"C’était un ‘no man’s land’ où erraient des vivants, des morts, des péquenauds, des morts-vivants et vraisemblablement quelques péquenauds morts-vivants."
Localement, des rumeurs persistantes laissent entendre que la ville de Brest, à la pointe du Finistère, abrite un groupe de survivants particulièrement organisé, le soi-disant Dernier Bastion à la Fin du Monde.
Ce n’est pas la première fois que nous en entendons parler. Il s’agit d’un mythe auquel, de notre côté, nous n’avons jamais accordé beaucoup de crédit ; le genre de fable moderne comme il en existe des dizaines pour mettre du baume au cœur des survivants – ou rassurer les enfants. Surtout pour rassurer les enfants. Et puis, c’est Brest : il y aura toujours un Breton pour vanter Brest.
Je n’ai jamais aimé la Bretagne.
Florent fait quant à lui partie de ces indépendantistes forcenés qui, dans un passé pas si lointain, voulaient ériger une ligne Maginot aux marches de l’Ille-et-Vilaine pour empêcher le reste de la France d’entrer, ou peut-être les Bretons de sortir – à vrai dire, depuis l’invasion, ça n’a plus franchement d’importance. Chose étrange, en dépit de l’amoncellement exponentiel de cadavres en putréfaction dans le coin, sans parler de ceux qui se relèvent, l’amour de Florent pour sa terre natale ne l’a jamais quitté. Et moi, bien sûr, j’aime Florent.
Mais je déteste cette putain de région.
Évidemment, les zombies jouent pour beaucoup dans ce sentiment ; n’ayant jamais mis les pieds dans le coin avant l’apocalypse, je n’exclus pas la possibilité que la Bretagne ait été un endroit sympa quand les gens ne s’entretuaient pas encore pour une boîte de raviolis ou un groupe électrogène. Le fait est qu’aujourd’hui, c’est ni plus ni moins un no man’s land où errent des vivants, des morts, des péquenauds, des morts-vivants, et sans doute quelques péquenauds morts-vivants.
Comme partout en France, pour ce que j’en sais.
Mais voilà, de tous les endroits où nous aurions pu nous retrouver quand l’épidémie a éclaté, il a fallu que ce soit ici, chez les bouseux.
— Je vais tenter un Immelmann.
J’écarquille les yeux en m’écriant :
— Tu n’es pas sérieux ?
— Il va tenter quoi ? m’interroge Florent.
— Un Immelmann. Une manœuvre de retournement rapide. Pense à Top Gun.
— Je n’ai jamais vu Top Gun…
— Tu es gay et tu n’as jamais vu Top Gun ?
— Avec tout l’amour du monde, tu es gay et tu détestes Rihanna, alors va te faire foutre !
— Il n’y a écrit nulle part sur mes fringues que je suce des bites, s’est-il défendu.
— Des bites ? J’espère pour toi que tu n’en suces pas d’autres que la mienne, sinon tu vas avoir un problème plus sérieux que tes parents sur les bras.
— Il faut qu’on change de bord, dis-je avec aplomb.
À l’air ahuri de mon petit ami, je devine qu’il n’a pas suivi le fil de ma pensée. Jugulant mon exaspération, je grogne à son endroit :
— L’avion, je parle de l’avion !
— Cocktail Molotov ?
— Avoir été étudiant sous Sarkozy a ses avantages, je confirme dans un demi-sourire.