Citations de Juliana Léveillé-Trudel (89)
Il y a des hommes respectables, mariés et pères de famille, qui n’en ont rien à battre de la famille des autres, qui baisent les enfants des autres sans avoir besoin d’aller jusqu’en Thaïlande parce que les Inuites aussi ont les yeux bridés, ça doit donner la même sensation. Et quand on paie on a tous les droits, le client a toujours raison, le client peut faire ce qu’il veut et rentrer ce qu’il veut là où il veut, même dans le corps d’une enfant de douze ans.
Sur la liste noire, on pourrait peut-être ajouter un délit : faire des enfants et ne jamais s’en occuper parce que les enfants conçus sous l’influence de l’alcool, ils ne comptent pas, c’est ce qu’on m’a dit.
Dans les années 1950, le gouvernement fédéral a procédé à l’abattage massif des chiens de traîneau pour forcer les Inuits à se sédentariser.
Cinquante ans plus tard, il leur a remis des millions pour s’excuser, c’est la façon de faire, on fout le bordel et on rachète tout avec l’argent, mais merci mon Dieu, ils ont appris la leçon, ces foutus nomades, ils les abattent massivement eux-mêmes leurs chiens maintenant.
Il n’y a pas que les moins de douze ans qui craignent Nathan-la-brute, dangereusement intelligent, assez pour finir Premier ministre ou en prison, Nathan vise de plus en plus haut, Nathan a pointé son couteau sur la vieille Suzanne.
L'être humain est partout pareil, on aime mieux croire que ce n'est pas l'un des nôtres.
Toé t'es ben. tu viens deux mois par année, tu te promènes, tu fais du bateau, pis tu retournes chez vous. Tu le sais pas mais février c'est long en estie. On vire tout' fous. Tout le monde est fou, mais ici ça paraît plus. Ici tu peux pas cacher ta folie. Le monde voit ta folie. Tu peux pas avoir de jardin secret, de trucs qui t'appartiennent juste à toi, des affaires débiles que tu le sais que c'est débile mais que tu fais pareil, ben ici, tout le monde le sait. Tout le monde sait tout', tout le temps. Pis en février quand t'as rien à faire en estie ben il te reste juste ça, la vie pis la folie des autres.
Ton corps dans l'eau et ton esprit partout, sur la mer, dans la toundra, au ciel jamais noir de l'été arctique, danse, Eva, danse, je dis avec le même français cassé que le tien: « Je manque toi ».
"les grands-mères tiennent les enfants et les villages à bout de bras, d'un bout à l'autre de la tundra."
Comment reprocher à quelqu'un de ne pas maîtriser notre langue quand on ne peut rien dire dans la sienne ?
… je redescends, marchant prudemment sur la mince ligne qui sépare la tranquillité de la solitude.
Nous nous souvenons plus de rien, et dans les villes où le béton cache le ciel, des gens occupés marchent sans se regarder sur les routes qui ont fondu la forêt, et parfois leurs yeux se posent sur eux. Eux, les épaves imbibées d’alcool qui ne sont plus l’ombre des fiers chasseurs qu’ils ont été, eux dont les formidables talents ne trouvent plus leur utilité dans notre assourdissante modernité, eux massacrés jusqu’à la moelle par l’une ou l’autre des merdes qui, paraît-il, viennent inévitablement avec la civilisation.
[...] quand la peine glisse vers l'amertume, le coeur a de drôles d'élan.
J'ai souvent le goût de brailler, je ne suis pas nécessairement triste, c'est juste que c'est trop ici, trop beau ou trop dur.
Je sors de l'avion comme un jouet d'une boîte de céréales et cinq secondes plus tard les enfants s'enfoncent dans mon estomac en m'étreignant comme de petits boas constricteurs. C'est bon d'être à la maison.
Gaetan s'incline bien bas devant ces grands seigneurs des chantiers : merci de répandre si généreusement votre sperme aux quatre vents pour permettre l'amélioration de la race, merci de transmettre votre précieux sang à vos nombreux enfants que vous ne prendrez jamais la peine de connaître, ne vous souciez pas de savoir si leurs mères ont assez de sous pour payer le lait les couches, tant qu'ils possèdent votre sublime bagage génétique, tout va pour le mieux.
Des fois je pense qu'ils vont vraiment mettre le feu à quelque chose de gros, quelque chose comme une maison, des fois je pense qu'ils vont se brûler, qu'ils vont se détruire, mais ils marchent depuis tellement longtemps sur la ligne à ne jamais franchir, ils narguent la mort avec tellement d'irrévérence qu'ils sont intouchables.
"C'est gros comme un ours polaire dans un Igloo, mais personne n'a rien vu, rien entendu, bien sûr, personne."
« Kingnguq : ressentir le besoin de ce qui est disparu [...] uqatsianguaruti : moyen pour faire joliment semblant de parler »
"Ici on ne dit pas s'il vous plaît ni merci, on ne s'excuse pas non plus, quand on a fait du tort à quelqu'un, on fait quelque chose pour se racheter, et si ce n'est pas rachetable, il reste la 22 pour faire la job."
" Il y a trois catégories de Blancs qui montent au Nord: les aventuriers, les missionnaires et ceux qui viennent pour l'argent. Il existe malheureusement aussi une quatrième catégorie: les mésadaptés sociaux. Ceux qui nesont pas fonctionnels au Sud et qui s'exilent chez les Inuits pour se fondre dans le chaos ambiant."