On croit tout savoir de l'affaire Dreyfus. Tant de livres y ont été consacrés, dont certains excellents. Mais la vraie vie du capitaine Dreyfus était passée au second plan. Le petit livre de Laurent Greilsamer vient combler une lacune, ou plutôt réparer une erreur, colportée par les plus beaux esprits (Clemenceau, Péguy...) : Dreyfus, en acceptant sa grâce n'a pas été à la hauteur de son « Affaire » !
Le simple récit de sa vie suffit à le rétablir à sa vraie place, celle d'un martyr de la justice militaire et de l'antisémitisme. Toujours digne, ferme sur ses principes, attaché aux valeurs de la République, loin de toute exploitation médiatique, héros involontaire d'un temps troublé par les démons qui finiront par emporter la démocratie.
Nul pathos dans le récit de cette vie qui devait être celle d'un militaire brillant et patriote. Mais ses origines et ses qualités seront paradoxalement retenues à charge, spécialement le fait qu'il parle parfaitement l'allemand de par ses origines alsaciennes et sa scolarité à Bâle, après la défaite de 1870.
Pétri de valeurs militaires, il ne met nulle véhémence dans l'affirmation de son innocence, voulant ignorer ses origines juives, ce qui le brouille avec son principal soutien, son ami Bernard Lazare. Les intellectuels, dont "l'Affaire" est l'acte de naissance, ont d'autres objectifs.
On tire beaucoup d'enseignements de cette vie d'Alfred Dreyfus.
Lors de son arrestation, le commandant Du Paty du Clam lui propose tout simplement de se suicider et lui présente un revolver d'ordonnance. Le ton est donné. L'armée préfère la justice expéditive.
La détention de Dreyfus à l’île du diable apparaît comme tentative d’assassinat minutieusement organisée. Il est mis aux fers, surveillé jour et nuit par 11 gardiens et 6 chiens. Les surveillants se plaignent, plus que lui, des conditions de sa détention, du climat, des insectes, des fièvres, qui devraient venir à bout de sa résistance. Des instructions sont d'ailleurs envoyées pour la conservation de son cadavre. Sa survie à la « guillotine sèche », comme on désigne la déportation en Guyane, tient du miracle.
Entre le 15 octobre 1894, date de son arrestation et la fin de l'année 1898, au secret, il ignore tout de son dossier et du développement de « l'affaire ». S'il accepte la grâce que lui offre le gouvernement le 19 septembre 1898, pressé par son frère Mathieu, c'est pour retrouver sa famille, ses enfants, sa santé : c'est tout simplement pour revenir à la vie.
Dans l'épreuve du bagne, c'est la lecture qui le sauve. Il apprend par cœur Shakespeare, trouve du réconfort dans la sagesse de Montaigne, dans les auteurs russes (Tolstoï, Dostoïevski). Il lit Fustel de Coulanges, Taine, Michelet. Il collectionne citations et maximes et couvre aussi ses carnets d'exercices mathématiques.
La sinistre comédie de la justice militaire donne dans cette affaire toute sa mesure : bordereau, dossier secret, persistance du Conseil de guerre de Rennes dans l’affirmation de la culpabilité alors même que la trahison d'Esthérazy a été établie. La cour de cassation résume ce parcours chaotique dans une inhabituelle, abrupte et mémorable formulation : "Attendu, en dernière analyse, que de l'accusation portée contre Dreyfus, rien ne reste debout " !.
Mais rien n'y fait. Une grande partie de l'opinion (L'action française, La libre parole, Le gaulois) résiste à l'établissement de la vérité. Le publiciste Pierre Gégori, qui s'inscrit dans dans cette mouvance, tente d’assassiner Dreyfus lors du transfert des cendres de Zola au Panthéon le 5 juin 1908. Nouvel exploit de la justice -qui n'est plus militaire cette fois- : il est acquitté, comme le sera, dix ans plus tard, Raoul Villain, l'assassin de Jaurès !
Alfred Dreyfus a toujours été patriote et même nationaliste. A l'égard de l’Allemagne, ce républicain, laïc, réformiste, prône la fermeté « pour en finir avec ces querelles que l'Allemagne nous suscite constamment ».
Mobilisé à 55 ans, il n'a de cesse de rejoindre le front. En 1917 il est envoyé au Chemin des Dames, au cours de l'offensive Nivelle. Il se bat à Verdun. Lui, pourtant de santé fragile « s’accommode fort bien de ce régime de sauvages » comme il l'écrit à sa famille.
En 1918, il est promu lieutenant-colonel de réserve avant de revenir à l'anonymat auquel il a toujours aspiré.
Comme un signe de son destin, c'est un jour de fête nationale, le 14 juillet 1935, qu'il est enterré au cimetière Montparnasse .
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