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3.75/5 (sur 12 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Paris
Biographie :

Léo Strintz a étudié le cinéma et la télé-réalité américaine, et travaille aujourd’hui pour des séries de romans graphiques en ligne.

"L’Empire et l’Absence" (2020) est son premier roman.

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Inculte | "L'Empire et l'absence" par Léo Strintz


Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Le ciel s’est obscurci lorsque nous atteignons l’université, divisée en une vingtaine de bâtiments s’étendant sur toute une partie du flanc bas de la colline. Première fierté de la ville avant l’arrivée de Brandon Marsac, l’université demeure, à ce jour, la seule institution où le roi n’a pas su pénétrer – ou plutôt, tout du moins, de laquelle il a accepté de rester à distance. Aussi, chacun, propriétaire ou non de son droit à l’image, peut aller et venir sur ce campus circulaire, retraite de verdure du feuilleton, refuge prétendument noble, sans se risquer aux mains du récit – et DeLilla ne se gêne pas, ici comme chez elle, pour foncer droit vers le laboratoire de neurosciences. Situé au sommet d’une butte, il se déploie sur six étages, dont la moitié sous terre, et à son approche je zigzague entre ces étudiants incertains sur la pelouse, répartis en une succession de cercles méditant sur une journée que, dans la fraîcheur nouvelle du mois de novembre, plus personne ne sait très bien comment achever.
C’est là, en apparence, un havre de paix, un temple à l’abri des sombres influences extérieures. En apparence, seulement – car cette séparation, cette frontière, entre le roi et le monde universitaire ne s’est pas établie sous l’impulsion intellectuelle d’une résistance forte et courageuse, mais à travers le refus hautain d’une université qui s’était au départ réellement imaginée plus grande que ce nouveau et incompréhensible feuilleton. Par conséquent, bien qu’il soit convenu de prétendre chez les étudiants et le corps enseignant le contraire (j’ai eu tout le temps, en ces deux derniers mois, de m’en apercevoir), c’est tout à fait à contrecœur que ce lieu est devenu « une lueur parmi l’obscurité » – et si l’orgueil des instances dirigeantes les empêche, aujourd’hui, de faire marche arrière, il va sans dire qu’à refaire, mon Dieu, ils auraient tout vendu : leur travail, leur territoire, leur personnel. Ils auraient pleinement collaboré. Seulement, à l’époque, ils n’avaient simplement pas pu imaginer – et ils n’arrivaient d’ailleurs toujours pas à le faire – que cette agglomération, cette ville, qui s’était autrefois fondée autour de l’université, finirait un jour par se retourner contre elle. Comment auraient-ils pu le deviner ? Mon pauvre père, lui non plus, n’y avait jamais cru.
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De cette crise était né le roi. De cette crise était né son grand feuilleton, qui promit à ces vies cristallisées sur les réseaux, à cette solitude pourrissante, à cette absence cruelle de destin, la possibilité non pas d’être entendues – car quiconque, aujourd’hui, pouvait être entendu – mais d’être imbriquées et intriquées entre elles. Le feuilleton fit ce pari de former une histoire à travers la vie intime des hommes ; il se présenta, en quelque sorte, comme un pacte social de représentation, une union des points de vue pour faire coïncider l’éparpillement des récits et nourrir une même vision – et ce fut au roi de jouer le rôle de liant entre ces sources narratives et de garantir une cohérence générale, de certifier une satisfaction finale.
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Les feuilletons personnels n’avaient jamais été aussi nombreux – et à un certain niveau, ici, dans la ville narrative, ils n’avaient jamais été aussi aboutis. La nuit tombait, et comme à chaque nuit, c’était le grand travelling qui commençait ; ainsi, l’on allait d’hélicoptère en hélicoptère entre chaque homme, entre chaque incarnation, entre chaque, non pas point de vue – car il aurait fallu être bien naïf pour ne pas avoir compris, depuis le temps, que le seul et véritable point de vue était celui du travelling même et de son roi – mais entre chaque élément sciemment torturé de la fresque ; et cela constituait un divin montage alterné, une constellation de plans aériens où les habitants ne nécessitaient aucune présentation. Tout le monde les connaissait déjà. Les rues, souvent, portaient leurs noms.
De ce fait, pour beaucoup, la tentation était trop forte ; pour beaucoup, la ville se résumait à cet instant précis au cœur de la nuit, lorsque l’ivresse et la fatigue réunies s’accordaient pour mieux suggérer, à l’oreille du voyageur hébété, qu’il laissât derrière lui toute identité et, mieux, abandonnât aux bras de l’obscurité le secret le plus fondateur de sa vie ; pour beaucoup, indubitablement, la ville, c’était cet instant-là, exprimé éternellement. La fin de la nuit ivre, conclue sur l’abysse de l’être, où l’on ne songeait pas juste à vendre son âme, mais où l’on se risquait à ne même plus la retenir. Parce qu’ici, plus que n’importe où ailleurs, une âme, ça se retenait, et quiconque ayant traversé au moins une fois ces terres l’avait forcément éprouvé avec chaleur et avec force ; ici, la nuit engloutissait tous les remords et les non-dits, elle était l’œuvre, où le roi attendait que l’on tombe, elle était le royaume, où l’on abandonnait d’être un monde, et c’était bien cela de quoi la nuit vivait : des mondes, que les corps avaient fini par lâcher.
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Arrivé plus bas dans la rue, il me faut désormais traverser les équipes occupées à se déplacer entre leurs différents sujets, les directeurs de segments, parmi les cadreurs et les perchistes, résumant les séquences et les répliques marquantes, notant les événements en face des timecodes correspondants, et tous, sans exception, grimacent de cette présence qu’il faut éviter de capturer dans le cadre : la mienne. Le risque, comme toujours, serait de trahir l’esthétique du roi, pour qui il n’existe pas d’aveu à la clarté plus terrible que celui du visage flouté, à ses yeux moins la dissimulation d’une identité qu’un voile levé sur le refus de son empire. Or, cela n’a jamais changé, mon visage exige d’être flouté, de la même façon que, malgré l’irrésistible ascension de Brandon Marsac, plusieurs centaines d’habitants rejettent encore l’idée de rejoindre son histoire, et aussi minoritaires soient-ils, plus, même, minoritaires sont-ils, et plus cela l’éprouve dans sa douleur centrale, dans son écueil fondamental. Oh, mais qu’importe : certains s’accrochent à leur droit inaltérable de lui dire non, et si j’ai le droit, moi aussi, de le faire, c’est car, contrairement à Marsac, je suis né ici. Un luxe, en vérité, puisque depuis deux ans, le droit de séjour dans la ville n’est plus accordé qu’à la condition de céder son image au roi, loi jugée naturelle tant il est ici autant le principal créateur d’emplois que le premier fournisseur de destin, lui qui à une époque de la robotisation engendra énormément de professions en misant sur le secteur du feuilleton…
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Au loin, justement, je peux distinguer Sixtine, perchée sur un arbre, un sein à l’air et des griffures dans le cou, alors qu’une poignée de garçons la supplient de leur accorder une autre audition. Naturellement, un hélicoptère tourne autour d’elle, comme une ombre, non pas protectrice de sa personne mais lui réservant avec tendresse le pire, ici assez éloigné pour que le bruit des hélices n’envahisse pas ses oreilles et que ses cheveux ne soient pas trop soulevés par le vent. Puis, moins obstinés que le roi, les garçons et leurs signaux s’avouent vite défaits et se dispersent, vers le nord de la carte, à l’assaut des derniers tournages, bien déterminés à influencer une histoire avant de laisser la nuit se refermer. L’hélicoptère entame alors sa longue montée dans le ciel tandis que sa caméra, sous le cockpit, pivote en ma direction tel l’index divin de Marsac sur le point, je le sais, de doucement se replier. Désormais suffisamment distancé de la terre ferme, le maître des récits personnels peut s’endormir.
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