De Grenade à Malaga, d'Almeria à Ronda fleurissaient des romances qui, partout, chantaient l'amour du sultan pour une flamboyante chrétienne.
- Le sabre est devenu l'esclave du roseau, fredonnait-on ici.
Le noble fils de Grenade est captif d'une chrétienne.
Sa peau a la blancheur du jasmin.
Ses yeux le bleu profond des nuits illuminées d'étoiles.
Sous son front dessiné pour le diadème.
Ses cils sont semblables à un battement d'hirondelles.
C'est Zoraya, belle parmi les plus belles, qui a dompté le coeur du prince.
- Ses longues tresses sont deux rigoles de feu, reprenait-on ailleurs.
Ses oreilles deux coquillages parfumés.
Son nez est fin et droit comme la lettre Alif.
Et sa bouche réalise d'éclat avec la rose grenadine.
C'est elle, Zoraya, princesse au cou sourire, qui enchante l'âme du prince.
- Sa taille est fine et souple comme rosier sauvage, chantait le royaume complice.
Ses bras nobles et gracieux, comme cols de cygnes.
Quand elle se met à chanter, on dit que le cristal se brise.
Que les oiseaux lancent au ciel mille youyous extatiques.
C'est elle, Zoraya, la gazelle enfermée qui par le regard du prince se découvre bonne.
L’amour ce n’est pas ça ! L’amour, c’est…je ne sais pas, moi ! Un sentiment, une flamme, un miracle. L’appel de deux âmes qui s’élisent, l’accord de cœurs jumeaux unis pour l’éternité…
Tu m’as redonné l’espérance, ma chère sœur Isabel. Non pas l’Espérance en Dieu, qui jamais ne me quitte. Mais l’espérance en l’homme, au cœur de l’homme si prompt à s’obscurcir, au chemin de l’homme si facile à gauchir, à la passion de l’homme si aisément détournée de l’amour.
- Si les hommes connaissaient l'intensité de nos plaisirs sans eux, s'ils savaient l'infini désir que nous nourrissons envers toute chose, et la tendresse dont nous prolongeons le plus anodin de nos gestes : ils seraient jaloux, sois-en sûre. Et ils auraient raison. Ils nous soupçonnent d'ailleurs, sans savoir de quoi. Voilà pourquoi ils nous surveillent, ils nous enferment et, au fond, nous craignent. Voilà pourquoi ils veulent nous soumettre... Précisément parce qu'ils devinent que tout, en nous, est par nature insoumis.
L'amour est une inion de deux âmes de tout temps promises l'une à l'autre. la religion ne l'interdit pas, la Loi ne prévient pas contre lui, puisque les cœurs sont dans la main de Dieu...
- L'amour est chose plus simple que tu ne crois. Et parfois, ma douce, c'est tant mieux. Car ce que ne disent pas tes contes, c'est que l'union des cœurs est imparfaite sans la bienheureuse union des corps. Et que la fusion des âmes n'a lieu que si l'amante rejoint son bien-aimé.
La jeune fille avait compris que son amie lui donnait là une leçon d’abandon à la divine Providence. Depuis, souvent, elle avait tenté de l’imiter. Encombrée d’elle-même, lourde de peurs anciennes et de soifs informulées, chaque fois elle avait trébuché.
L'amour est union de deux âmes de tout le temps promises l'une à l'autre.
Isabel n’était plus Isabel, mais une autre parcelle de sensation flottant dans l’air parfumé. Sa vie n’était plus sa vie, mais celle de tout ce qui existe. Tantôt elle se sentait hirondelle qui virevoltait dans la lumière avec des grâces miraculeuses, tantôt elle devenait nuage et parcourait l’espace infini des mondes, tantôt abeille vrombissante toute à son labeur d’ouvriere…A Martos comme à Grenade, chez son père comme chez son geôlier, nul n’avait jamais soupçonné l’intensité de ces rêveries qui par instants la ravissaient. Elle-même ne comprenait rien à ces absences dont elle revenait étourdie avec, aux lèvres, une action de grâce pour ce qu’elle appelait « la visite de l’ange ».
Mais l’amour, s’interroge-t-elle, l’amour, qu’il soit d’un homme ou de Dieu, n’est-il pas d’essence unique ?