DÈS QUE SA BOUCHE FUT PLEINE - JULIETTE OURY
Dès que sa bouche fut pleine, elle sut qu’elle n’oublierait jamais le goût, le plaisir, la puissance de cet instant, et que jamais, même si l’occasion se présentait un jour, même si quelqu’un était d’accord pour l’écouter, elle ne trouverait les mots pour en parler
La domination des hommes dans le dans le système patriarcal, était enracinée dans leur jalousie, dans leur terreur à l’égard de la capacité des femmes à nourrir le genre humain.
Elle faucha du bout de sa fourchette un morceau d’aubergine gris sombre, mou et luisant, et un petit cube de courgette brunie. D’une main tremblante, le yeux rivés sur ses légumes d’où montait en dansant une fumée transparente, elle les porta à sa bouche
Elle se rappelait avec violence l’acidité douce des mûres, leur goût, la piqûre du sucre sur la langue, les grains rocailleux qui crissaient sous la cent, la nouveauté absolue de ces sensations et l’envie qu’elles durent toujours
une souteneuse célèbre pour avoir dirigé pendant près de vingt ans un réseau de cuisine clandestine
« La nourriture était un sujet tellement tabou chez eux. À la maison, elle entendait des récits de jeunes gens dévoyés qui « mangeaient avec n’importe qui » ou qui « grignotaient à droite, à gauche », et elle imaginait des jeunes femmes aux traits flous happant, au-dessus de leurs deux épaules, des aliments dressés entre des doigts douteux. »
Elle se disait que dans l’intimité qu’ils construisaient au quotidien, amoureusement, un appétit profond pourrait malgré tout déployer ses racines, et un jour les enflammer à nouveau.
Il ne laissa pas à Laetitia le temps de finir sa bouchée et l'embrassa de nouveau. Elle n'était pas sûre de vouloir partager, mais la langue de Laurent était impérieuse, alors elle s'y soumit.
Elle n'était plus que la bouche que Laurent embrassait, une caverne, une paroi, une victoire éternelle sur le cours des choses, et puis leur baiser prit fin, mais rien ne s'arrêta, et elle compris qu'elle traînerait toute sa vie derrière elle le souvenir de ces sensations, et qu'elle souffrirait de savoir qu'elles existent et qu'elle n'aurait plus aucun autre désir, jamais, que celui de revivre cet instant, de le revivre exactement.
Laurent pensait encore souvent à elle. Elle avait quitté Paris. Il avait pour elle la reconnaissance qu'on a pour les gens qui vous ont vraiment brisé le cœur, après lui avoir appris à battre.
Ce roman nous parle de la relation un peu catastrophique que Lætitia entretient avec son conjoint Laurent. Rien de bien flamboyant, c'est même plutôt l'inverse... Leur relation est fade, elle n'est pas heureuse et le garçon n'est pas particulièrement à l'écoute... c'est le moins qu'on puisse dire... 😒
Mais l'originalité de ce roman n'est, bien sûr, pas dans la cruelle banalité de ce couple : dans cet univers c'est le repas qui est tabou et non le sexe. Ici, hors de question d'aller bouffer une pizza entre potes sans passer pour un libertin de premier plan ! 😋
Et l'autrice excelle dans l'inversion des tabous ! C'est malin, les mots et les situations sont vraiment interchangés avec talent ! Cela donnera des scènes à la normalité affreusement malaisante que notre cerveau essaiera de "remettre" piteusement dans le "bon ordre". 🤔
Et comme souvent, c'est en changeant de point de vue, que l'absurdité et l'arbitraire de certaines règles ou idées, nous apparaîssent.
Un travail intéressant sur la langue, la société et les tabous ! 💛