
" Comment s'appelle votre nièce, Miss McBride ?"
Kathleen sera le pis plus fort. La vache protesta en frappant le sol de ses pattes arrière.
" Inutile de te soucier de ce genre de détails, Jackie. Elle ne va pas rester longtemps ici.
- Dommage... ça vous ferait de la compagnie, sans compter qu'elle pourrait vous aider dans vos tâches.
- C'est une fille de la ville. Je doute qu'elle sache d'où vient le lait... J'imagine qu'il apparaît devant sa porte comme par magie !
- Ah... Mais vous pourriez l'éduquer, Miss McBride."
Kathleen déplaça son tabouret derrière la vache suivante.
" Dites donc, vous êtes rapide ce soir !" observa Jackie, l'air admiratif. Personne ne pouvait accuser sa patronne de ne pas accomplir sa part de travail.
" Il y a un mouton mort dans le fossé. Va le mettre de côté pour Pat.
- J'y vais, Miss McBride."
Pat était un négociant qui passait dans toutes les fermes de la vallée pour emporter les œufs, la crème, le beurre ou les légumes qu'elles produisaient et les revendre en ville. Les commerçants payaient directement les fermiers, et Pat prélevait une petite commission au passage. Kathleen lui laissait prendre les bêtes mortes de causes naturelles. Manger du mouton quand on ignorait de quoi il était mort était impossible, mais Pat en tirerait une petite somme en revendant la laine. Il ferait ensuite bouillir la carcasse, puis recueillerait la graisse et la revendrait à des fermiers qui s'en servaient pour graisser les roues de leurs charrettes. Il avait même réussi à en vendre au pharmacien de Tipperary, qui avec cette graisse immonde faisait du savon et de la crème pour le visage.
Ce n'était pas de cette façon que Chrissie avait imaginé perdre sa virginité. Néanmoins, elle était rassurée de savoir qu'il était impossible de tomber enceinte quand on faisait l'amour debout.
Dès qu'elle poussa la porte verte de la cabine téléphonique, Tina apprécia de se retrouver dans cet abri paisible. Il y avait quelque chose dans les cabines téléphoniques qui l'apaisait : le sentiment d'être coupée du monde extérieur, d'être dans un endroit où il était possible de rassembler ses pensées...
Pendant qu'elle creusait un petit trou, elle s'émerveilla de la quantité de choses que pouvaient vous apprendre les enfants, de cette sagesse qui était la leur et que si souvent on sous-estimait, ou même ignorait.
Elle avait adoré sa mère. Seulement, ça n'aurait pas dû se terminer comme ça. Trop de choses étaient demeurées non dites, et, à présent, il était trop tard.
- La loi de Ribot, lui dit Tom.
- De qui ? interroge Leo.
- C'est ce qui se passe dans les cas d'amnésie rétrograde. Les souvenirs les plus récents sont détruits avant les plus anciens. C'est ce qui se produit parfois après un choc traumatique à la tête. J'ai lu un article sur une femme américaine qui est tombée au supermarché en glissant sur une tomate écrasée. Et en se blessant à la tête, elle a perdu vingt ans de sa vie. Elle ne se rappelle même pas qu'elle a mis au monde trois enfants.

- Votre vraie mère, c'est la femme qui vous a élevé, celle qui vous relevait quand vous tombiez, qui vous rassurait la nuit, quand vous faisiez un cauchemar, qui vous...
- J'ai bien compris, ma sœur. Ce que je veux dire, c'est que j'ai leur entière bénédiction pour retrouver ma mère biologique. C'est mieux ?
- Inutile de prendre ce ton, Mr Lane ! Je pense que vous ne vous rendez pas compte du travail qu'on accomplit ici. Toutes celles qui passent par ce couvent sont des filles déchues, des dégénérées sur le plan de la morale, que la société a mises à l'écart et qu'ont rejetées leurs familles sur qui elles n'ont apporté que la honte ! Nous leur donnons un foyer, nous veillons sur elles pendant leur grossesse et nous faisons tout pour que leurs bébés soient recueillis par des parents aimants. Nous nous assurons qu'elles purifient leur âme en effectuant un dur labeur. Ces filles savent qu'elles sont condamnées à l'enfer si elles disent à qui que ce soit qu'elles ont eu un bébé, aussi puis-je vous garantir que rien de bon ne sortira de votre quête, Mr Lane. Je vous suggère de partir tout de suite... et de remercier le Seigneur à genoux que ce couvent ait agi dans votre meilleur intérêt en vous plaçant dans une famille gentille et aimante !"
Dire ce qu'on pense par écrit est beaucoup plus facile.
Toutes celles qui passent par ce couvent sont des filles déchues, des dégénérées sur le plan de la morale, que la société a mises à l’écart et qu’ont rejetées leurs familles sur qui elles n’ont apporté que la honte ! Nous leur donnons un foyer, nous veillons sur elles pendant leur grossesse et nous faisons tout pour que leurs bébés soient recueillis par des parents aimants. Nous nous assurons qu’elles purifient leur âme en effectuant un dur labeur.
Alors, tout en grinçant des dents de rage, elle cracha plus qu'elle ne dit : "Je n'aurai plus jamais l'occasion de lui dire à quel point je le hais !"