Citations de Laurie Cohen (83)
J’ai souvent peur d’être une mauvaise mère, pas à la hauteur, de mal faire les choses. De ne pas voir l’évidence. J’ai beau lire et relire le Guide de la future maman, je crois qu’être mère ne s’apprend pas dans un manuel. Et que, en fait, on n’est jamais vraiment prête.
Impersonnel. On devient un numéro. Une bagnarde parmi les autres.
On nous le rappelle en permanence, qu’on est rien, qu’on appartient à l’Etat.
A la fin, on m’a octroyé des vêtements abandonnés, repêchés au Secours catholique. Je me sens désormais comme étrangère à moi-même.
Car la jungle est coquette.
Souvent, elle tresse des écharpes de lumière à travers ses feuilles et ses arbres tropicaux. Le soleil éclabousse de mirages ses cascades.
A l'aube, la jungle se réveille.
Resplendissante, chatoyante d'émeraude.
La fouille. Les portes en métal qui claquent. Le bruit des trousseaux. Un environnement déjà trop familier auquel je ne prête plus attention.
J'ai souvent peur d'être une mauvaise mère, pas à la hauteur, de mal faire les choses. De ne pas voir l'évidence. J'ai beau lire et relire le guide de la future maman, je crois qu'être mère ne s'apprend pas dans un manuel. Et que, en fait, on n'est jamais vraiment prête.
C'est pour ça que moi, je suis... si petit.
Le lendemain, après avoir rassemblé mes effets personnels, je suis reconduite dans l’autre quartier, celui de la détention provisoire, sans femmes enceintes, sans enfants.
La réalité me percute de plein fouet. Comme un violent carambolage. Nouvelle cellule. 145. Les murs sont inlassablement sales, avec l’odeur de merde, de pisse, des graffitis maladroits, des rats le long des coursives et des punaises dans les matelas entassés les uns à côté des autres. Et constamment cet air glacé qui file à travers les barreaux. J’avais presque oublié cet endroit. Comme si c’était une autre vie.
Je veux prolonger ces minutes-là pour l’éternité.
Alors j’embrasse ma fille sur le front et je la serre fort contre moi. Des larmes coulent sur mes joues.
Plusieurs fois, je demande aux surveillantes si elles n’ont rien vu passer. Elles me regardent comme si j’étais folle, à espérer quelque chose qui ne viendra peut-être jamais. Ou, parfois, avec la pitié de celles qui ont déjà vu des détenues être oubliées par les gens de l’extérieur. Certaines reçoivent des visites pendant des années, des lettres, des cadeaux, et un jour, sans raison particulière, tout s’arrête. Que reste-t-il quand tout le monde vous abandonne ? Quand le dernier espoir vous échappe ?
Je m’épuise à chercher vainement une solution pour garder ma fille à mes côtés. Prolonger ce temps. J’ai entendu de rares cas où l’on peut garder son enfant jusqu’à vingt-quatre mois, voire jusqu’à trois ans dans certains pays d’Europe. Je donnerais n’importe quoi pour l’avoir même un mois de plus. Même un jour de plus. Je n’arrive pas à concevoir notre séparation.
J’ai souvent peur d’être une mauvaise mère, pas à la hauteur, de mal faire les choses. De ne pas voir l’évidence. J’ai beau lire et relire le Guide de la future maman, je crois qu’être mère ne s’apprend pas dans un manuel. Et que, en fait, on n’est jamais vraiment prête.
Ici, nous devenons des loques humaines. Plus d’âme. L’abolition des frontières. Entremêlées dans l’odeur de nos déjections. L’enfer est partout. Dans les murs. Dans l’autre. On ne supporte plus rien. Ni sa respiration, ni son corps, et encore moins la promiscuité. Ce manque d’intimité nous donne l’impression de ne plus avoir d’existence propre. De faire partie d’un tout, et d’oublier son individualité. On se perd dans les pensées et les gestes de l’autre. Nos sens s’embrouillent. Il règne en ces lieux quelque chose d’invraisemblable.
Elle a parfois un regard fou quand elle est en manque de sa dose… Je vois ici tellement de filles torturées… Quand on se penche sur leurs parcours, on réalise que l’évidence est souvent plus complexe qu’il n’y paraît.
Mais on refuse de voir la vérité en face. C’est plus simple de foutre les gens au bagne plutôt que de comprendre comment ils en sont arrivés là.
Je vais le garder dix-huit mois. Mais ensuite ? Qu’adviendra-t-il le jour où l’on viendra le prendre dans les bras ? Me l’arracher ? Que je ne pourrai plus le voir que de temps en temps ? Que je raterai des moments précieux ? Qu’adviendra-t-il quand il comprendra que maman est en « prison » ? Qu’elle l’a laissé tomber ? Qu’elle a fait des erreurs ? Qu’elle n’ose plus le regarder droit dans les yeux ?
Incipit :
Quand j’ai traversé la cour de la maison d’arrêt, j’ai guetté le ciel. Ce trou de bleu entre les murs de pierre. Les barbelés tordus. Le silence. Le vent. Une brise légère qui faisait clapoter les tee-shirts suspendus à quelques fenêtres brisées. Les silhouettes perdues, derrière les barreaux, qui déambulaient, me dévisageaient. Un matin de mai. Le soleil sur mes joues. Comme pour la dernière fois.
Ca sent la vie. Un vent de liberté. C'est comme un arc en ciel au milieu des murs gris.
La seule chose à regarder, c'est le ciel. Ce ciel bleu parfois chargé de nuages. La seule porte ouverte vers le monde. Se souvenir qu'il existe un ailleurs. On a tendance à l'oublier
Je m'assois de nouveau sur mon lit et la fixe, tétanisée. Je réalise la responsabilité qui m'engage désormais vis-à-vis de ce petit être. Ma responsabilité de l’accompagner à chaque étape au fil des mois et des années, de prendre soin d'elle, sans l’étouffer, ni l’oublier. Les premiers mois sont les plus sensibles. Ses organes, son corps. Tout est fragile, infime.
Vais-je être à la hauteur?
Vivre en permanence dans l'angoisse? p. 175