« Puisqu'il le faut.
Entraînons-nous à mourir.
A l'ombre des fleurs. »
Koyabashi Issa (1723-1828)
Émouvant, un cerisier en fleurs, un livre grand comme le monde « Chasser les ombres » est l'éphéméride. Louis est âgé, solitaire, malade, en proie à la dernière marche de sa vie, il sait l'heure urgente, sournoise et imprévisible. Dans un même tempo, ses pensées vers son fils du bout du monde au Japon, sont cruciales et battements de coeur. Il cherche dans le flot des errances, l'étincelle qui le raccrochera à la vie. Revoir son fils. Les années sans lui sont des écorchures vives et profondes.
« L'enfance est un puits sans fond. En sortir prend toute une vie et la mort nous y ramène invariablement. Louis en faisait l'expérience, il était à l'âge où chaque geste, chaque mot était un appel au recommencement. »
Écrire, dévoiler à son fils les mots épiphanies, l'amour et ses craintes abandonnées dans l'entrechoc de l'âge. Lui qui n'a pas son fils Lucas s'élever dans l'entrelac des jours glorieux. Ombre pour ombre, la pudeur des absences, « aux particules fragmentées des souvenirs ». Lucas vit avec Mikki, solaire et délicate aimant Flaubert et traductrice freelance. La connivence heureuse, un couple qui devine intuitivement les gravités, l'écorce rebelle des émancipations. Ils ont un fils, un jeune adolescent Akito signifiant « l'homme de l'aube » en hommage au poème Aube de Rimbaud. Akito est en proie aux turbulences intérieures. La flamboyance n'est plus. Il plonge dans un gouffre, la matrice égarée, refuse le jour et la lumière, les autres et lui-même.
« Le regard qui la fixait comme une étoile morte était celui d'Akito. »
« Chasser les ombres » est le liant. Ici, pas de roman, d'histoire, seul, le réel des possibilités. Les écueils arriment la trame, soufflent sur les ombres et forcent le destin. Lucas va recevoir une lettre, celle de son père. le choc sera violent, un tsunami intérieur. Mais la gestuelle en filigrane aura raison de ses remords. Lui répondre ? Il faut attendre les bourgeons regain sur les branches encore frigorifiées. Ici, c'est l'aurore boréale, les mutations des coeurs qui vont oeuvrer au chef-d'oeuvre. Que ce livre est beau et donnant ! Poursuivre la lecture, les ombres s'enfuient même au profond de nos propres regards.
« On apprend à chasser les ombres ainsi. En s'aimant la nuit et en se parlant le jour. Se parler pour faire taire leur voix. »
Akito sombre dans sa chambre, radeau de Géricault, sables mouvants, vivre hors du temps et de l'espace dans les bruissements des ombres qui figent l'existence même. Un « hikikomoris » un reclus essentialiste, parabole de la rémanence. Que va-t-il se passer dans ce langage où tout est théologal, attente et murmure ? Lamia Berrada-Berca délivre des mots sur les maux, les renaissances en advenir. « Chasser les ombres » est un miracle. Louis et Lucas retrouveront-ils l'heure des fiançailles renouées ? le seuil des révélations ?
« Chasser les ombres » est l'éternité. Culte, magistral et inoubliable. En lice pour le prix Hors Concours des éditions indépendantes 2021. Publié par les majeures Éditions Do.
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Immersion sous une pièce de tergal noire, dans la peau d'une jeune femme maghrébine immigrée. Prisonnière de sa burqa, de som mari, de sa condition de femme soumise à des "traditions" qu'un livre d'Emmanuel Kant va ébranler. Ce récit, qui s'apparente plus à une nouvelle qu'à un roman, s'attache à décrire le quotidien de cette femme et de sa prise de conscience. Qu'en sera-t-il du chemin qui mènerait à sa libération ?
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Aminata, dont on découvre le prénom au fil du livre, a été arrachée à son village, mariée et emmenée en France par son époux. Elle y vit avec lui et leur petite fille. Ne sachant ni lire ni écrire, et ne parlant pratiquement pas le français, elle subit un isolement supplémentaire, et non des moindres, avec l'obligation de porter un voile intégral.
Deux évènements vont asseoir sa volonté d'indépendance et de liberté. Tout d'abord une robe dont le rouge éclatant accroche son regard dans une vitrine devant laquelle elle passe comme un fantôme. Puis un livre déposé sur le palier du voisin, et qu'elle vole.
Elle tournera autour de ces deux objets, longtemps, au rythme des questions qui lui viennent, sur ce qu'elle est, ce qu'elle peut être, ce qu'elle souhaite pour sa fille, et comment...
L'écriture est d'une poésie sobre, les mots vont droit au but. Le questionnement d'Aminata se heurte aux murs de l'appartement, ou aux limites de la cage de tissu qui l'entrave.
J'ai suivi l'éclosion de cette femme pas à pas avec passion, la gorge serrée.
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Une découverte magnifique car une histoire pleine d'espoir et de douceur malgré tout.
Une jeune femme, voilée, sous sa longue robe noire qui la rend invisible au monde, découvre le désir à travers la vision dans une vitrine d'une petite robe rouge. Le rouge, couleur du cri. Et après cette vision, plus rien ne sera jamais pareil dans sa vie. Elle commence à réfléchir, à saisir qu'elle est finalement un individu et non plus qu'un objet quotidien. Puis elle tombe sur un livre, un livre de Kant. Mais c'est sa petite fille qui va lui en lire des passages car elle ne sait pas lire et ne sait pas écrire. Alors, les voilà les deux, dans la pénombre, à lire des passages de ce livre et là, son esprit s'ouvre encore un peu plus à ce qui est raison, ce qui est soi, ce qui est vivre, ce qui est être.
Franchement, un très beau petit livre, je suis réellement enthousiaste. Je le conseille vivement, comme il m'a été conseillé car il ouvre aussi en soi une réflexion personnelle.
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Un tout petit livre pour mettre en lumière (c'est le cas de dire) la condition de cette jeune femme musulmane qui a suivi son époux en France. Ce pays est porteur de promesse de bonheur et pourtant rien ne change. La jeune femme, on ne la nomme qu'ainsi, ne voit pas de différence: elle continue de porter la burqa et vit isolée chez elle tandis que sa petite fille va à l'école et que son mari travail. Les jours succèdent aux jours dans la monotonie et l'ennui. Elle sort parfois pour faire les courses et s'aventure un peu plus loin que d'habitude et là, elle voit une petite robe rouge en vitrine qui allume en elle le désir d'autre choses. Parallèlement, elle entre en possession d'un ouvrage d'Emmanuel Kant ou sa petite fille lui lit: Sapere aude! (Ose penser). Sa vie en sera bouleversée. Jamais elle n'avait imaginer ce possible.
Un tout petit livre qui nous donne l'occasion de relire certains classique sur la condition féminine et la philosophie des Lumières quant au fait religieux. Une anthologie se trouve en fin de livre: elle est la bienvenue.
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Une écriture poétique et juste qui retranscrit la vie d’une femme cachée vivant dans la solitude et l’indifférence.
Cachée aux yeux de la societe derrière son voile qui l’invisibilise et l’exclu des rapports humains. Ce court récit prenant pour file rouge une robe rouge nous décrit la rencontre d’une femme avec les prémices de la liberté.
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Rouge, Liberté... Rouge, Liberté ... Rouge, Liberté... Liberté, Liberté, Liberté... à crier, à hurler, à imposer.
C'est comme un signal qui clignote dans sa tête.
Combat de femme, ce livre sous ses airs anodins est à laisser entre toutes les mains.
Qu’entraînera ce cap passé? Après avoir bravé ses peurs, quel sera son sort?
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« Kant et la petite robe rouge » est un court roman de Lamia Berrada-Berca, publié tout d’abord (2012, Editions La Cheminante, 104 p.) puis réédité (2021, Editions Do, 104 p.). En fait 103 paragraphes d’une longueur qui n’excède pas une page. Une petite fille et sa mère, deux autres femmes qui entourent la mère, la maitresse de la fille et la vendeuse de robes, et deux hommes, le mari et un voisin. Voilà pour les personnages. Les accessoires : un logement, sans plus avec cuisine et chambre, le magasin de robes, un livre et un dictionnaire.
Une femme donc, mariée, elle dit vendue, à un mari qui gère la famille selon ses principes. « Son but est de veiller à ce qu’elle soit bien propre et bien nourrie. A ce que la maison soit propre et bien tenue. La femme est programmée pour entretenir leur hygiène du bonheur à tous ». Il n’y a pas à revenir sur ces principes. Elle porte la burka sous la pression de son mari. « Elle voit le monde à travers un moucharabieh flottant ». Une chance, la fille, en âge d’être scolarisée, qui apprend à lire, à vivre, avant qu’elle ne soit, elle aussi vendue, c’est-à-dire mariée.
« Elle est passée devant d’abord sans la voir. Sans vouloir voir en fait. / A cause de sa longue tunique noire, sans doute, qui la rend différente ». C’est devant la vitrine avec la petite robe rouge, on s’en serait douté. Dès les premières pages, tout est en place, les personnes, les objets, les affects dont le désir, le silence, et l’ignorance. La robe rouge de la vitrine s’oppose à la longue tunique noire.
Le désir, oublié depuis longtemps, s’installe. Puis l’attente, jusqu’aux soldes. « Elle l’a vue. / Toujours là, toujours rouge, sa robe. / Elle l’a vue d’abord de biais, d’un peu loin, comme pour faire croire qu’elle attendait que le feu passe au rouge, histoire de l’admirer tranquillement ».
Il reste à ajouter les autres protagonistes, la vendeuse qui comprend le désir, a maitresse de la fille qui souhaite aider la femme. Reste un livre, déposé sur le paillasson du voisin « Qu’est-ce que les Lumières ? » de Emanuel Kant. Sans doute pas le plus facile à lire. « Sapere Aude » repris en rabat de couverture. C’est de Horace « Ose savoir » ou comment se servir de son libre arbitre. Encore eut il fallu savoir que l’on en avait un. Mais la maitresse explique tout à la fill.
« Quand le mari rentre, tout a disparu. Le livre dans la marmite, la petite fille dans sa chambre, la jeune femme dans sa cuisine ».
On est pratiquement dans le conte de fée pour adultes. On aimerait que la réalité soit aussi généreuse. Hélas.
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Merci aux éditions La Cheminante et à Babelio pour cette petite perle!
Une écriture fluide et légère malgré le sujet abordé. J'ai vraiment aimé la façon d'aborder le sujet sans rentrer dans des polémiques et sans agressivité. Nous sommes juste spectateurs de l'évolution de l'héroïne de ce roman qui combat ses peurs et qui recherche sa propre vérité sur le sens de la vie.
L'histoire vous plonge dans l'univers de ces femmes voilées et soumises (en apparence). Une petite lueur au fond de sa tête et son coeur lui disent que au-delà de la femme objet, de la femme mère, de la femme au foyer, il existe un monde à découvrir et un mode de vie bien différent de ce qu'elle a toujours connu. Cette fameuse petite robe rouge est le symbole d'une lutte permanente de la femme pour obtenir ses droits et ses libertés en tant que musulmane mais surtout en tant que citoyenne de ce monde. Le livre de Kant sera le second déclencheur qui lui permettra d'évoluer, de réfléchir, d'analyser et de souhaiter un avenir meilleur pour sa fille et enfin le voisin, qui détruit, en quelques mots écrits, les dernières barrières de ses doutes et de ses craintes de tout ce qui n'appartient pas à son quotidien de femme musulmane soumise.
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Ce tout petit opuscule nous fait pénétrer dans le quotidien d'une femme musulmane voilée, exilée en France avec son mari et sa fille, ne sachant ni lire ni parler le français.
Emprisonnée derrière son voile et le fait établi qu'une femme n'a aucun droit sinon celui de nourrir sa famille, "la jeune femme" (on ne connaitra son nom qu'à la moitié du livre, lorsqu'elle aura son premier geste de femme libre) vit retranchée dans son monde obscur jusqu'au jour où, par hasard, elle tombe en arrêt devant une robe rouge en vitrine : ce jour là, pour la première fois de sa vie, elle sera assaillie par un désir qui provoquera une fissure dans sa vie réglée... Peu de temps après, c'est un livre de Kant qui lui tombe entre les mains et qu'elle demande à sa fille de lui lire, qui va enclencher un lent cheminement vers l'autonomie, l'estime de soi et la liberté.
Un petit livre tout de sensibilité et de finesse.
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Un petit roman où on pénètre dans le quotidien d'une femme musulmane voilée.
Elle vit en France avec son mari et sa fille et elle ne sait ni lire le français, ni le parler.
Elles est emprisonnée derrière son voile mais un jour son obsession pour une robe rouge dans une vitrine va tout changer.
Elle va alors découvrir Kant à travers un livre qu'elle fera lire à sa fille, en cachette de son mari...
Un récit court, simple...pour voir ce qui se passe derrière le voile...
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Voici un livre qui est un véritable coup de cœur. Une belle écriture pour cette histoire simple mais tellement porteuse d’espoirs.
Berracada nous raconte de l’intérieur la vie d’une jeune femme, qui vit avec son mari dans la banlieue. Elle a suivi son mari en France, elle est voilée et ne peut accompagner sa fille à l’école que voilée de noir. Un jour, elle voit dans une vitrine une robe rouge et elle a très envie de se l’acheter. Ce désir et la découverte d’un livre sur le paillasson de son voisin va lui ouvrir son horizon. Sa petite fille va alors l’aider à découvrir un autre monde, que celui que son mari lui offre.
Ecrit à la première personne, ce livre va nous donner un point de vue différent. Ne nous laissons pas aller au premier regard et ce livre nous permet de comprendre aussi la difficulté de l’intégration. Une belle écriture. Un livre d’espoir.
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Ce livre m'ayant été chaleureusement recommandé par des amis, je m'y suis lancée avec un a priori positif... Et j'ai été déçue ! Le texte est très court, le style m'a déroutée, et surtout je suis restée sur ma faim, même si l'intention était louable : dénoncer l'oppression que connaissent certaines femmes originaires du Maghreb, venues en France pour rejoindre leur mari, maintenues par celui-ci dans une prison de tissu (la burqa) et une prison réelle (la quasi interdiction de sortir de chez elles). Je n'ai pas cru au personnage principal, pas plus qu'à son émancipation, sans doute parce que tout cela n'était pas assez développé. Dommage !
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