bon bouddha d'exilé qui trouve ridicule
Qu'on pleure vers les Nils des couchants d'Orient,
Quand bave notre crépuscule.

Mais, sot Eden de Florian,
En un vase de Sèvres où de fins bergers fades
S'offrent des bouquets bleus et des moutons frisés,
Un œillet expirait ses pubères baisers
Sous la trompe sans flair de l'éléphant de Jade.

A ces bergers peints de pommade
Dans le lait, à ce couple impuissant d'opéra
Transi jusqu'au trépas en la pâte de Sèvres,
Un gros petit dieu Pan venu de Tanagra
Tendait ses bras tout inconscients et ses lèvres.

Sourds aux vanités de Paris,
Les lauriers fanés des tentures,
Les mascarons d'or des lambris,
Les bouquins aux pâles reliures
Tournoyaient par la pièce obscure,
Chantant, sans orgueil, sans mépris :
« Tout est frais dès qu'on veut comprendre la Nature. »

Mais lui, cabré devant ces soirs accoutumés,
Où montait la gaité des enfants de son âge,
Seul au balcon, disait, les yeux brûlés de rages :
« J'ai du génie, enfin : nulle ne veut m'aimer ! »
Commenter  J’apprécie          90
Complainte de la lune en province

Ah ! La belle pleine Lune,
Grosse comme une fortune !

La retraite sonne au loin,
Un passant, monsieur l’adjoint ;

Un clavecin joue en face,
Un chat traverse la place :

La province qui s’endort !
Plaquant un dernier accord,

Le piano clôt sa fenêtre.
Quelle heure peut-il bien être ?

Calme lune, quel exil !
Faut-il dire : ainsi soit-il ?

Lune, ô dilettante lune,
A tous les climats commune,

Tu vis hier le Missouri,
Et les remparts de Paris,

Les fiords bleus de la Norwège,
Les pôles, les mers, que sais-je ?

Lune heureuse ! Ainsi tu vois,
A cette heure, le convoi

De son voyage de noce !
Ils sont partis pour l’Écosse.

Quel panneau, si, cet hiver,
Elle eût pris au mot mes vers !

Lune, vagabonde lune,
Faisons cause et mœurs communes ?

Ô riches nuits ! Je me meurs,
La province dans le cœur !

Et la lune a, bonne vieille,
Du coton dans les oreilles.
Commenter  J’apprécie          90
Solo de lune

Je fume, étalé face au ciel.

Sur l'impériale de la diligence,

Ma carcasse est cahotée, mon âme danse

Comme un
Ariel ;

Sans miel, sans fiel, ma belle âme danse,

O routes, coteaux, ô fumées, ô vallons.

Ma belle âme, ah ! récapitulons.



Nous nous aimions comme deux fous.

On s'est quitté sans en parler,

Un spleen me tenait exilé,

Et ce spleen me venait de tout.
Bon.



Ses yeux disaient : «
Comprenez-vous ? «
Pourquoi ne comprenez-vous pas ? »
Mais nul n'a voulu faire le premier pas,
Voulant trop tomber ensemble à genoux. (Comprenez-vous ?)



Où est-elle à cette heure ?

Peut-être qu'elle pleure...

Où est-elle à cette heure ?

Oh ! du moins, soigne-toi, je t'en conjure !



Ô fraîcheur des bois le long de la route,

Ô châle de mélancolie, toute âme est un peu aux écoutes,

Que ma vie

Fait envie !

Cette impériale de diligence tient de la magie.

Accumulons l'irréparable !

Renchérissons sur notre sort !

Les étoiles sont plus nombreuses que le sable

Des mers où d'autres ont vu se baigner son corps ;

Tout n'en va pas moins à la
Mort.

Y a pas de port.

Des ans vont passer là-dessus.

On s'endurcira chacun pour soi,

Et bien souvent et déjà je m'y vois,

On se dira : «
Si javais su... »

Mais mariés de même, ne se fût-on pas dit

«
Si j'avais su, si j'avais su !... » ?

Ah ! rendez-vous maudit !

Ah ! mon cœur sans issues !...

Je me suis mal conduit.

Maniaques de bonheur.

Donc, que ferons-nous ?
Moi de mon âme.

Elle de sa faillible jeunesse ?

Ô vieillissante pécheresse,

Oh ! que de soirs je vais me rendre infâme

En ton honneur !

Ses yeux clignaient : «
Comprenez-vous ? «
Pourquoi ne comprenez-vous pas ? »



Mais nul n'a fait le premier pas

Pour tomber ensemble à genoux.
Ah !...

La
Lune se lève,

Ô route en grand rêve !...

On a dépassé les filatures, les scieries,
Plus que les bornes kilométriques.
De petits nuages d'un rose de confiserie,
Cependant qu'un fin croissant de lune se lève, Ô route de rêve, ô nulle musique-Dans ces bois de pins où depuis
Le commencement du monde 0 fait toujours nuit.

Que de chambres propres et profondes !
Oh ! pour un soir d'enlèvement !
Et je les peuple et je m'y vois.
Et c'est un beau couple d'amants.
Qui gesticulent hors la loi.

Et je passe et les abandonne,

Et me recouche face au ciel.

La route tourne, je suis
Ariel,

Nul ne m'attend, je ne vais chez personne,

Je n'ai que l'amitié des chambres d'hôtel.

La lune se lève,

Ô route en grand rêve !

Ô route sans terme.

Voici le relais,

Où l'on allume les lanternes.

Où l'on boit un verre de lait.



Et fouette postillon.
Dans le chant des grillons,
Sous les étoiles de juillet.

Ô clair de
Lune,

Noce de feux de
Bengale noyant mon infortune.

Les ombres des peupliers sur la route...

Le gave qui s'écoute,...

Qui s'écoute chanter...

Dans ces inondations du fleuve du
Léthé...

Ô
Solo de lune,

Vous défiez ma plume,

Oh ! cette nuit sur la route ;

Ô Étoiles, vous êtes à faire peur,

yous y êtes toutes ! toutes !

Ô fugacité de cette heure...

Oh ! qu'il y eût moyen

De m'en garder l'âme pour l'automne qui vient !...

Voici qu'il fait très, très-frais,

Oh ! si à la même heure.

Elle va de même le long des forêts,

Noyer son infortune

Dans les noces du clair de lune !...

(Elle aime tant errer tard !)

Elle aura oublié son foulard,

Elle va prendre mal, vu la beauté de l'heure !

Oh ! soigne-toi, je t'en conjure !

Oh ! je ne veux plus entendre cette toux !



Ah ! que ne suis-je tombé à tes genoux !
Ah ! que n'as-tu défailli à mes genoux !
J'eusse été le modèle des époux !

Comme le frou-frou de ta robe est le modèle des frou-frou.
Commenter  J’apprécie          10
- Mais, tout est un rire à la Justice ! et d’où vient
Mon cœur, ah ! mon sacré cœur, s’il ne rime à rien ?
- Du calme et des fleurs. Peu t’importe de connaître
Ce que tu fus, dans l’à jamais, avant de naître ?
Eh bien, que l’autre éternité qui, Très-Sans-Toi,
Grouillera, te laisse aussi pieusement froid.
Quant à ta mort, l’éclair aveugle en est en route
Qui saura te choser, va, sans que tu t’en doutes.
- Il rit d’oiseaux, le pin dont mon cercueil viendra !
- Mais ton cercueil sera sa mort !
- Allons, tu m’as compris. Va, que ta seule étude
Soit de vivre sans but, fou de mansuétude.
Commenter  J’apprécie          110
PRELUDES AUTOBIOGRAPHIQUES

Soif d’infini martyre ? Extase en théorèmes ?
Que la création est belle, tout de même !


En voulant mettre un peu d’ordre dans ce tiroir,
Je me suis perdu par mes grands vingt ans, ce soir
De Noël gras.
Ah ! dérisoire créature !
Fleuve à reflets, où les deuils d’Unique ne durent
Pas plus que d’autres ! L’ai-je rêvé, ce Noël
Où je brûlais de pleurs noirs un mouchoir réel,
Parce que, débordant des chagrins de la Terre
Et des frères Soleils, et ne pouvant me faire
Aux monstruosités sans but et sans témoin
Du cher Tout, et bien las de me meurtrir les poings
Aux steppes du cobalt sourd, ivre-mort de doute,
Je vivotais, altéré de Nihil de toutes
Les citernes de mon Amour ?

Seul, pur, songeur,
Me croyant hypertrophique ! comme un plongeur
Aux mouvants bosquets des savanes sous-marines,
J’avais roulé par les livres, bon misogyne.

Cathédrale anonyme ! en ce Paris, jardin
Obtus et chic, avec son bourgeois de Jourdain
À rêveurs ; ses vitraux fardés, ses vieux dimanches
Dans les quartiers tannés où regardent des branches
Par-dessus les murs des pensionnats, et ses
Ciels trop poignants à qui l’Angélus fait : assez !

Paris qui, du plus bon bébé de la Nature,
Instaure un lexicon mal cousu de ratures.

Bon Breton né sous les Tropiques, chaque soir
J’allais le long d’un quai bien nommé mon révoir,
Et buvant les étoiles à même : « ô Mystère !
« Quel calme chez les astres ! ce train-train sur terre !
« Est-il Quelqu’un, vers quand, à travers l’infini,
« Clamer l’universel lamasabaktani ?
« Voyons ; les cercles du Cercle, en effets et causes,
« Dans leurs incessants vortex de métamorphoses,
« Sentent pourtant, abstrait, ou, ma foi, quelque part,
« Battre un cœur ! un cœur simple ; ou veiller un Regard !

« Oh ! qu’il n’y ait personne et que Tout continue !
« Alors géhenne à fous, sans raison, sans issue !
« Et depuis les Toujours, et vers l’Éternité !
« Comment donc quelque chose a-t-il jamais été !
« Que Tout se sache seul au moins, pour qu’il se tue !
« Draguant les chantiers d’étoiles, qu’un Cri se rue,
« Mort ! emballant en ses linceuls aux clapotis
« Irrévocables, ces sols d’impôts abrutis !
« Que l’Espace ait un bon haut-le-cœur et vomisse
« Le Temps nul, et ce Vin aux geysers de justice !
« Lyres des nerfs, filles des Harpes d’Idéal
« Qui vibriez, aux soirs d’exil, sans songer à mal,
« Redevenez plasma ! Ni Témoin, ni spectacle !
« Chut, ultime vibration de la Débâcle,
« Et que Jamais soit Tout, bien intrinsèquement,
« Très hermétiquement, primordialement ! »

Ah ! — Le long des calvaires de la Conscience,
La Passion des mondes studieux t’encense,
Aux Orgues des Résignations, Idéal,
Ô Galathée aux pommiers de l’Eden-Natal !

Martyres, croix de l’Art, formules, fugues douces,
Babels d’or où le vent soigne de bonnes mousses ;
Mondes vivotant, vaguement étiquetés
De livres, sous la céleste Éternullité :

Vanité, vanité, vous dis-je ! — Oh ! moi, j’existe,
Mais où sont, maintenant, les nerfs de ce Psalmiste ?
Minuit un quart ; quels bords te voient passer, aux nuits
Anonymes, ô Nébuleuse-Mère ? Et puis,
Qu’il doit agoniser d’étoiles éprouvées,
À cette heure où Christ naît, sans feu pour leurs couvées,
Mais clamant : ô mon Dieu ! tant que, vers leur ciel mort,
Une flèche de cathédrale pointe encor
Des polaires surplis ! — Ces Terres se sont tues,
Et la création fonctionne têtue !
Sans issue, elle est Tout ; et nulle autre, elle est Tout.
X en soi ? Soif à trucs ! Songe d’une nuit d’août ?
Sans le mot, nous serons revannés, ô ma Terre !
Puis tes sœurs. Et nunc et semper, Amen. Se taire.

Je veux parler au Temps ! criais-je. Oh ! quelque engrais
Anonyme ! Moi ! mon Sacré-Cœur ! — J’espérais
Qu’à ma mort, tout frémirait, du cèdre à l’hysope ;
Que ce Temps, déraillant, tomberait en syncope,
Que, pour venir jeter sur mes lèvres des fleurs,
Les Soleils très navrés détraqueraient leurs chœurs ;
Qu’un soir, du moins, mon Cri me jaillissant des moelles.
On verrait, mon Dieu, des signaux dans les étoiles ?

Puis, fou devant ce ciel qui toujours nous bouda,
Je rêvais de prêcher la fin, nom d’un Bouddha !

Oh ! pâle mutilé, d’un : qui m’aime me suive !
Faisant de leurs cités une unique Ninive,
Mener ces chers bourgeois, fouettés d’alléluias,
Au Saint-Sépulcre maternel du Nirvâna !

Maintenant, je m’en lave les mains (concurrence
Vitale, l’argent, l’art, puis les lois de la France…)

Vermis sum, pulvis es ! où sont mes nerfs d’hier ?
Mes muscles de demain ? Et le terreau si fier
De Mon âme, où donc était-il, il y a mille
Siècles ? et comme, incessamment, il file, file !…
Anonyme ! et pour Quoi ? — Pardon, Quelconque Loi !
L’être est forme, Brahma seul est Tout-Un en soi.

Ô Robe aux cannelures à jamais doriques
Où grimpent les Passions des grappes cosmiques ;
Ô Robe de Maïa, ô Jupe de Maman,
Je baise vos ourlets tombals éperdument !
Je sais ! la vie outrecuidante est une trêve
D’un jour au Bon Repos qui pas plus ne s’achève
Qu’il n’a commencé. Moi, ma trêve, confiant,
Je la veux cuver au sein de l’Inconscient.

Dernière crise. Deux semaines errabundes.
En tout, sans que mon Ange Gardien me réponde.

Dilemme à deux sentiers vers l’Éden des Élus :
Me laisser éponger mon Moi par l’Absolu ?
Ou bien, élixirer l’Absolu en moi-même ?
C’est passé. J’aime tout, aimant mieux que Tout m’aime.
Donc Je m’en vais flottant aux orgues sous-marins,
Par les coraux, les œufs, les bras verts, les écrins,
Dans la tourbillonnante éternelle agonie
D’un Nirvâna des Danaïdes du génie !
Lacs de syncopes esthétiques ! Tunnels d’or !
Pastel défunt ! fondant sur une langue ! Mort
Mourante ivre-morte ! Et la conscience unique
Que c’est dans la Sainte Piscine ésotérique
D’un lucus à huis-clos, sans pape et sans laquais.
Que J’ouvre ainsi mes riches veines à Jamais.

En attendant la mort mortelle, sans mystère,
Lors quoi l’usage veut qu’on nous cache sous terre.

Maintenant, tu n’as pas cru devoir rester coi ;
Eh bien, un cri humain ! s’il en reste un pour toi.
Commenter  J’apprécie          00

Videos de Jules Laforgue (14) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jules Laforgue
« Toutes les pensées et maximes qui ont quelque valeur sont fortement pessimistes. Quand on étudie ses semblables et soi-même avec quelque sincérité, on en rapporte rarement des observations avantageuses. »
Henry Maret (1837-1917)
« […] L'art des maximes est vieux comme l'homme. de tout temps […], l'homme aima ces formules, concises, abstraites peu ou prou, dans lesquelles il porte un jugement sur lui-même, sur ses semblables ou sur le monde. […] […] les Français, parmi les autres peuples, se sont signalés dès le XVIe siècle, par un goût très prononcé pour cette manière spéciale de s'exprimer qui, par ailleurs, trouvait sa formule naturelle dans les proverbes, manifestation générale de la pensée humaine qui est de toutes les époques, de tous les climats, de toutes les races. […] la profondeur, l'originalité De La Rochefoucauld, de Pascal ou… de l'Ecclésiaste ne seront vraisemblablement jamais dépassés ni même égalées. Mais, ce que ces penseurs de génie ont dit autrefois peut-être redit sous une forme nouvelle, à la mesure du temps présent. […] […] nous avons recueilli une grande quantité d'ouvrages de maximes, nous les avons lus attentivement et sans parti-pris et nous avons constaté […] qu'il en était très peu qui fussent absolument médiocres. Pas un où le lecteur ne pût découvrir une valeur, une note sérieuse, quelque observation typique. Pas un, surtout, qui ne décelât de la sincérité et quelque sensibilité. […] Près des héros, dans leur ombre parfois, se pressent des hommes qui les valent, qui valent mieux, souvent, et qui, cependant, par quelque défaut de caractère ou, simplement, par quelque cruauté des événements, demeurent voués aux seconds rôles. Philosophes par goût naturel ou par dépit, joyeux ou bien amers selon leur tempérament, ils se consolent de ne point agir en pensant ou en jouant au penseur : ainsi sont nées, naissent et naîtront encore bien des maximes ! [...] « L'homme est toujours le même ! » Tant qu'il sera nécessaire de proclamer cet axiome, le genre des maximes ne sera pas épuisé ! [...] »
0:00 - Remy de Gourmont 0:15 - Courteline 0:26 - Jules Laforgue 0:52 - Albert Guinon 1:08 - Louis Dumur 1:21 - Paul Brulat 1:34 - Princesse Karadja 1:44 - Aurel 1:54 - Georges Faillet 2:05 - Marcel-Lenoir 2:14 - Jeanne Landre 2:29 - Natalie Clifford Barney 2:42 - Charles Régismanset 2:51 - Étienne Rey 3:01 - Albert de Bersaucourt 3:10 - Henry Asselin 3:23 - Alain Chauvilliers 3:33 - Jean Ythier 3:45 - Lucie Paul-Margueritte 3:54 - Jeanne Broussan-Gaubert 4:12 - Pierre Aguétant 4:33 - Générique
Images d'illustration : Remy de Gourmont : https://leseditionsdeparis.com/collection/litterature/le-chateau-singulier-et-autres-textes-rares Georges Moinaux, dit Courteline : https://www.edition-originale.com/fr/litterature/envois-autographes-dauteurs-manuscrits/courteline-photographie-originale-dedicacee-de-1925-60004 Jules Laforgue : https://www.babelio.com/auteur/Jules-Laforgue/2537/photos Albert Guinon : https://www.abebooks.com/LILLUSTRATION-SUPPLEMENT-3119-SAMEDI-DECEMBRE-1902/30869087159/bd#&gid=1&pid=1 Louis Dumur : https://www.tdg.ch/societe/histoire/geneve-redecouvre-louis-dumur/story/25740549 Paul Brulat : https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Brulat#/media/Fichier:Paul_Brulat,_1918.jpg Princesse Mary Louise Smith Karadja : https://sv.wikipedia.org/wiki/Mary_Karadja#/media/Fil:Princesse_karadja_1899.png Aurélie Octavie Gabrielle Antoinette de Faucamberge, dit Aurel : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/35/Aurel_writer_photo.png Georges Faillet : https://www.youtube.com/watch?v=J2IrgM3yyms Jules Oury, dit Marcel-Lenoir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel-Lenoir#/media/Fichier:Mrs._Julian_
+ Lire la suite
autres livres classés : poésieVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (225) Voir plus



Quiz Voir plus

Testez vos connaissances en poésie ! (niveau difficile)

Dans quelle ville Verlaine tira-t-il sur Rimbaud, le blessant légèrement au poignet ?

Paris
Marseille
Bruxelles
Londres

10 questions
1220 lecteurs ont répondu
Thèmes : poésie , poèmes , poètesCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..