Citations de Kevin Lambert (94)
C'est bon signe, non, de voir des citoyens sortir de leur confort pour s'exprimer? ... Dina déplace un peu la question en ajoutant que c'est un troupeau d'animaux plus qu'un groupe de citoyens...
Sigourney est d'accord, Céline aussi, mais elle précise qu'à soixante ans, la ribambelle de prétendants se renouvelle, toute une population de petits vieillards apparaît on ne sait d'où dans votre boîte de courriels pour vous proposer un mariage, des bonhommes libidineux accros au Viagra (...) dont l'argent n'appâte plus les jeunes femmes et qui veulent vous traîner dans leur manoir pour que vous leur massiez les pieds et leur prépariez des pâtés jusqu'à la fin de vos jours.
Marielle en possédait une dans son premier appartement, elle voudrait être capable aujourd'hui de voir les taches de sang sur chacun des meubles, de connaître les sacrifices qu'il a fallu commettre tout au long de la chaîne de production, des forêts aux usines de Taïwan, pour concevoir cette marchandise abordable pour les ménages occidentaux, elle aimerait que tous les corps exploités apparaissent au pied de ses immeubles, que le monde entier puisse voir la somme des tortures nécessaires à la saine entreprise...
...il est malheureux que les militants soient la plupart du temps des abrutis, ils représentent même l'abruti typique, pense Céline, un militant ne lit rien qui puisse mettre au défi sa vision simpliste du monde, surtout pas de littérature, trop affamé qu'il est de comptes rendus schématiques de l'expérience humaine, de rapports sociaux manichéens...
Des horticultrices et des jardiniers avaient planté, dans les semaines précédentes, quelques arbres maigrichons autour desquels on avait laissé pendre l'étiquette. Le premier ministre fit une blague à ce sujet, diffusée au Téléjournal, "c'est tellement neuf qu'ils ont jusqu'oublié d'enlever les itiquettes. " Les plates-bandes avaient été remplies de bégonias et de graminées achetés en spécial.
Céline n'osa pas critiquer publiquement les plans catastrophiques du Campus MIL ... l'originalité n'était sans doute pas venue de ce rectorat épuisé, réputé pour sa bêtise et ses mauvaises décisions depuis une grève étudiante qui avait fait rougir la ville le temps que durent les lilas.
Je cherche le ciel pour mieux le maudire
Les corps abîmés se reposent, mais le calme est bientôt trahi par un hurlement profond, une plainte d’abord voilée et entrecoupées, comme le sanglotement d’un enfant, puis qui s’enfle en un rire prolongé, sonore et continu, tout à fait anormal et antihumain, un glapissement moitié horreur, moitié triomphe, affreuse harmonie jaillissant à la fois de la gorge des damnés dans leurs tortures, et des démons exultant dans la damnation.
Dans vie, faut gérer la grosseur de ses oignons, s’assurer qu’on en a assez pour passer l’hiver avant d’aller se mettre le nez dans l’engrais du voisin.
Parfois, dans leurs conquêtes impériales, les contractants doivent contourner ne serait-ce qu’un lieu de frai, qu’une sépulture ancestrale, qu’une zone de cueillette de plantes médicinales, qu’un campement ou qu’un passage d’orignaux sur les vastes espaces qu’occupent depuis toujours les familles autochtones qu’Évolu a la générosité de piller à large profit en échange de stimulations économiques et de création d’emplois, rejouant infiniment la comédie des réserves et des pensionnats pour gonfler ses bourses.
Querelle a fait le choix de se terrer dans l’abject qui est le sien, dans un scandale qui épouse les formes de son désir.
La parole de Querelle au présent désarçonnait; un contretemps dans l’harmonie des avenirs radieux.
Peut-être qu’il ne se méprend pas et qu’il y a bel et bien dans le regard des pères qui croient leur descendance menacée par l’appétit d’un prédateur une envie secrète de goûter à la même bête.
Querelle fascine ou choque les gars de l’usine tant la déviance, dans sa bouche, semble honnête et naturelle.
Pas qu’il n’aimerait pas avoir d’enfants; il fantasme parfois, rêve qu’il engrosse l’un de ses amants et, même si ces petits parasites l’écœurent, qu’ils sont complètement dépendants, qu’ils faut les changer et les nourrir, se mettre la face dans leur marde et qu’il n’a jamais su comment parler aux flots - pour pas leur faire peur, il faut prendre une voix de débile et Querelle se trouve ridicule -, il se verrait bien, un jour, s’il trouvait le boy élu, le garçon parfait, l’inséminer avec le fruit de ses couilles pour qu’ils élèvent ensemble une petite bestiole.
Ses yeux sont toujours tristes sous ses lunettes de protection, ils donnent à son visage une douceur complétée par la moue naturelle de ses lèvres quand il travaille, concentré sur la tâche, appliqué à bien empiler les pièces de bois ou à fendre un garçon après l’ouvrage.
Jacques aimerait que les agents se détendent, qu’ils baissent leur garde. Il aimerait leur expliquer qu’ils sont des rouages du système, les marionnettes du pouvoir, que le monstre se nourrit d’eux comme un ogre mange ses petits, que même s’ils s’imaginent l’avoir apprivoisé, même s’ils pensent être parvenus à trouver un abri dans la tempête des grandes corporations, le commerce est une bête féroce, qui a toujours le dernier mot. Ils vont passer leur vie à être ses chiens de garde, à défendre la main qui les nourrit jusqu’à ce qu’elle décide, un beau jour, que la mode a changé, que la demande est ailleurs, qu’ils n’ont plus l’expertise exigée par les nouvelles normes. On va les remplacer par des robots ou par des drones, bien vite, alors la partie sera jouée pour eux aussi, on les vendra à des messieurs aux goûts raffinés, des connaisseurs qui payeront cher leur peau pour la servir, bien dorée dans une huile coûteuse, en banquet à leurs actionnaires.
Aux HEC, il [Brian] a appris que la grève, ça peut être une occasion de faire du profit sans avoir à dépenser en salaires, de rééquilibrer les ventes et la production. […] Il faut qu’il le répète souvent à Donatien [le père de Brian] : on va faire de l’argent avec cette grève-là. Tant que ça dure pas trop longtemps, moins d’un an : ils ont besoin d’au moins six mois pour écouler le bois de l’usine et les palettes à l’entrepôt de Québec, prêtes à passer la frontière pour revenir en american dollars, deux, trois millions à aller chercher sans avoir une cenne à dépenser en ressources humaines. Quelque chose comme une bénédiction (p. 37).
Quelquefois, quand ils quittaient discrètement sa chambre à la fin de la nuit, après l’avoir sucé pour le remercier pour son écoute et pour ses bières, les garçons lui confiaient à mi-voix, comme si c’était quelque chose d’exceptionnel, qu’ils songeaient parfois au suicide et Querelle se sentait important.
Des fois, ça coûte moins cher à une compagnie de fermer son usine, […] comme ça arrive partout et remplit les nouvelles régionales à l’heure du dîner. Mettre les spaghettis dans la casserole, perte d’un contrat en sous-traitance, chauffer la sauce, hausse du dollar canadien, égoutter les pâtes, investissements sans garantie, râper le fromage, coûts élevés de la certification écologique, tu finis ton assiette, les délocalisations, les fermetures sont dures à digérer et t’es pas sûr d’avoir un emploi demain.