AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Laszlo Krasznahorkai (145)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Le baron Wenckheim est de retour

Voilà, le grand Krasznahorkai nous a probablement livré son chef-d’oeuvre, renouant avec la perfection de son premier roman « Le Tango de Satan », que d’autres lecteurs prennent là comme vivante comparaison, bien que leur situation politique soit complètement différente : communisme moribond face à ce nationalisme néo-libéral actuel, rendant le parallèle plus que savoureux, forcément nihiliste, voire misanthrope, cet humour désespéré comme trait d’union.



La forme, ces interminables phrases-chapitres, pleine de méandres et d’à-propos, à présent pleinement maitrisée par l’auteur, hypnotisant avec charme celui qui n’avait pas accroché aux chausse-trappes de « La mélancolie de la résistance », jusqu’alors son titre-phare (comme sa gardienne…).

Eclatante, elle propulse l’auteur dans les plus hautes sphères de la littérature mondiale.



Ricanant, on ne peut que l’accompagner, le Laszlo, au vue de son éditeur français, le « Gros C », révoltante maison donneuse de leçons, vendant pour quelques euros plus cher des livres produits chez de douteux imprimeurs d’Europe extrême-orientale ( bon… ils ont laissé tomber ces bandits bulgares de Pulsio, passant à présent par les pays baltes ), alors que les copains du Cher (18) ne peuvent même plus se saouler au blanc du Menetou-Salon, victime de ce mondialisme de merde qu’aucune révolte ne pourrait venir à bout

On n’insistera jamais assez sur le rôle de Tartuffe de ces gens là, à la pointe de leurs combats perdus d’avance, vendeurs de papier patentés, squatteurs de vitrine de ces librairies « indépendantes » pensant toutes pareilles, ayant Cambourakis dans leur chouchou non pour leur contribution à la littérature mondiale ( voyez : John Barth, Roberto Arlt, André Baillon, et tant d’autres… ), mais pour leurs bricolo-cartonnades façon Wendy Delorme, meilleure en tatouage et en deux-cent mètres miroir ( courir vite et loin en se regardant dans une glace…un régal… bientôt discipline paralympique ) qu’en relecture ou en rhétorique…



Cela semble dommage d’envoyer une telle charge lors de la critique d’un tel livre, mais c’est impossible d’en faire fi : dès le prologue, ce roman cristallise de manière jubilatoire tout ce qu’on pourrait reprocher à la pseudo-modernité, laissant le lecteur goguenard à la pensée de sa lecture par la patronne, amatrice de vol sur balai.

On laissera bien-sûr toute les latitudes d’interprétation pour une oeuvre si riche en sens, libre à eux d’y voir, dans un quatrième degré rempli de perversité, quelques réponses à leurs envies… Rien n’y fait, le propos de Krasznahorkai ne s’accordera ô grand jamais avec leur vision du monde, confirmant par là leur cruel manque de face, ou plus sûrement cette simple mentalité d’épicier, vendant de la viande rouge en étant végétarien…



Toute cette petite boue car… sinon… ce livre est tellement bon qu’il n’est besoin de s’attarder davantage sur son contenu, vous laissant user et abuser de grossièretés pour en qualifier le caractère jubilatoire, jusqu’au-boutiste, si rafraichissant de nos jours, véritable pavé jeté au hasard, mettant dos à dos tous ces extrêmes, brûlante réponse face à cette médiocrité généralisée.



Ce n’est pas tous les jours qu’on fait face à un tel livre…

Commenter  J’apprécie          10322
Le baron Wenckheim est de retour

La prose de Laszlo Krasznahorkai est tellement magnifique, que même s'il écrivait sur du n'importe quoi on le lirait avec plaisir. Ses phrases longues qui s'étendent sur plusieurs pages d'une musicalité incroyable qui se lisent facilement sont étonnantes. Dans la même phrase il décrit un personnage, le fait parler , penser , donner une explication qui s'ouvre sur une autre, sur une autre encore et encore … sans qu'on en perde le fil . D'un paragraphe à l'autre il saute d'un personnage à l'autre, d'un contexte à un autre, sans soucis ni pour lui ni pour le lecteur, quelle bravoure ! Et bien sûr bravo au traducteur qui a transcrit cette bravoure littéraire avec virtuosité, bien que je pense que certaines finesses et jeu de mots se perdent sûrement dans la traduction (page 200-201) . La lecture de cette tragi-comédie polyphonique publiée en Hongrie en 2016, et qui d'après l'auteur qui reçut l'International Booker Prize 2015 est Son Livre est une étrange et fascinante expérience dans un No man's land littéraire. Krasznahorkai nous en donne un avant goût dès son « Avertissement »en préface du livre, avec un chef d'orchestre qui donne des directives stricts à ses musiciens. Un chef qui semble l'alter ego de l'auteur qui s'adresse aux nombreux personnages du livre, une diatribe à la Beckett qui m'a bien fait sourire. L'emplacement de cet Avertissement semblerait d'emblée ne pas faire partie de l'histoire, mais une fois le livre terminé avec les titres des parties et la liste de la Bibliothèque de partitions en fin de livre il semble bien qu'elle en est l'épine dorsale.



Quand au « sujet » concret, il est dans le titre. Un Baron retourne à sa ville natale en Hongrie après avoir vécu quarante six ans en Argentine. Il rentre sans le sou, alors que la Ville attend impatiemment «  le richissime baron sud-américain » dont elle espère des miracles matérielles. le Baron lui-même a ses propres attentes de son pays natal devenu une « décharge à ciel ouvert », un état de police corrompu. Les deux parties en seront pour leur frais. Mais c'est juste l'affiche, derrière cette dernière se cache notre Monde contemporain où l'illusion masque la vérité souvent amère, et où chacun est seul, terriblement seul avec son destin. Krasznahorkai le contemple avec des lunettes noires , paradoxalement avec humour vu que n'ayant pas grand choix il vaut mieux et s'amuse à nous le raconter sans suivre un flux linéaire de pensée, dansant entre digressions, couches d'interjections, d'interruptions, d'insurrections, noirs, très noirs où gambadent une multitude de personnages de nos sociétés contemporaines, où qui dupe qui est difficile à cerner et tous sans exception souffrent de la difficulté d'exister. Des motards font leur propre loi au profit de l'Autorité, une fille naturelle veut se venger du père qui ne le reconnaît pas, le dit père étant un professeur de renom international qui a renoncé à tout pour retourner à l'état sauvage et soucieux de s'immuniser contre la pensée , entrent et sortent des personnages pop-up le temps d'un paragraphe….et le fameux baron du titre débarque en Europe et dans le Livre, vêtu d'une chemise et un pantalon jaunes, et coiffé d'un chapeau de paille à larges bords orné d'un ruban rouge, en plein hiver, soucieux de s'immuniser contre la parole. Un baron un brin naif pour ne pas dire débile 😁vu ses attentes surtout concernant Marietta, celle pour qui il est particulièrement revenu. « Le Baron », et non un monsieur Untel, dénomination d'une époque révolue, le dit personnage ne portant d'ailleurs aucun des signes de cette dénomination , à part les fringues dont l'a affublé la Famille pour sauver la face , dont des chaussures en croco qui tentent de s'accrocher à un sol boueux. Le paradoxe entre l'idée qu'on se fait de quelque chose et de sa réalité. La grande Farce que sont la Vie et le Pouvoir.



En fioritures s'immiscent d'interessantes réflexions teintées d'humour sur nos existences conditionnées et sur le caractère humain , des clins d'oeil à l'actualité ( enfin de 2016 😊), Dante le footballeur brésilien actuellement défenseur de OGC Nice à l'époque joueur du Bayern de Munich en compétition avec le Dante de Florence, les IPhone allongements naturelles de la main même dans un pays où règne la misère, les chinois qui comme partout font leur apparition dans une salle de billard au fin fond de la Hongrie , une lettre virulente adressée aux Hongrois , et en toile de fond les hordes de migrants qui remplacent les touristes , dans La Hongrie de Viktor Orban, un autre dictateur de petit calibre.



Krasznahorkai est un immense écrivain compatissant mais impitoyable. Ses divers personnages violents, manipulateurs, impitoyables …sont aussi aimants, impatients, perplexes, pleins de regrets, effrayés, pleins d'espoir et intimes avec le monde inhumain dans lequel ils se trouvent, bref des êtres humains réels, que l'auteur aime sans l'ombre d'un doute mais qu'il n'hésitera pas à broyer ne laissant à la fin qu'une liste de partitions plus matérielles qu'humains, avec un dernier mot « Da capo al fine », effrayant , celle d'une boucle qui se ferme, sa fin étant son début.

Géniale.





« La peur est l'élément qui détermine l'intégralité de l'existence humaine. »



« Un artiste n'a qu'une tâche : poursuivre un rituel. Et le rituel est une pure technique. »

Laszlo Krasznahorkai





Commenter  J’apprécie          9930
Au nord par une montagne, au sud par un lac..

Foudroyée par la prose de l'écrivain hongrois Krasznahorkai, suite à cette première rencontre, j'en ressort subjuguée. Difficile d'écrire sur ce livre inclassable. Juste qu'il faut se laisser entraîner dans le flot de ses phrases interminables, sans chercher à savoir où il nous emmène, et savourer le moment même de la lecture.

Pour le peu de repères, nous sommes au Japon. L'époque ? aucune idée. Et nous suivons le petit-fils du prince Genji ( je suppose celui du Dit du Genji, mais vu les anachronismes, il semble plutôt son fantôme ), qui descend du train à Kyoto et se rend au Pavillon d'or, le fameux pavillon d'or de Mishima, en quête d'un jardin caché et enchanté entr'aperçu dans un livre. A sa suite nous nous laissons bercer et perdre dans les méandres du temple, de son monastère, de son jardin, et dans ceux de la prose de Krasznahorkai. Un voyage passionnant au coeur de la vie, où l'écrivain nous initie à méditer sur l'essence même de ce qu'on voit, on regarde, on observe, comme le magnifique chapitre XXIII, sur l'édification des sanctuaires qui devaient se dérouler en respectant à la lettre le mode de vie des arbres dans leur milieu naturel, voir ici la passionnante saga des kinohis, les cyprès du Japon. Mais Krasznahorkai est imprévisible, il aime perturber. Se mouvant librement dans le temps, il tranche sérénité et beauté d'un monde idéal, avec des éléments et détails dérangeants de notre vrai monde beaucoup moins harmonieux.

Pour moi une belle rencontre et une expérience littéraire intéressante.







“Le Bouddha lui-même, ...se tenait immobile...Il n'avait pas bougé et n'avait pas changé cela faisait exactement mille ans...et rien dans son port de tête, dans son célèbre et beau regard n'avait changé au cours de ces mille années: il y avait dans sa tristesse une délicatesse poignante, une grandeur inexprimable, alors qu'il détournait ostensiblement son visage du monde. On racontait que s'il tournait la tête, c'était pour regarder derrière lui, regarder un moine nommé Eikan,dont les paroles étaient si belles que le Bouddha avait souhaité voir celui qui parlait ainsi.

La réalité était radicalement différente, et il suffisait de le voir une seule fois pour le savoir: s'il avait retourné son beau regard, c'était pour ne pas être obligé de voir, ne pas être obligé de regarder, ne pas être obligé de remarquer, s'étendant devant lui dans trois directions : ce monde pourri.”

Commenter  J’apprécie          9815
The Manhattan Project

Manhattan Project est une espèce de journal tenu par l’auteur hongrois Laszlo Krasznahorkai durant un séjour à NewYork entre Septembre 2015 et Mai 2016 , où on lui a accordé

la faveur 😊 d'être boursier pendant une année universitaire. Cherchant l’inspiration pour une nouvelle histoire il part sur les traces de Melville et y croise Malcolm Lowry, et un peu plus tard Lebbeus Woods un architecte new-yorkais dont les dessins et les maquettes vont le foudroyer. Accompagné des superbes photos en noir et blanc de Ornan Rotem, l’éditeur des Éditions Sylph qui a publié cet ouvrage, on va suivre le processus de création littéraire de Krasznahorkai qui s’avère un chemin de croix, loin de ce que l’on peut imaginer.

Dans ce Manhattan où il est venu avec sa femme passer un séjour sabbatique tout frais payé , déjà du premier jour les règles imposés par la Fondation aux boursiers vont le mettre mal à l’aise, très mal à l’aise dans ce pays qui se proclame « Pays des droits de l’homme », Pays de la Liberté , dans la ville où La Dame élève la torche qui symbolise toutes les valeurs associées à la liberté. C’est le début de la fin où chaque jour , à chaque instant il pensera à lâcher tout et retourner en Europe. Mais le reste , l’appartement avec vu sur le Hudson , la possibilité de fréquenter une des plus importantes bibliothèques du monde, la chance de vivre à NewYork va l’en dissuader, pourtant tout sera très difficile pour lui……À travers Melville dont l’œuvre sera méconnue durant toute son existence passée à faire l’inspecteur des douanes de bas grade à 4 dollars par jour , et la façon que les sponsors le traiteront lui, lui donnera la mesure de ce que ce pays accorde comme valeur à la création littéraire. Ils oublieront de mentionner son prix d’International Booker Prize 2015 dans la biographie publié à l’occasion de ce séjour, ils oublieront de même que Belà Bartok , un des plus grand compositeurs du XXieme siècle, de surcroît hongrois, a vécu un bon moment à Manhattan. Malgré toutes ces déceptions Laszlo persévèrera sur les traces de Melville 😊!



Les photos stupéfiantes en noir et blanc de Rotem renforcent étrangement les impressions de Laszlo; comme à la page 74, alors qu’il erre dans le district financier la tête en l’air il se retrouve face à un bâtiment gigantesque en un bloc qui s’élance dans le ciel sans fenêtre ni porte….la photo de Rotem à côté amplifie cette sensation de puissance que cette édifice impose à l’auteur. Construit par John Carl Warnecke à l’origine pour loger les quartiers généraux de AT&T, aujourd’hui nul ne sait quelle fonction il remplie : pourtant comme une pyramide son impact sur l’imagination est très fort, et la photo en est la preuve.



Ce que j’aime chez Lazslo c’est sa simplicité et son humilité bien qu’en réalité l’homme est très sophistiqué, pourtant il n’est pas un faux modeste, il est seulement très lucide, intelligent et honnête. Il termine son Manhattan Project avec une liste ( il aime beaucoup faire des listes 😁) et annonce qu’il en a fait une novella qui s’appelle « Spadework for a Palace », que je vais bien sûr lire de suite. Décidément un écrivain qui commence à devenir une addiction pour moi 😊.

Le livre malheureusement non traduit encore en français est magnifique aussi comme livre objet, pour qui lit l’anglais le recommande expressément malgré le prix.

Avant de terminer ce billet une question, connaissez- vous le nombre 666 ? Si oui vous pouvez me laissez un commentaire, merci et Laszlo vous remerciera aussi ( p.78), car il est superstitieux 😊!





Every place you’ve ever been, someone else has been before you. This is most pronounced in urban settings and becomes gradually less tenable the less inhabited the setting, until the exact opposite becomes true once one reaches the appalling ocean that surrounds the verdant land ( Herman Melville )



Partout où vous avez été, quelqu'un d'autre a été avant vous. Ceci est plus prononcé en milieu urbain et devient progressivement moins tenable à mesure que le cadre est moins habité, jusqu'à ce que l'exact opposé devienne vrai une fois que l'on atteint l'épouvantable océan qui entoure la terre verdoyante (Herman Melville)

Commenter  J’apprécie          8924
Spadework for a Palace

Cette novella d'une seule phrase de 96 pages ( avec quand même un monolith au centre comme la structure de Woods qui figure sur la couverture, bien délimité avec des points ), oui, oui , vous avez bien lu, est un exploit , exploit pour l'écrivain et pour la lectrice et le lecteur. Quand au sujet vu qu'il a été inspiré de ce séjour en résidence à NewYork ( voir son livre / journal « Manhattan Project ») traite d'un bibliothécaire assez singulier qui désire créer une bibliothèque fermée en permanence à TOUS et à tout prix, un désir qui va le rendre fou….Il s'appelle Herman Melville, non pas l'écrivain , juste une coïncidence de nom qui lui causera des désagréments à l'école et ultérieurement au travail comme d'être interpelé d'un « Hey Melville comment va ta baleine ? Pourquoi ne l'emmènes tu pas avec toi ? ». Il vit à Manhattan et travaille depuis 41 ans à NYPL, la grande librairie publique de NewYork où Laszlo a travaillé sur son livre durant sa résidence. Vu la théorie du bibliothécaire singulier, Laszlo aurait aussi bien pu travailler dans un bar ou un café, inutile qu'il occupât l'espace de ce sanctuaire 😊. Melville a aussi un intérêt obsessionnel en trois grand noms du monde de la Littérature et de l'Art qui eux aussi ont vécu et travaillé à Manhattan : tiens tiens 😊 Herman Melville et Malcolm Lowry et l'architecte Lebbeus Woods, trois noms qui obsèdent aussi Krasznahorkai 😊! Provocateur et obsessionnel il est aussi râleur. Il critique avec virulence l'architecture de Manhattan, et sa recherche de Melville l'homme, dans son oeuvre et ses nombreuses biographies de plus de 1000 pages n'aboutissant à rien , il est exaspéré : où se trouve ce Melville ????….Et il va même râler contre Krasznahorkai ( je suppose), pour des notes sur Bartok qu'il a laissé dans un livre emprunté à la bibliothèque 😁.

Mais le vrai coquin ici c'est Laszlo Krasznahorkai ! Comme La Grande Vague de Kanagawa de Hokusai, dans ce court texte il nous happe avec une vague gigantesque continue , nous malaxe dans son tourbillon et nous dépose sur le rivage totalement étourdi, heureux ou malheureux difficile d'en saisir la différence, que s'est-il passé 😊? « La Vérité n'est pas un obstacle » était annoncé en préface….et « entrer dans la folie des autres » , c'était dans le titre, il avait prévenu, il fallait faire attention, il n'y a rien à lui reprocher 😁!



Krasznahorkai est un univers avec ses phrases interminables, ses obsessions, son Satan qui se sert « à sa table même »……et là j'aimerais faire une référence à mon amie babeliote Arabella qui l'ayant rencontré en personne , m'avait laissée dans un commentaire à mon billet sur Manhattan Project,«  … sa manière de parler d'une grande douceur et bienveillance.Et il fait des phrases presque aussi longues que dans ses livres. ». Donc un cerveau qui fonctionne hors norme d'où le pourquoi de ses phrases si longues d'un naturel incroyable coulant tranquille comme un fleuve , mais qui paradoxalement vous happent comme des ondes énormes dont le résultat est un voyage dans un No Man's land littéraire qui ne peut laisser indifférent. Pour les curieux et curieuses comme moi c'est une félicité émotionnelle et intellectuelle. Si je comprends tout ? Non aucune prétention, la satisfaction pendant , à la fin et celle de l'après lecture qui me fait réfléchir encore longtemps sur ses livres, est grande et là je vais citer Lazslo lui-même en admiration face au trio Melville-Lowry-Woods ( moi face à lui ), « supporter le fait que votre vie ne peut être au mieux qu'une admiration passionnée pour eux, mais c'est justement cette conscience de la distance entre vous et eux, l'existence de cette distance, qui donne de l'importance à votre vie en donnant de l'importance à La vie elle-même,… ». Il divague beaucoup mais avec une logique intrinsèque ,or pour moi la vie est aussi une divagation continue avec une logique intrinsèque , donc j'y trouve mon compte 😁!



« 

…le fait est que Melville m'avait enchanté, étourdi et ébloui tout comme Woods m'avait ébloui avec ses visions, que j'ai absorbées, mais sans jamais arriver à comprendre pleinement, et j'ai aussi découvert pourquoi, parce que dans le cas des dessins de Woods , tout comme avec les phrases de Melville, au-delà d'un certain point, il n'y a plus d'avancée à faire vers une pleine compréhension, bien sûr un chemin de compréhension existe mais vous ne pouvez avancer sans entrave que d'une certaine distance, puis vient un point où vous ne pouvez plus aller plus loin. plus loin, où il faudrait faire un saut acrobatique pour arriver à la compréhension parfaite, un saut que tu n'es pas capable de faire, ou du moins je ne le suis pas,… »



Commenter  J’apprécie          8710
Le baron Wenckheim est de retour

Je ne pouvais qu'accrocher à ce livre dès les premières lignes, j'ai bien dit lignes et non phrases vous noterez, ce détail a son importance vous allez comprendre pourquoi, dès les premières lignes, donc, puisque de phrases il y en a peu, et que la première fait très exactement six pages - six pages ? s'étouffe Chou dans son café matinal, mais comment as-tu fais pour reprendre ton souffle Onee-chérie, toi qui lisais ça avec la plus grosse crève que tu aies eu depuis des années, six pages, comment as-tu respiré, toi que j'entends te moucher, souffler et aspirer difficilement par la bouche quelques bribes d'air coloré de romarin, que diffuse ce bol d'eau chaude que tu laisses en permanence auprès de toi pour maintenir un taux d'humidité acceptable pour tes narines asséchées, oui six pages mon amour mais ça se lit si bien, ça coule si facilement qu'on ne se voit pas tourner les pages, vois-tu, pour la simple et bonne raison que nous voulons arriver à la fin de cette sentence pour avoir enfin le fin mot du message qu'elle met tant de volonté et de virtuosité à nous délivrer, et puis en une phrase, tu sais, il se passe beaucoup de choses car en une phrase, l'auteur donne la parole à plusieurs personnes qui nous relatent plusieurs faits et, surtout, en une seule phrase l'auteur nous fait voyeur et nous fait entendre les pensées les plus intimes, les plus obscures voire les moins avouables de chaque personne présente dans la pièce et qui font un échos, parfois dissonant et c'est tout l'intérêt, à leur discours oral et public puis, parfois, l'auteur se décide à nous abandonner un point en pâture, là, comme ça, il change de paragraphe dans la foulée mais, tout accaparés que nous sommes par les pensées du personnage précédent, nous ne nous en rendons même pas toujours compte et nous poursuivons, sans nous arrêter, la course folle des pensées d'une autre personne, et nous nous en apercevons à un détail, un mot, une expression déjà utilisée auparavant ou le contexte qui a changé, et nous raccrochons les wagons sans plus d'effort, presque sans y penser tant nous sommes nous-mêmes devenus ce flux de pensées ininterrompues délivré par l'auteur, oui, délivré, comme s'il avait ouvert la cage des pensées des personnages de toute cette ville hongroise et que celles-ci nous parvenaient toutes pêle-mêle, les unes après les autres, les unes avec les autres, les unes mélangées, que dis-je, intriquées aux autres car, après tout, c'est bien leur somme qui constitue ce personnage à part entière qu'est cette ville - ne dit-on pas d'ailleurs qu'une ville se compte en âmes ? Eh bien ici elles ouvrent les vannes jusqu'à faire bouillonner votre cerveau, bouillonner ces êtres qui ensemble s'échauffent et s'écharpent dans un contexte économique tellement peu favorable que, crois-moi ou pas Chou, tous les habitants de cette ville misent leur avenir sur l'arrivée du fameux Baron WENKHEIM éponyme alors que, devine quoi, je te le demande devine un peu, s'il revient au bercail après tant d'années passées en Argentine c'est, selon la rumeur, la queue entre les jambes et sans le sou du fait de son addiction aux jeux mais ça, Chou, ce n'est pas un spoil alors pourquoi les gens semblent tant croire qu'ils va redresser la situation de la ville, ça, ça reste un mystère d'autant que, si tu veux mon avis, leur baron l'est pas fin-fin l'amigo mais bon, pas de jugement toussa-toussa alors je ne dis rien, je laisse le public juger par lui-même car, tu verras, le public n'est pas ce qui va manquer dans cette funeste farce, alors donc tu me le conseilles, ose timidement un Chou quelque peu déprimé à l'idée de devoir se coltiner 500 pages sans pouvoir souffler alors que, ce genre d'écriture, c'est précisément ce qui le fait souffler tout son saoul habituellement et puis d'ailleurs, la Onee elle est bien mignonne mais elle ne lui a pas encore dit ce que ça racontait tout ça finalement, qui sait si je ne vais pas me retrouver à devoir lire 500 pages d'un livre qui ne raconte que l'arrivée tant attendue du baron, eh bien oui, lui avoua-t-elle après qu'il ait eu l'impudence d'exprimer ses craintes à haute voix : oui mon amour, tu m'as bien vue venir avec mon étoile en moins tombée du ciel babéliote qui en comporte normalement 5, oui l'histoire en elle-même tient toute entière dans l'attente, par chaque personnage, de cette arrivée qu'ils veulent tous providentielle puis, et là un espoir s'immisce dans les yeux du mari pour s'éteindre aussitôt après, à la moitié du roman, lorsque le baron arrive enfin, l'histoire ne tient plus qu'à la réaction de toute la ville face à la déception qui l'attend mais, et Onee se dépêche de glisser ce « mais » avant que Chou n'oppose un véto ferme et définitif à cette lecture, si tu ne lis pas ce livre en exigeant de lui ce qu'il ne peut pas t'offrir, c'est à dire une action foisonnante avec les réponses à toutes les questions qu'il t'a minutieusement posées depuis le début, alors seulement tu seras en mesure de profiter pleinement de son rythme, lent mais actif, long mais truculent, et sa fin romanesque mais symbolique, car sous ses airs d'exercice de style le Baron Wenkheim cristalise tous les ingrédients de la satire sociale qui lave ses dessous de table pas très propres en public, oui, et tu crois que tu vas convaincre tes babelpotes avec une critique pareil ma Chérie ? lui demandais-je un peu dépité de savoir qu'elle allait me la faire relire avant de vous la présenter et que, sauf à croire au miracle, j'allais très certainement devoir faire face à ce que l'une d'entre vous appelle une "chronique miroir" et donc, certainement, une critique sans point… Alors, comme si vous la lisez c'est que je l'aurais validée, soyez sympa ne jetez pas le mot « tomate » en MP sur ma page Chou_dOnee, oh mon Dieu ça y est elle m'amène l'ordinateur et je vois, oh non, pas un ou deux mais mille mots brûler en même temps de se faire lire, comme ça, sans point, sans ordre, non pas l'un après l'autre bien ordonnés mais tous en même temps, pêle-même et à la suite et, rien qu'à voir cette page, mon cerveau prend feu… c'est l'enfer !!! Onee m'a tuer et son prince charmant va redevenir... crapaud ;-)

.

Matériel utilisé et disparu pour faire cette critique - entre autres :

- énergie,

- temps,

- Chou

- etc…

.

Matériel utilisé et détruit par cette critique :

- cerveau de chou.
Commenter  J’apprécie          8391
La mélancolie de la résistance

Imaginez un instant de pouvoir mélanger le côté noir, fantastique, fantasmagorique d’un Kafka, la facette désabusée, pessimiste et vouée au néant d’un Beckett, l’humour décalé et voyeur d’un Kennedy O’Toole , voire l’humour grotesque et ironique d’un Günter Grass …Le mariage de la Métamorphose, de Molloy, de la Conjuration d’un imbécile, du Tambour…bref la fusion sublime de quelques-uns de mes livres préférés…et bien, voilà la synthèse de ce livre, la Mélancolie de la résistance de Laszlo Krasznahorkai. Onirique, glaçant, jubilatoire, si je devais le résumer en trois mots. Un chef d’œuvre hongrois qui restera longtemps gravé en moi. Un étouffoir plongé à – 17 degrés, le chaud et le froid s’alternant tout le long du récit avec maitrise me laissant gluante d’admiration oppressée.



Nous pénétrons une petite ville du sud-est de la Hongrie avec Mme Pflaum qui rentre en train d’une réunion de famille. Tout se passe mal : le train n’est pas celui prévu, elle subit les regards lubriques et inquiétants d’un homme ivre, une paysanne est passée à tabac sans que personne ne trouve rien à redire, les lumières dans la ville ne fonctionnent plus, des bandes de gens menaçants semble rôder. Une menace plane, le danger n’est jamais nommé mais nous comprenons petit à petit que nous assistons à la déliquescence de cette ville, à la perte de ses repères, à la perte de son intelligence. Nous pénétrons dans la ville à bord d’un train fantôme et déambulons, glacés, dans cette ville sinistre et glauque qui se métamorphose sans que nous n’ayons aucune clé de compréhension. La rumeur évoque juste une « catastrophe imminente ». Nous sentons l’arrivée proche d’un effondrement, d’un séisme. Et, chose surprenante, tous les signes maléfiques convergent vers une bande de forains douteux, un cirque à l'unique attraction, une monstrueuse baleine. Cela semble être la source de toutes les perturbations que rencontre la ville, plantée dans une atmosphère de déréliction, d’angoisse, aux contours flous. Une chose visible cependant : les détritus qui jonchent la ville. « À perte de vue, l’ensemble des trottoirs et des chaussées étaient recouverts d’une cuirasse lisse et uniforme, une rivière de déchets piétinés et verglacés qui serpentait à l’infini dans le clair-obscur en émettant un scintillement surnaturel. Trognons de pommes, bottes éculées, bracelets de montres, boutons, vieilles clés rouillées, on trouvait ici tout, remarqua froidement Eszter, ce que l’homme pouvait laisser derrière lui comme trace de son passage, et plus que la vue de ce « Musée glacé de l’existence en perdition », puisqu’on ne constatait aucune différence dans son contenu, c’est la lumière de cette couche verglacée qui le troubla, une lumière argentée, surnaturelle, comme l’ombre du ciel, scintillant entre les maisons. » Notez la poésie même dans la description du chaos…



Comment faire face à cette menace ? Comment résister ? En se confectionnant un cocon illusoire composé de bric et de broc, de moult objets et de plantes, tel un rempart illusoire derrière lequel se cacher et un peu oublier ? En ambitionnant avec calcul et perfidie de s’accaparer le pouvoir une fois le calme revenu ? En s’enfermant et en ne participant plus, en rejetant totalement la vie en collectivité ? Finalement, celui qui semble résister le mieux est Veluska, le fils rejeté et méprisé de Me Pflaum, dont la figure m’a profondément émue, un simple d’esprit moqué mais toléré, ou plutôt un autiste d’après ce que je peux percevoir, qui semble être le seul à comprendre ce qui se passe et surtout qui est , malgré tout, le seul à avoir gardé sa capacité d’émerveillement envers et contre tout, le seul à garder espoir, la seule personne totalement pure et angélique. A avoir gardé ses yeux et son regard d’enfant. Un ange. Enfin, au début en tout cas. La Mélancolie de la résistance est l’histoire tragique de la perte de cette innocence. L’impossible résistance face à cette perte. Une résistance vaine. Car au contact de la violence perpétrée par ces bandes de sauvages, cette horde de voyous, Veluska comprend que la loi du plus fort est la seule loi réelle, loi dans laquelle il va se fondre pour ne plus être moqué, loi qu’il va accepter avec un flegme glaçant. De même que le lucide M.Eszter a perdu foi au monde quelques années plus tôt, depuis qu’il a découvert, par hasard, que la personne qui lui accordait son piano modifiait d'une quinte certaines tonalités, son monde musical le seul qui lui semblait solide et immuable, donc digne de son intérêt, s'effondre. « Depuis son plus jeune âge il vivait dans la certitude absolue que la musique, le pouvoir incroyablement magique des résonances et consonances était l’unique et le meilleur moyen de réagir et de résister à la « saleté poisseuse » du monde environnant, une arme idéale, d’une exemplaire perfection, et il eut soudain le sentiment, dans cette salle des fêtes imprégnée d’une odeur entêtante de patchouli bon marché, que Frachberger, avec ses jacasseries séniles, venait de souiller gravement cette transparente idéalité. » D’ailleurs c’est ce même M.Eszter, véritable ami de Véluska voyant en lui la dernière personne pure dans ce monde corrompu et vain, qui comprend le danger qu’encourt le jeune homme si son innocence simple venait à percuter ce déferlement de haine et de violence. Craintes justifiées hélas.



Oui, la mélancolie de la résistance est un récit sans espoir sur la perte inéluctable de l’innocence contre laquelle il est vain de résister.



Ce livre est l’histoire d'une impossible compréhension du monde, le récit tragique et haletant de l'absurdité de la vie, le constat glacé et glaçant de la perte irrémédiable de l’innocence et de l’angélisme. La perte de tout sens. Une vision noire que seul l’humour grinçant et un tantinet chaud permet de rendre supportable. Je découvre cet auteur avec ce livre (et remercie au passage Valérie et Nathalie pour cette découverte), et ai déjà sous la main deux autres livres du même auteur : Guerre et guerre, ainsi que par le Nord… Gratitude d’avoir découvert Laszlo Krasznahorcai qui correspond au style littéraire que j’aime à la fois grave et burlesque, et au style maîtrisé, intelligent et foisonnant.

Commenter  J’apprécie          7328
La venue d'Isaïe

fin...comme fin du monde, fin du monde tel que nous le connaissons, fin de tout, fin du bien et du mal, telles sont les tristes prophéties qu'adresse cet homme, venu d'on ne sait où alors qu'il rentre dans un bar sans rien commander à boire. Non, il parle, regarde un autre homme fumer, retenir très longuement la fumée dans sa bouche avant d'en recracher la fumée, comme si lui aussi avait déjà compris que tout était fini et qu'il tentait, à travers ce geste, d'en retarder au maximum l'échéance. Un texte qui se présente sous la forme d'une carte postale que l'on ouvrirait mais que l'on aurait immédiatement envie de refermer après en avoir lu le contenu, tant celui-ci s'avère extrêmement dur. Les phrases sont extrêmement longues, avec de rares signes de ponctuation, comme si l'auteur lui-même voulait dire le plus vite possible, enfin écrire, ces terribles présages qu'il annonce ici, en finir au plus vite.



C'est un ouvrage que l'on m'avait offert il y a quelques années et dont je remettais sans cesse à plus tard la lecture comme si moi aussi, je pressentais que, malgré la beauté de l'ouvrage et son originalité qu'un message affreux se révélait être enfoui en-dessous, ce qui s'est bel et bien avéré être le cas mais il n'empêche que c'est une lecture que je ne peux que vous recommander, même si elle ne paraît pas facile d'accès au premier abord. Un ouvrage court mais très puissant par la force des mots et parfois, il n'est guère besoin d'en dire plus ! Aussi, je pense que je relirai très certainement ce dernier un jour mais en attendant, je vais me replonger très certainement dans une lecture beaucoup...beaucoup plus légère !
Commenter  J’apprécie          552
La mélancolie de la résistance

D'avance, navré pour cette critique.

...

Bah alors Laszlo, on a passé sa nuit d'insomnie à lire Wittgenstein ?

La bouteille de pálinka était vide ? Ou bien trop remplie ?

Désolé d'être aussi familier, voir un peu grossier… Ce n'est pas tous les jours qu'on se retrouve un peu seul, face à l'oeuvre majeure d'un écrivain apprécié, avec un drôle de goût dans la bouche.

Respirons profondément, déballons les circonstances atténuantes (humeur, condition, effet séquence du livre précédent, etc.), rappelons-nous que ce n'est qu'un avis parmi d'autres… Et pourtant, non, je suis tout dépeuplé face à cette pluie de louanges, jugeant parfait ce livre qui me laisse sur une amère déception.

Faiblesse, aucune envie de disserter sur l'intérêt de la critique, de l'illusion d'objectivité, de la pertinence des prix littéraires… tout ça… avez-vous vu passer la baleine ?

Appliquons-nous… on ne doit pas être le seul à avoir été défrisé par un livre comportant pourtant les éléments de la « réussite », l'auteur s'étant payé le luxe d'une auto-référence dans son très réussi « Thésée universel », comme une alléchante bande-annonce…

Je contenterais peut-être les adeptes du pluralisme, des nécessaires voix discordantes, mais j'en souffre… voilà que je bavasse…

...

Tout était réuni pour notre plus grand plaisir : une ouverture impressionnante, une histoire géniale, originale, des personnages campés de manière subtile mais bien identifiable, une incroyable tension… Mais un sourd bourdonnement s'y développe, jusqu'à rendre la traversée éprouvante, au point d'obliger le passager à demander des comptes au capitaine de ce baleinier, qui apparement prend plaisir à prendre les vagues de côté… Mon amie habituée au vent dans la figure (coucou Chrys) s'amuse beaucoup, alors que j'ai la nausée de toutes ces virgules… d'où ma maladroite référence d'ouverture au « Tractatus logico-philosophicus »… vous vous foutez de moi ?

Les non-dits, les ellipses, les fins ouvertes… très bien… mais n'est-ce pas une facilité pour ne pas développer ou répondre à une intrigue si bien amenée ? Une si mince frontière… qu'un cours de biologie anatomique sur la putréfaction achève de fermer la barrière…

Comprenant parfaitement où il veut en venir, le contexte, la parution en 1989, etc. Aidé par les belles critiques ci-jointes… mais rien n'y fait…

...

Croyez-le ou non, j'écris ceci devant une baleine en plâtre, trônant sur la table en verre de la maison de ma mère… A mon retour de vacances, je promets de m'y remettre, possédant déjà la bibliographie quasi-complète de ce truculent et verbeux hongrois, qui cette fois-ci m'a cloué une planche du mauvais côté de la fenêtre.
Commenter  J’apprécie          5116
Au nord par une montagne, au sud par un lac..

Sur le quai d'une gare. Personne. Juste du vent, pas l'ombre d'une brune. Juste de la poussière balayée par le vent. La brume s'évapore, la lune s'enfuit, un train siffle. Puis le silence. D'un quai vide, d'une vie vide. le train reprend son rythme lancinant, le regard sur l'horizon. Je regarde par la fenêtre le paysage défiler. Des arbres, des forêts, des clairières, des arbres, un lac. Je descends à l'arrêt suivant. Toujours personne sur le quai, personne qui m'attend. Je m'engouffre, petit chemin sous-boisé dont les méandres semblent grimper au-delà des montagnes. La sueur découle à chaque pas, atmosphère humide, au son des clochettes des temples voisins.



Bien étrange atmosphère où je plonge, à l'ombre de cryptomérias centenaires, un parfum de forêt et de solitude, dans un lieu à la fois mystique et mystérieux. Bien étrange bouquin que j'ai amené avec moi pour accompagner cette longue plage de silence où les âmes semblent avoir disparu, la mienne comprise. Entre deux pauses contemplatives, je lis quelques pages, ouvrant un roman hongrois, je me retrouve immergé dans la forêt du Kansaï à suivre les traces du petit-fils du prince Genji à la recherche d'un jardin d'une incroyable beauté.



Et là, la beauté s'étale sur toutes les pages, comme une geisha qui se couche lascivement sur un futon ou une bouteille vide qui s'épanche sur le sol. Tout y est majestueux, même avec la geisha qui a abandonné les lieux. Je l'ai déjà dit, il n'y a que le petit-fils, moi et la poussière de Kyoto qui sont balayés par le vent de ces pages. Entre deux notes de gongs et de silence. le silence est puissant, d'une beauté même cristalline. Quoi de plus beau que le silence me diras-tu ?



Nous errons entre les hinokis, ces fabuleux cyprès du Japon, nous entrons dans des temples millénaires, contemplons des bois, des portes, des fontaines, des jardins, pendant des heures et des phrases interminables et savourons chaque instant de silence, chaque poussière venue se poser à nos pieds. C'est un grand roman hongrois, un putain de roman japonais. D'une incroyable richesse, savoir, sensation, solitude.



Merci.
Commenter  J’apprécie          496
Thésée universel

Comme le narrateur, on pourrait être tenté d’essayer de tout décrire pour peut-être arriver à tout expliquer, tout en omettant l’essentiel.

Comme le narrateur, on pourrait faire référence à d’autres textes de l’auteur, créant ainsi une familiarité de sens, une mise en abîme du réel, sortie d’un rayonnage de librairie comme une ligne imaginaire déjà franchie, du papier en plus grand que la vie.

Comme le narrateur, on pourrait recommencer à dire « je », on pourrait s’interroger sur beaucoup de choses, les unes à la suite des autres. On pourrait écrire que la critique de Belle Sara avec un 5 comme un S suffit amplement.

Comme le narrateur, je suis probablement enfermé quelque part dans ma tête, et peut-être aussi dans la tienne, à dire des trucs que je n’ai pas encore bien compris, mais que toi tu trouves jolis.



J’ai mal à la tête.

Ce livre est très bien.

Ces deux informations n’ont rien en commun.
Commenter  J’apprécie          455
Le dernier loup

Laszlo K., dont je finirai par lire tous les livres, nous livre ici une histoire courte, trop courte à mon goût. Je comprend bien l'intérêt de la chose, aux temps du lecteur fatigué par les amoncellements.

Le procédé, comme celui d'un plan unique au cinéma, est très bien exploité, collant à l'histoire de cet homme pour lequel plus rien n'a de sens, jusqu'à l'absurde.

On entrevoit, à travers ce thème du dernier loup, les questions dont l'auteur aimerait nous entretenir, mais il manque à mon sens des éléments pour boucler cette boucle narrative chère à son oeuvre.

Petite mesquinerie pour finir, qui me trotte dans la tête depuis quelques temps, avec ces éditeurs dont les choix me ravissent, mais dont les tirages se font en Europe de l'Est... Sûrement hors-sujet, mais pensez-y la prochaine fois que vous passerez par le Cher...
Commenter  J’apprécie          433
Le dernier loup

Houuuuu ! Je viens d'en finir avec ce Dernier loup (2019) j'ai failli m'endormir comme le barman hongrois à qui un philosophe allemand désabusé raconte cette histoire qui lui est peut-être arrivée mais moi j'ai bu de la Vichy car il fait une chaleur suffocante chez moi et que l'eau de Vichy c'est mieux que la bière pour éviter la déshydratation et puis la Sternburger du philosophe berlinois pardon ce n'est pas ma tasse de thé de toute façon je préfère la bière belge car on a beau dire, comme dirait mon ami RobertB, avec la bière belge on n' est jamais déçu c'est pas comme avec cette nouvelle purée qui a reçu le prix Pullitzer et même été élue pépite de la semaine par Marianne, si, si, car au-delà de la prouesse stylistique, « du sublime phrasé qui se déplie » des digressions, de quelques clins d'oeil pince-sans rire et du documentaire animalier ushuaïesque, je n'ai pas été happée par la profondeur métaphysique de la « novella » si ce n'est qu'elle m'a trimballée via d'innombrables virages en Land Rover à travers l'Estrémadure du vide au vide, en m'assoiffant.
Commenter  J’apprécie          4133
Le dernier loup

Qu’est-ce qui fait qu’on accroche à un récit ? Qu’on lit 70 pages d’une traite ? Et qui ne comporte qu’une seule et même phrase ?

C’est l’expérience que j’ai faite afin de découvrir Lazlo Krasznahorkai dont BookyCooky nous avait dit grand bien sur Babelio – merci à elle.

Et ça marche.



Le thème ? Un homme soliloque dans un bar hongrois. Il vient tous les jours, boit sa bouteille – « Sternburger, bitte » - tandis que le bar diffuse de la musique turque.

Un jour il explique au serveur du bar qu’il a reçu une lettre. On s’est souvenu qu’autrefois il était un « professeur » et on l’invite à séjourner en Espagne. Plus particulièrement en Estrémadure, une région pauvre proche de la frontière portugaise. Là-bas, il pourra rester le temps qu’il souhaite, et se promener autant qu’il veut, pourvu qu’à la fin il écrive sur ce qu’il a vu et ressenti.



Notre héros, qui est plutôt un antihéros d’ailleurs, n’y croit pas du tout. Et pourtant il répond. Et pourtant c’est bien vrai, et il va partir.



Commence alors une sorte de road-trip, avec une femme traductrice d’entre deux âges, qui va le conduire, un peu par défaut, à enquêter sur l’histoire du dernier loup. « Nous irons là où le dernier loup a péri » peut-on lire. Et cette quête étrange, qui va le mener au fin fond de cette région désertée, va nous conduire jusqu’à une scène émouvante de la mort d’une louve, ralentie dans sa course par les petits qu’elle portait.



Qu’est-ce qui fait qu’on accroche à un récit ? Le style bien sûr.

Et celui de Lazlo Krasznahorkai nous prend et ne nous lâche pas.



Une seule phrase et 70 pages de régal, pour une histoire improbable mais qu’importe : me laissant l’impression d’avoir voyagé jusqu’à Caceres, Badajoz et Mérida, et puis ensuite dans ses grandes étendues quasi désertiques où une meute de loups avait trouvé refuge.



Un beau voyage grâce à la plume de cet auteur hongrois – un grand merci donc à BookyCooky pour avoir attiré mon attention sur cet auteur, dont elle a chroniqué "The Manhatthan Project" et "Spadework for a Palace" (je vous recommande ses billets) et que je vais garder en mémoire désormais.

Commenter  J’apprécie          4012
Le baron Wenckheim est de retour

Farce cruelle se déployant en miroir à une réalité aux accents de plus en plus funestes et chaotiques (à l'image du pays d'origine de l'auteur, piloté depuis plus d'une dizaine années par un grotesque Viktor Orban, toujours aux manettes à ce jour, hélas!), moulinée ici par la faconde époustouflante de l'écrivain hongrois, dans «Le Baron Wenckheim est de retour», Laszlo Krasznahorkai joue, devant un public bouche bée, une nouvelle version sidérante de son «tango de Satan» - titre de son premier roman, paru en 1985 -, cette milonga tragicomique qu'il s'applique depuis, avec brio, à chorégraphier au travers d'une oeuvre littéraire, mais aussi cinématographique -menée en collaboration avec son complice de toujours, le cinéaste Béla Tarr-, dans lesquelles la mesure (et la démesure) sont données par la corruption morale et l'abus de confiance sur des plus faibles, le mal décomplexé, la violence, la cupidité, l'imposture et la peur qui prévalent de tous temps dans les rapports de domination entre les hommes.



Dans cette nouvelle partition musicale, virevoltent en une frénésie de solos saccadés, segmentés, de tout petits chapitres se succédant les uns aux autres sans autre signe distinctif à part un simple changement de paragraphe, sautant allègrement d'un personnage ou d'une temporalité à une autre - deux pas en avant, deux pas en arrière – ce qui pourrait faire penser au départ, à tort, à une démonstration entêtante d'«exercices de style» postmodernes, mais qui s'avèreront toutefois, sous la houlette d'un maestro qui assume ouvertement sa toute-puissance et son intransigeance (voir à ce propos son «Avertissement» en préambule), s'articuler parfaitement entre eux et converger au fur et à mesure vers un même ensemble homogène, superbement orchestré.

Impromptus aux contenus aussi drolatiques que vénéneux, quelquefois franchement consternants ou pathétiques, jouissant chacun d'une certaine indépendance narrative et, à l'occasion, s'achèvant par de petites chutes bien à eux.

Constitués de bloc-phrases à géométrie constante, très impressionnante, dans un style où l'omniscience du narrateur et le discours indirect prédominent; de très longues phrases, recouvrant des pages entières et dont la cadence, en même temps que la rigueur de leur construction, l'intelligibilité - grâce notamment à un rythme et à une ponctuation respectueux du souffle de celui qui est en train de les déchiffrer-, réussissent à la fois à libérer et à canaliser une force expressive inimaginable.



Dotées d'un attrait ensorcelant, le lecteur se voit subjugué et, incapable d'arrêter le mouvement de ses yeux sur ce «reading-floor» interminable, est victime d'une sorte d'état hypnotique, un état proche de celui qu'il pourrait éventuellement se voir tenté d'imputer à l'auteur lui-même, médium peut-être, se dit-il, d'un texte qui aurait pu avoir été bel et bien psychographié !!!



Sérieusement...en un mot, c'est un tour prodigieux ce qu'accomplit Laszlo Krasznahorkai dans son dernier roman! Et extrêmement virtuose, à l'image d'un «Caprice» d'un Paganini débridé ou d'une gravure d'un Piranèse halluciné!



Le sentiment général d'absurde et d'inquiétante étrangeté qui s'installera progressivement dans le récit a pour point de départ un enchaînement astucieux de méprises et de leurres, de faux-semblants et de fausses rumeurs incontrôlables.



À commencer par le lecteur lui-même, qui pourrait naïvement croire s'embarquer dans une sorte de remake de «La Visite de la Vieille Dame», de F. Dürrenmatt!



Pendant les premières cent cinquante pages du roman, en effet, tous attendent impatiemment l'arrivée imminente du Baron Wenckheim, dernier représentant de la branche hongroise de l'illustre famille. L'on se prépare à l'accueillir en grande pompe, on s'interroge sur les véritables raisons de son retour, on spécule autour de cette fortune colossale qu'il aurait accumulée durant ses longues années d'exil en Argentine, on cogite surtout sur tous les bénéfices, financiers et politiques, à titre personnel et collectif que l'on pourrait extraire du retour du vieux et, le croit-on tout au moins, richissime baron.



En attendant Wenckheim, l'auteur dresse peu à peu, sur un ton mordant et satirique, drôle et en même temps affligeant par ce qu'il révèle des bassesses qui animent globalement les intentions et les gestes de ses habitants, la chronique de la déchéance économique et morale d'une petite ville de la Hongrie profonde à l'ère Orban.



Si d'un côté les traits peuvent donner le sentiment d'avoir été grossis par la loupe sans concessions de l'auteur, les travers que ce dernier pointe avec une délectation qu'il ne cherche point à cacher ( la révolte et la violence de certaines diatribes de Laszlo Krasznahorkai lancées contre la nation et le peuple hongrois pourraient sous certains aspects faire passer Thomas Bernhard pour un enfant de choeur!), ne sont cependant, ni tout à fait étrangers, ni compétemment éloignés de la réalité actuelle désastreuse de la société hongroise : peur de l'étranger et repli sur soi face aux vagues migratoires aux portes de l'Europe, montée en puissance des extrémismes et des groupuscules d'extrême-droite et néo-nazis, prolifération des mensonges d'Etat, des violences perpétrées contre les membres les plus fragiles de la société, dégradation économique et culturelle...



L'extrême noirceur du tableau n'épargnera rien, ni personne, excepté peut-être les personnages en rupture de ban, ou les simples d'esprit, ces derniers étant visiblement les seuls que le scepticisme radical de Krasznhorkai autorisera à s'extraire en partie de cette danse macabre qui court inexorablement à sa perte.



Dans le jeu de Tarots personnel du créateur, entre les épisodes lourds de menaces, dont ce Char symbolique s'abattant inexplicablement sur le cours des événements (à certains moments, surgis de nulle part, d'étranges convois de gros véhicules, Mercedes, BMW, ou de poids-lourds, arpentent dans un silence de mort les rues de la ville, appuyant la thèse développée par le roman que la peur serait l'unique et véritable élément susceptible de réunir les hommes), et un bouquet final couronnant la partie par l'effondrement spectaculaire de la Maison-Dieu, seuls en effet, les archétypes de l'Ermite (le très curieux personnage en arrière-plan du Professeur, «résistant mélancolique» armé, retranché de tout commerce avec ses semblables, se livrant à des théories iconoclastes sur l'Histoire et à des «exercices d'auto-immunisation contre la pensée»), ainsi que celui des deux Amoureux (le candide Baron, et Marika, son éternelle fiancée) pourront bénéficier d'une certaine forme de compassion de la part de leur maître tout-puissant...



"Diamant noir", "chef-d'oeuvre", selon les uns, "le livre qui concentrerait tout ce qu'il avait pu écrire auparavant", suivant les mots de l'auteur lui-même, ces épithètes sont à mon avis tout à fait à la hauteur du roman : une prouesse littéraire à l'ambition monstrueuse, dans tous les sens du mot!



Personnellement, je me suis vu néanmoins, en quelque sorte malgré moi, avaler une étoile par ce gigantesque trou noir affamé de toute forme de lumière, et jamais assouvi...



L'humour omniprésent, la construction irréprochable, l'exécution virtuose, les magnifiques flots narratifs versés en surabondance, une lecture m'entraînant dans une ronde enfiévrée de mots, n'auront pas suffi à cacher à mes yeux une gêne diffuse, et que je finirais par identifier comme étant liée à une absence de pratiquement toute note d'humanité dans cette partition rigoureusement cérébrale: envers des personnages qui m'auront de surcroît paru quelque peu "bidimensionnés" ou fac-similés (ceux-ci seront d'ailleurs listés sans états d'âme par l'auteur, en fin d'ouvrage, parmi les « matériaux utilisés», «détruits» ou «disparus»!), ou encore envers une forme de dénuement ontologique, très proche d'un nihilisme sans appel (mis en exergue surtout à travers les longs discours du personnage du Professeur), considéré comme implicite à la condition humaine, dû à la conscience de la mort chez l'homme, et à sa peur face à l'inconnu, sur lesquelles reposeraient d'après ce dernier «tous les fondements factices de la civilisation», développements portant inéxorablement en eux-mêmes "les germes de sa propre destruction»!



« Mehr Licht! Mehr Licht! » («Plus de lumière ! Plus de lumière !»)

(Goethe, sur son lit de mort).







Commenter  J’apprécie          3825
Le baron Wenckheim est de retour

Qu’est-ce qui peut nous faire penser qu’on a lu un véritable chef-d’oeuvre, un livre qui au-delà des modes, des sujets sensibles du moment, d’un plaisir de lecture, touche à quelque chose d’essentiel, qui n’est d’une époque ni d’un lieu, un livre aux sens multiples, dont on ne vas épuiser le contenu ni dans une lecture ni dans dix, qui remue, interroge, qui ne quitte pas le lecteur une fois terminé ? L’erreur est toujours possible, évidemment, mais il y a quelques livres, rares, forcément, qui vous laissent cette sensation inexplicable d’être en face de quelque chose qui nous dépasse, et en même temps nous donne la possibilité d’aller au-delà de nos limites. Le baron Wenckheim est de ces livres-là pour moi.



Le résumer risque de n’être pas incitatif. Aller faire un voyage dans une petite ville du fin fond de la Hongrie post-communiste n’a rien de très alléchant. Une petite ville sinistre et sinistrée, avec ses industries à l’abandon, ses services publiques défaillants, ses gares aux arrivées de train incertaines. Des hordes de sans abris, d’étrangers qui campent, un orphelinats aux allures de masure, et des habitants à la mentalité petit-bourgeois, bien pensante et uniquement occupés de leur petit confort quotidien, de plus en plus difficile à assurer, mais quand même on s’arrange comme on peut. Sans oublier la bande de motards violents, exécuteurs de basses œuvres pour la police locale, terrorisant la population qui préfère ne pas voir, et se préparant à prendre encore plus le contrôle. Ce n’est certes pas un tableau très réjouissant. Un espoir tout de même se lève dans ce monde à la dérive, le retour du descendant des anciens maîtres du lieu, le baron Wenckheim. Emigré dans ses jeunes années avec ses parents en Argentine pour fuir le communisme, il revient. Pour les habitants, le maire en tête, il ne peut s’agir que du sauveur providentiel, dont l’argent va redonner vie à l’endroit. Or d’argent il n’y en a pas. Le baron est une sorte de naïf perdu dans le monde, et qui a du être arraché de prison pour dettes, faites au jeu, par des riches parents autrichiens. Qui sont bien contents de s’en débarrasser en le laissant repartir là d’où il vient. Dans l’esprit brumeux du baron, son retour lui permettra de renouer avec son amour de jeunesse, qu’il n’a jamais oublié, qui l’a aidé à vivre, et qu’il pense être resté tel quel, pendant les décennies qu’a duré son absence. Comme il pense que rien n’a changé dans la ville qu’il a quitté adolescent. La déception sera forcément à la hauteur des attentes des uns et des autres.



Mais ce n’est qu’une trame parmi d’autres. László Krasznohorkai dessine une galerie de personnages, tous plus vrais que nature, qui même s’il n’occupent qu’une demi page sont parfaitement caractérisés. Il dresse l’air de rien, presque par inadvertance, le tableau assez complet et complexe de la population locale, dans toutes les couches de la société, âges, situations. Ce n’est pas forcément l’aspect sociologique qui l’intéresse, chaque situation peut ouvrir des perspectives bien plus vertigineuses qu’il semble à première vue : ainsi la confection d’une tarte est susceptible de nous amener à la notion d’intuition, au sens philosophique du terme. Il faut juste décoder. Ou pas d’ailleurs, on peut aussi rester dans l’anecdote amusante, si l’on préfère.



La vision de László Krasznohorkai n’a rien d’optimiste. Il dépeint des hommes empêtrés dans leurs contradictions, à la vue courte, incapables de se dégager du contingent. De comprendre le monde dans lequel ils vivent et de se comprendre. Englué dans des destins qui les dépassent, mais dans des petits destins minables, sans rien de grandiose ni noble. Pas de liberté possible, une sorte de prédestination régie le monde. Mais une prédestination sans Dieu (l’éblouissant Avertissement nous fixe le cadre), ce qui est bien pire, parce que pas de rédemption possible. Le monde que dépeint László Krasznohorkai est un monde en bout de course, sans issue. Et qu’on ne se fasse pas d’illusions : la petite ville hongrois n’est pas sans similitude avec le monde dans lequel nous vivons, il l’anticipe peut-être un peu.



Mais que l’éventuel lecteur n’ait pas peur à ce sombre tableau : le livre est véritablement drôle, très drôle par moments. Cela peut paraître impossible, et pourtant l’auteur réussit ce tour de force. C’est le premier livre de László Krasznohorkai que je lis qui m’ait fait vraiment rire. De même son écriture, qui n’est en général pas la plus simple, avec de très longues phrases, est plus abordable ici. Le passage d’un narrateur, d’un personnage à un autre, ne perd jamais le lecteur. Et le fait de passer d’une histoire, d’une anecdote à une autre, relance l’intérêt, fait que ce très long livre de plus de 500 pages glisse tout seul, est un bonheur de lecture.



L’auteur a déclaré que ce livre résumait tout ce qu’il avait écrit jusque là. Et c’est vrai, ses lecteurs peuvent reconnaître des éléments, des thématiques, voire des clins d’oeil à ses livres antérieurs. Dans une forme peut être plus aboutie, plus éblouissante encore. Mais plutôt que de le voir comme une indépassable réussite, je préfère le considérer comme une étape essentielle, qui va ouvre la voie à d’autres réussites, différentes. Et bien évidemment j’attends avec impatience l’opus suivant.
Commenter  J’apprécie          3623
Le dernier loup

« nous irons là où le dernier loup a péri »

c'est là où j'ai compris que je n'avais plus rien à écrire mais juste à dire, à vous raconter mon histoire au-delà des frontières et des hommes, eh toi, le hongrois, tu m'écoutes ? oui j'en étais au moment où j'ai reçu cette invitation pour aller en Espagne, à vrai dire je ne savais pas pourquoi j'avais été choisi, des années que je n'ecrivais plus rien, tombé dans l'oubli et la morosité je sombrais dans ce café berlinois devant ma bière que me servait ce hongrois qu'il me fallait réveiller de temps à autre pour maintenir mon auditoire, je sais ce que tu penses mais avoue que tu préfères que je sois dans ton bar t'évitant de mauvaises rencontres, au moins avec moi tu sais que tu peux t'endormir, je te réveillerai ! que tu écoutes cette histoire de loup, le dernier tu m'entends bien, le dernier et c'est ainsi que je suis parti en Estrémadure

Vous manquez d'air ? La phrase est longue... oui je sais. Je n'ai pas le don mais j'ai une nouvelle fois découvert un auteur, après Raduan Nassar, qui a ce savoir qui m'épate, cette maîtrise d'écrire sur 70 pages en ignorant les points, même le dernier ne sera pas le final à tout bien y réfléchir. Laszlo Krasznahorkai vous ballade élégamment en Europe, vous fait sourire et vous embarque dans un phrasé agréable et surprenant à la rencontre d'un conteur d'histoires. « Il se mit à rire, mais pas de bon cœur car son esprit était occupé par des questions (...) » vous voulez la suite...? je vous la raconte avec plaisir, le hongrois ! une Sternburger comme d'habitude avant que je recommence Le dernier loup.
Commenter  J’apprécie          362
La mélancolie de la résistance

Publié en 1989 en Hongrie et en 2006 seulement par Gallimard , Mélancolie de la résistance du grand romancier hongros ( sans doute le plus connu) László Krasznahorkai, est une description au scalpel de la lente érosion d'une société qui sombre dans le totalitarisme,



Ce livre installe au coeur du réel cette inquiétante étrangeté qui constitue la vérité des rapports humains. à travers le regard naïf d'un candide



Un roman qui joue sur plusieurs registres, la terreur, le grotesque, l'ironie, fantastique,



Une vision noire et nihiliste du monde, mais non dépourvue d'un certain humour. adapté au cinéma par Belà Tarr - un autre artiste hongrois bien connu à l'univers aussi singulier, qui en a tiré un film encore plus lent et envoutant. A noter dans cette version Folio la très belle traduction de Joëlle Dufeuilly qui restitue parfaitement la langue de l'auteur..
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
Commenter  J’apprécie          320
Au nord par une montagne, au sud par un lac..

Le petit-fils du prince Genji débarque seul dans la gare de Kyôto déserte et va vers le temple désert avec ses pavillons de prière, ses cours désertes, construits il y a mille ans avec les arbres savamment sélectionnés par le maître charpentier pour les colonnes, les faitières.



Il ne se passe pas grand chose et pourtant on finit par s'attacher à l'ambiance, à ce patrimoine.



Bon j'ai sauté quelques pages au chapitre où il compte jusque l'infini, me demandant si l'auteur ne se moquait pas un peu du monde.

Commenter  J’apprécie          303
Le dernier loup

Un nouveau livre de Laszlo Krasznahorkai est toujours un événement pour moi, même si comme ici, il ne s’agit que d’une longue nouvelle d’une soixantaine de pages.



Une soixantaine de pages dans lesquelles se déploie une seule phrase, dans des volutes, des digressions, un rythme ample, un souffle puissant. Le narrateur, un professeur de philosophie déclassé, qui végète et survit de petits travaux alimentaires, raconte à un barman hongrois, dans un bar minable, dans un quartier en déliquescence, un voyage en Espagne, en Estrémadure. Vrai voyage ? Voyage fantasmé ? En partie vrai ? En partie inventé ? Mais où mettre la frontière entre le réel et l’imaginaire, et lequel est le plus tangible ?



Invité par un organisme pour écrire quelque chose au sujet d’une région en pleine mutation, sans doute pour en donner une image positive, l’ex-professeur, l’ex-philosophe, qui n’écrit plus, n’enseigne plus, ne fait rien d’autres que traîner, ne comprend pas la raison de cette invitation qui lui est faite. Elle lui semble très mystérieuse, due à une erreur, comme une sorte d’ironie du destin. Il se décide quand même à faire le voyage, même s’il sait qu’il sera incapable d’écrire quoi que ce soit, les mots et les idées l’ayant en quelque sorte quittés définitivement. Il visite un peu au hasard, sur des impulsions des lieux, amené par un chauffeur, accompagné par une traductrice. Un article l’amène à enquêter sur la mort du dernier loup dans cette région : l’histoire va se révéler plus complexe qu’il ne semblait, avoir des ramifications, des épisodes, une charge émotionnelle, et des interrogations qui vont bien plus loin que le destin de l’animal.



Laszlo Krasznahorkai est un magicien, du verbe et du récit, qui tient son lecteur en haleine, et le laisse au final avec plus de questions que de réponses. Ce qui permet de continuer longtemps, une fois la dernière page lue, à imaginer et à voyager à l’intérieur du livre.
Commenter  J’apprécie          302




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Laszlo Krasznahorkai (461)Voir plus

Quiz Voir plus

La guerre dans les titres

Qui a écrit "De guerre lasse" ?

Françoise Mallet-Joris
Françoise Sagan
Hortense Dufour
Nicole Avril

10 questions
292 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature française , littérature russeCréer un quiz sur cet auteur

{* *}