Manhattan Project est une espèce de journal tenu par l'auteur hongrois
Laszlo Krasznahorkai durant un séjour à NewYork entre Septembre 2015 et Mai 2016 , où on lui a accordé
la faveur 😊 d'être boursier pendant une année universitaire. Cherchant l'inspiration pour une nouvelle histoire il part sur les traces de Melville et y croise
Malcolm Lowry, et un peu plus tard Lebbeus Woods un architecte new-yorkais dont les dessins et les maquettes vont le foudroyer. Accompagné des superbes photos en noir et blanc de Ornan Rotem, l'éditeur des Éditions Sylph qui a publié cet ouvrage, on va suivre le processus de création littéraire de
Krasznahorkai qui s'avère un chemin de croix, loin de ce que l'on peut imaginer.
Dans ce Manhattan où il est venu avec sa femme passer un séjour sabbatique tout frais payé , déjà du premier jour les règles imposés par la Fondation aux boursiers vont le mettre mal à l'aise, très mal à l'aise dans ce pays qui se proclame « Pays des droits de l'homme », Pays de la Liberté , dans la ville où La Dame élève la torche qui symbolise toutes les valeurs associées à la liberté. C'est le début de la fin où chaque jour , à chaque instant il pensera à lâcher tout et retourner en Europe. Mais le reste , l'appartement avec vu sur le Hudson , la possibilité de fréquenter une des plus importantes bibliothèques du monde, la chance de vivre à NewYork va l'en dissuader, pourtant tout sera très difficile pour lui……À travers Melville dont l'oeuvre sera méconnue durant toute son existence passée à faire l'inspecteur des douanes de bas grade à 4 dollars par jour , et la façon que les sponsors le traiteront lui, lui donnera la mesure de ce que ce pays accorde comme valeur à la création littéraire. Ils oublieront de mentionner son prix d'International Booker Prize 2015 dans la biographie publié à l'occasion de ce séjour, ils oublieront de même que
Belà Bartok , un des plus grand compositeurs du XXieme siècle, de surcroît hongrois, a vécu un bon moment à Manhattan. Malgré toutes ces déceptions Laszlo persévèrera sur les traces de Melville 😊!
Les photos stupéfiantes en noir et blanc de Rotem renforcent étrangement les impressions de Laszlo; comme à la page 74, alors qu'il erre dans le district financier la tête en l'air il se retrouve face à un bâtiment gigantesque en un bloc qui s'élance dans le ciel sans fenêtre ni porte….la photo de Rotem à côté amplifie cette sensation de puissance que cette édifice impose à l'auteur. Construit par John Carl Warnecke à l'origine pour loger les quartiers généraux de AT&T, aujourd'hui nul ne sait quelle fonction il remplie : pourtant comme une pyramide son impact sur l'imagination est très fort, et la photo en est la preuve.
Ce que j'aime chez Lazslo c'est sa simplicité et son humilité bien qu'en réalité l'homme est très sophistiqué, pourtant il n'est pas un faux modeste, il est seulement très lucide, intelligent et honnête. Il termine son Manhattan Project avec une liste ( il aime beaucoup faire des listes 😁) et annonce qu'il en a fait une novella qui s'appelle « Spadework for a Palace », que je vais bien sûr lire de suite. Décidément un écrivain qui commence à devenir une addiction pour moi 😊.
Le livre malheureusement non traduit encore en français est magnifique aussi comme livre objet, pour qui lit l'anglais le recommande expressément malgré le prix.
Avant de terminer ce billet une question, connaissez- vous le nombre 666 ? Si oui vous pouvez me laissez un commentaire, merci et Laszlo vous remerciera aussi ( p.78), car il est superstitieux 😊!
Every place you've ever been, someone else has been before you. This is most pronounced in urban settings and becomes gradually less tenable the less inhabited the setting, until the exact opposite becomes true once one reaches the appalling ocean that surrounds the verdant land (
Herman Melville )
Partout où vous avez été, quelqu'un d'autre a été avant vous. Ceci est plus prononcé en milieu urbain et devient progressivement moins tenable à mesure que le cadre est moins habité, jusqu'à ce que l'exact opposé devienne vrai une fois que l'on atteint l'épouvantable océan qui entoure la terre verdoyante (
Herman Melville)