Citations de Kae Tempest (190)
" Une apathie permissive, récréative, qui trouve sa récompense dans une hébétude de plus en plus profonde. Une apathie qui consiste à quitter son corps, à quitter son esprit et, dans la foulée, quitter la pièce en déclarant :" la vie continue", "c'est comme çà", " Tu vas pas en mourir", "Faut s'accrocher", "Faut s'activer". S'activer, toujours s'activer, dans un état de dissociation constante, légère ou sévère. Boulimie d'écrans. Boulimie d'alcool.Boulimie de bouffe. Néant. "
""Le fossé qui nous sépare de nus-mêmes s'est creusé.La comédie exigée de nous est devenue réalité et nous nous sommes noyés dans ses bouffonneries. Quelle autre stratégie pour mener sa barque au milieu des paramètres de l'existence? A part empiler des jetons pour prouver qu'on est digne d’intérêt. A part croire en cette mascarade.
Idem pour le fossé qui nous sépare des autres."
" Oui, j'écris pour ces autres qui me ressemblent."
" Ces autres qui voient le beau avant le reste et qui assistent malgré eux au carnage.
"ces autres qui voient le carnage avant le reste et qui assistent malgré eux au spectacle du beau."
SIGH
I saw the best minds of my generation destroyed by payment plans.
SOUPIR
J’ai vu les plus beaux esprits de ma génération détruits par des crédits à la consommation.
L’espoir fait vivre, mais pas longtemps.
Harry se demande souvent comment on peut se fier aux souvenirs de deux personnes qui soutiennent deux versions différentes du même événement.
Tout le tue, et pourtant sa vie ne finit pas de n’en plus finir : le matin arrive et il est encore là, les yeux ouverts. Vivant.
Les dieux sont tous là…
Extrait 1
[…]
Les dieux sont tous là.
Car les dieux sont en nous.
Les dieux sont au PMU
les dieux sont au café
les dieux font des pauses clope là-derrière
les dieux sont au bureau
les dieux sont à leurs bureaux
les dieux n’en peuvent plus de toujours donner plus pour moins,
les dieux sont en rave ‒
à deux cachets de profondeur dans la danse ‒
les dieux sont dans l’allée en train de rire
les dieux sont chez le médecin ils ont besoin d’un petit truc contre le stress
les dieux baisent aux chiottes sans capotes
les dieux sont au supermarché
les dieux rentrent chez eux à pied,
les dieux ne peuvent pas s’empêcher de zoner sur Facebook
les dieux sont dans un embouteillage
PHILOCTETE Je fais confiance à cet endroit. Je fais confiance au temps qu'il fait. Et quand il me dit "je vais te baiser la gueule", c'est exactement ce qui se passe.
Un jour James Joyce m'a dit: "le particulier renferme l'universel". Merci du conseil. Il m'a appris que plus j'accorde d'attention à mon "particulier", plus j'ai de chances de t'atteindre dans ton particulier à toi.
La créativité désigne l'aptitude à s'émerveiller, l'envie de réagir à ce qui nous bouscule. ou, plu simplement, c'est un acte d'amour, quelle qu'en soit la nature.
Je sais bien qu'assister à un concert ou jouer sur des planches n'occupe pas la même place, dans l'ordre des priorités, que l'accès à un logement décent et abordable, à des conditions de travail où l'équité et les normes de sécurité sont respectées, à des soins médicaux, à des produits alimentaires sains et frais, à une eau potable qu'on se procure aisément et à un environnement où les enfants peuvent grandir sans être victimes de violence, de menaces, de traumatismes. Mais on ne m'enlèvera pas de l'idée qu'à côté de ces besoins fondamentaux, l'être humain ne peut et ne pourra jamais se priver de jeu, de créativité, d'introspection et d'expression personnelle.
La maladie de la culture / et la maladie dans nos coeurs / est une maladie infligée
/ par la distance
/ que nous partageons.
Imagine un vide / Une infinie et immobile noirceur / La paix / Ou l’absence au moins / de terreur.
La porte s’ouvre et Serena entre. Chess vient de terminer les paroles pour « Kids ». Serena aperçoit le carnet et s’assied à côté de Chess.
SERENA – Qu’est- ce tu fais ?
CHESS – J’essaie d’écrire des paroles.
SERENA – Qu’est-ce que ça donne ?
CHESS – Je n’y arrive pas.
SERENA – T’écris sur quoi ?
CHESS – Kayla.
Battement.
SERENA – Tu lui écris toujours des lettres ?
CHESS – Ouais. Chaque semaine.
SERENA – Tu devrais écrire la chanson comme si tu lui écrivais à elle et non sur elle.
CHESS – Tu penses que ça va m’aider.
SERENA – Peut-être, qui sait ?
CHESS – On a créé un rythme.
SERENA – J’peux l’entendre ?
CHESS – C’est pas encore terminé.
SERENA – Elle est comment, la femme qui t’apprend ?
CHESS – Pas mal. Pas aussi nulle que je pensais.
SERENA – Pas mal ?
CHESS – Je pense qu’on va bien s’amuser.
SERENA – Un miracle a eu lieu !
CHESS – Tais-toi.
SERENA – Tu souris.
CHESS – Même pas.
SERENA – Non, bien sûr.
Silver et Chess sont en plein atelier. Chess dévisage Silver avec méfiance. Silver la fixe du regard. Lui tient tête. Une gardienne se tient dans un coin. Elles restent un moment dans cette position. Un micro est installé ainsi qu’un ordinateur portable et une boîte à rythmes. Elles se regardent en silence.
SILVER – Qu’est-ce qu’on s’amuse !
CHESS – T’as mieux à faire ?
SILVER – Probablement.
CHESS – Genre quoi ?
SILVER – Oh tu sais. Je pourrais être chez moi à regarder mes ongles pousser.
CHESS – Je ne te retiens pas.
Battement.
SILVER – Écoute, je vais pas te supplier. Je ne suis pas là pour qu’on soit amies.
CHESS – Tant mieux.
SILVER – Ou ton guide. Ou ton enseignante.
CHESS – Alors t’es là pour quoi ?
SILVER – Je suis ici pour faire de la musique avec toi.
CHESS – Qu’est-ce qui est arrivé à tes cheveux ?
SILVER – Ils sont devenus blancs.
CHESS – Pourquoi ?
SILVER – Le choc.
CHESS – Qu’est-ce qui t’a choquée ?
SILVER – La vie.
CHESS – À quel âge ?
SILVER – J’avais vingt-deux ans.
CHESS – C’est pour ça qu’on t’appelle Silver ?
SILVER – En vrai je m’appelle Sylvia. Pas de grand détour. Tu sais comment sont les gens. Ils se croient malins.
CHESS – Tu ressembles à Storm dans X-Men. Tu l’as vu ?
SILVER – Non.
CHESS – Tu devrais le regarder. Elle te ressemble. Je regardais des dessins animés avec ma fille. Elle aimait bien Rogue.
SILVER – Francesca.
CHESS – Les gens m’appellent Chess.
Chess est dans une cellule de prison. Assise, immobile, sur le sol, elle fixe les spectateurs longuement du regard. L’atmosphère est lourde et peu engageante. Elle se met à créer un rythme, utilisant son corps et le sol comme percussions. Elle joue le rythme pendant un moment, fredonnant pour elle-même. Elle commence à ajouter des rimes par-dessus. La rime doit lui parvenir spontanément – elle tape sur le sol, joue un rythme, rime par-dessus. Pour elle, il s’agit de quelque chose qui lui arrive parmi d’autres expériences.
CHESS chante
Quand vraiment t’as rien
T’as besoin de rien,
C’est quand t’en as un peu
Que t’en veux plus.
Quand tu as de l’amour
Tu ressens tant de choses.
Mais sinon,
Tu ne croises
Que des portes closes.
À quoi bon les excuses et les pourquoi.
J’ai ma culpabilité à moi, et toi ?
J’ai pas l’temps des peut-être et des aléas.
Trop occupée à regarder le temps qui s’en va.
Tu mens si tu crois être sans failles
Aucune faille ne fait de toi un cause perdue.
Je fixe les barreaux pour les faire disparaître
Et pouvoir m’évader de mon être.
Où es-tu assise ? L’image est-elle précise ?
Je préfère vivre ici que dans la hantise.
C’est la hantise qui nous altère.
Mais on se redresse en la mettant à terre.
Cris provenant des autres cellules. Elle chante plus fort. Hors plateau, par-dessus sa voix :
DOREEN
Putain de merde. Ça suffit. Tu peux pas fermer ta putain de gueule pendant cinq minutes ?
CHESS chante plus fort
Où est ta place ? L’image est précise ?
Je préfère vivre ici que dans la hantise.
DOREEN
Je te jure Chess. Ferme ta gueule. Je vais arracher ta putain de gorge…
Une deuxième voix s’élève :
JANET
Laisse tomber, Doreen, sale conne. Laisse-la chanter. Laisse-la chanter, putain !
CHESS chante
C’est la peur qui vous altère
Mais nous voilà dignes en la mettant à terre.
Doreen commence à chanter par-dessus. Elle fait beaucoup de bruit. Elle tente de noyer la voix de Chess. Chess chante de plus en plus fort, jusqu’à ce que Doreen s’arrête.
CHESS
Que faire de tes erreurs ?
Les vivre chaque jour et chaque heure
À t’étourdir et briser ton cœur ?
Ou les ressentir pour que tu puisses t’enfuir ?
Imagine, si j’étais un oiseau
À tire d’aile, je m’échapperais
Pour voler dans la ville et te voir dans la rue
Mes deux ailes à terre, je m’écraserais.
Tu ne saurais même pas que c’était moi.
Mais tu sourirais car tu es gentille.
Quand vraiment t’as rien, t’as besoin de rien,
T’as l’esprit tranquille.
DOREEN
FERME ta PUTAIN de GUEULE putain de merde !
Chess arrête de chanter. Elle arrête de battre le rythme. Elle est à nouveau assise, immobile, comme au tout début. Elle attend.
Personne ne fait grand cas de ce que tu as dit ni du ton que tu as employé pour le dire. Tous ces gens sont trop occupés à se prendre la tête sur ce qu’ils ont dit eux ou sur le ton qu’ils ont employé. Même s’ils t’étrillent sur les réseaux sociaux, ils n’en veulent qu’à eux-mêmes et, par ailleurs, ce n’est pas l’opinion des autres qui te définit. Qu’est-ce qui te définit, alors ? Cet instant précis, là, maintenant. Lâche prise.
Along the journey I have come up against a lot of people who just don’t get it. In the past, I understood them as being ‘closed’ people, completely switched off. I used to get frustrated with these people, angry at a lack of ‘consciousness’. If I could only ‘reach’ them, I was sure that I could change their minds’. But now, thankfully, I see things differently. I see that every single person is affected by the violence of existence in different ways, and that people carry their burdens however they can. People suffer a great deal, and ideally they must process their traumas in order to reach some kind of peace. But what if your situation is too intense and you can’t get a moment’s respite? People respond differently to things. People have different things to respond to. I am no one to judge how someone has come to a conclusion. I am no one to judge what conclusions someone has come to. I do not want to change minds any more. I just want to connect.
Au lieu de tourner le regard vers nous-mêmes et d'affronter le vide qu'on y voit, on se projette au-dehors, on se pare des derniers colifichets à la mode ou de ce qui nous aide à passer la nuit, peu importe de quoi il s'agit.